LE LIVRE : HISTORIQUE D'AURELLE, de la Baronnie d'Aurelle à la Commune d'Aurelle-Verlac, seconde édition au format A5 (demi A4), couverture couleur brillante en 150 gr, est paru! Vous pouvez le commander contre un paiement de 21 € + 5 € de frais de port et d'emballage à :
Joëlle FALQ
Editions de la fille aux loups
Les Chênes
45, bd Paul Ramadier
12000 Rodez.
Un cadeau à faire et à se faire (les 100 premiers exemplaires de cette seconde édition largement illustrée sont numérotés!) Qu'on se le dise!
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AURELLE :
De la baronnie d’Aurelle
à la commune d’Aurelle-Verlac.
- HISTORIQUE -
© Magnolia des Cazes d’Aubais.
Tous droits réservés.
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AURELLE :
De la baronnie d’Aurelle
à la commune d’Aurelle-Verlac.
- HISTORIQUE -
© Magnolia des Cazes d’Aubais.
Tous droits réservés.
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"Tu seras le veilleur des ombres
Qui sont dépliées à tes pieds
Sarclant l'ivraie de leur mémoire
Dans les grimoires du passé."
Pierre Loubière.
Qui sont dépliées à tes pieds
Sarclant l'ivraie de leur mémoire
Dans les grimoires du passé."
Pierre Loubière.
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"L'Histoire ne dit pas
si le temps écoulé
menace ou délivre."
Jean Digot.
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AVANT PROPOS :
Tous les écoliers connaissent au moins deux dates de l'Histoire de France 800 et 1515. Mais l'an 800 et 1515 ne sont-ils que le sacre de Charlemagne et la bataille de Marignan ? … Que s'est-il donc passé à ces époques là dans nos régions ? La plupart l'ignorent et je ne les en blâme pas : on ne peut pas tout apprendre sur les bancs d'une école, et sûrement pas, en tout cas, l'histoire locale propre à chaque village. C'est donc une démarche qu'il faut effectuer soi-même, à temps perdu (l'est-il vraiment ?), conscient que l'histoire de France en général, aussi intéressante soit-elle, ce n'est pas vraiment notre histoire. C'est dans cet état d'esprit que j'ai commencé des recherches qui ont finalement abouti à cette synthèse de documents concernant la commune d'Aurelle-Verlac. C'est d'abord pour combler un manque profond, par intérêt personnel, mais il n'était pas utile pour cela de faire éditer le résultat de mes errances sur les chemins de char de l'histoire locale. Si j'en suis finalement arrivée à cette étape c'est bien sûr parce que cette édition consacre mon travail, mais aussi parce qu'elle le met à la disposition de tous. Je n'ai pu, en effet, m'empêcher d'écrire en pensant à certaines personnes qui, elles, n'ont pas le temps de se découvrir une telle passion, pas le temps de glaner ça et là de telles parcelles de notre histoire et d'essayer d'en faire un ensemble cohérent. Je sais pourtant que plusieurs d'entre elles sont intéressées, se sentent concernées par ce genre d'ouvrage et le liront parce que, justement, elles ne savent presque rien des siècles passés en dehors des généralités inhérentes à un pays.
Mais nous ne sommes pas tous des passionnées d'histoire locale, ou d'histoire tout court, et le style austère, la rigueur traditionnelle que l'on connaît à la plupart des ouvrages qui abordent un tel sujet, en découragent plus d'un. Je le sais, c'est pourquoi j'ai essayé d'éviter cet écueil, de rendre ces récits le plus clairs possible tout en en faisant, j'espère, un ensemble agréable à lire. Y suis-je arrivée ? Là est la question à laquelle je ne peux répondre, mais je continue d'espérer que ces lignes seront lues par les plus néophytes parmi les néophytes du premier au dernier chapitre sans lassitude et sans trop d'efforts. Je n'écris moi-même qu'en amateur, c'est pourquoi ce livre ne s'adresse pas en premier lieu aux professionnels, aux véritables historiens qui, s'ils le lisent, me pardonneront volontiers, je l'espère, mon manque de méthode.
Pour toute conclusion, je voudrais remercier tout particulièrement le personnel des Archives Départementales de l'Aveyron et de la Médiathèque de Rodez, la Société des Gens de Lettres de l'Aveyron pour leur gentillesse et leur disponibilité et enfin les habitants d'Aurelle-Verlac, qui m'ont apporté une aide importante dans ce long parcours qu'est l'histoire d'Aurelle-Verlac, disséminée dans des dizaines de registres, d'actes, de revues historiques, de livres sur le Rouergue, et que personne à ma connaissance n'a jamais tenté de rassembler en un seul et même ouvrage.
Je tiens également à adresser mes plus vifs remerciements à monsieur Henri Sabatier, mademoiselle Sophie Delpech et monsieur Jacques Sénesse qui ont bien voulu me permettre d'apporter une note poétique qui n'est pas la mienne dans cet ouvrage.
MAGNOLIA DES CAZES D’AUBAIS
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- AVERTISSEMENT -
Je ne suis pas historienne, cet ouvrage n'est qu'un travail d'amateur et j'ai le grand défaut de préférer parfois les belles histoires à l'Histoire tout court. Que les professionnels en la matière me pardonnent donc de n'avoir pas hésité à rapporter légendes et tradition orale en même temps qu'Histoire avec un grand "H".
MAGNOLIA DES CAZES D’AUBAIS
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PREMIERE PARTIE : Le temps des Seigneurs
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1/PRESENTATION DE LA BARONNIE D'AURELLE.
Ainsi vous avez décidé de me suivre dans ce long voyage au fil des siècles, dans cette région dont Elisée Reclus a résumé l'impressionnante grandeur par cette simple phrase : "l'Aubrac est grandiose comme la mer!"
L'Aubrac… Mais nous n'y sommes pas encore, prenons la belle petite route qui, partant de Saint-Geniez d'Olt, remonte les pentes du plateau et aventurons nous ensuite sur des chemins de chèvres pour atteindre enfin le pauvre village abandonné d'Aurelle…
Aurelle, situé en bordure de la vallée escarpée et sauvage de la Boralde de Born, ou Merdanson, sur la rive gauche… Aurelle, petit hameau bâti au nord et à mi-pente d'une arête rocheuse qui surplombe à pic un ravin profond du côté du midi…
Nous voilà arrivés, jugez donc par vous-même… Quelques maisons en ruines entourent la belle petite église romane désaffectée depuis plusieurs années, bien délabrée elle aussi, avec pour seule parure son toit envahi par la végétation. Ici la nature reprend ses droits, effaçant peu à peu toute trace de colonisation humaine. Combien de villages ont ainsi disparus? Combien disparaîtront encore de la sorte? Nul ne peut le dire.
Oui, toutes ces maisons sont inhabitées et comme vous l'avez constaté, les chemins qui mènent à ce petit paradis ne sont même pas carrossables. Hélas! C'est là un exemple parfait de "la terre qui meurt"… Pourtant cette terre a vécu, a nourrit des générations et des générations de paysans, elle a eu ses heures de grandeur et de désolation, mais aucun de ses fils ne reste pour nous en parler.
Non ici, pas d'indigène typique, pas d'attrape touriste folklorique, pas de guide au pas lent et régulier, dont la voix rocailleuse nous dirait les secrets des pierres et l'amour ancestral de cette terre pour calmer notre hâte ou dissiper notre fatigue. Personne sinon vous et moi.
Pour ma part, puisque vous y tenez, je vais vous dire ce que j'en sais, mais ma façon de conter n'a pas la même saveur que celle des anciens, vous y perdrez beaucoup sachez-le.
Ainsi, il y avait donc autrefois, outre la chapelle Saint-Pierre, un château en ce lieu, chevauchant l'éperon rocheux dont je vous ai déjà parlé… Non, ne cherchez pas l'ombre de cette bâtisse : il n'en reste rien, les siècles l'ont engloutie.
Cette Baronnie, car c'était une Baronnie, s'étendait sur les paroisses actuelles de Saint-Martin de Montbon, Verlac, Vieurals, Naves d'Aubrac, les Crouzet, Lunet et une partie de celle de Pomayrols. Elle comprenait les montagnes nobles de Cazalets, de Valerme, del Cau, d'Alteste, des Cats et de Tournecoupe, ainsi qu'une cinquantaine de villages ou de mas qui dépendaient donc d'Aurelle et de ses seigneurs. Une cinquantaine de hameaux dont certains ont aujourd'hui totalement disparus. Cinquante! Ça paraît énorme, je le sais… Ca l'était! Pour vous donner une idée plus précise il suffit sûrement d'ajouter que la terre et Baronnie d'Aurelle avait une étendue de 16910 sétérées et, pour vous donner un ordre de valeur, que la sétérée de Rodez était de deux hectares et demi, nous parlons donc de 42275 hectares environ!
2/NOS ANCETRES LES GALLO-ROMAINS
Vous voulez en savoir plus? Ah! Oui! Connaître l'origine! Vous voudriez peut-être que je vous parle de "nos ancêtres les Gaulois", de la nuit des temps?…
Et bien pour tout vous dire, c'était une nuit sans lune sur Aurelle. Tout ce que j'ai ramené de cette expédition nocturne c'est la certitude qu'il a existé un camp Gallo-Romain au Tech, près de l'actuel village de Moncan où des morceaux de poteries ont été retrouvés. Mais ne vaut-il pas mieux laisser reposer en paix "nos ancêtres les Gaulois" et éviter ainsi le pillage trop systématique d'un patrimoine qui me semble plus à sa place dans nos régions, même s'il y est parfois ignoré de beaucoup, que dans un quelconque musée citadin ?… Parlons donc plutôt, si vous le voulez bien de "nos ancêtres les Romains".
La Gaule connut la domination romaine dès l'an 48 après JC et cette domination ne dura pas moins de 500 ans. Durant cinq siècles, de nombreux empereurs succédèrent au premier : Auguste, qui fut sans aucun doute le plus grand. Les uns comme Néron (54 à 68 après JC) se firent détester pour leur cruauté et leurs crimes, les autres comme Marc-Aurèle (161 à 180 après JC) admirer pour leurs vertus. Auguste, Néron et Marc-Aurèle peuvent d'ailleurs être considérés comme les trois principaux empereurs Romains. C'est ce dernier, Marc-Aurèle, qui nous intéresse ici.
Qui était-il donc? Il était avant tout l'un des neveux et le successeur d'Antonin-le-pieux. Il régna 19 ans sur l'Empire Romain et du même coup sur la Gaule de l'an 161 à l'an 180 après JC.
Son règne, durant lequel il renforça la centralisation administrative, fut dominé par les guerres en particulier par ses campagnes contre les Parthes (161–166) et sur les frontières danubiennes (168–175 et 178–180) où il trouva d'ailleurs la mort.
C'était un empereur tolérant et accueillant à toutes les religions sauf au Christianisme qu'il laissa persécuter comme le prouve l'épisode des martyrs de Lyon en l'an 177.
Non content d'être empereur, il fut également un grand philosophe stoïcien comme en témoigne l'ouvrage qu'il écrivit (bien avant Pascal) sous le titre "les pensées". Ce livre écrit en grec, conserva une très grande influence au cours des siècles qui suivirent.
Cet empereur mourut en l'an 180, à 59 ans, alors qu'il commandait une expéditions contre la tribu germanique des Marcomans. Il avait choisit comme successeur, son fils Commode, qui, loin de l'être, se révéla cruel et incapable.
C'est ainsi que l'ère de grandeur de l'Empire Romain, commencée sous le signe de l'empereur Vespasien, donna les premiers signes de faiblesse. Commode, fils de Marc-Aurèle, fut finalement assassiné en l'an 192. S'annonçait ainsi une nouvelle période de souffrances et de rivalités.
Mais peut-être vous demandez vous encore ce que vient faire ce bref historique de la Rome Antique dans l'histoire de la Baronnie d'Aurelle? Oui, voilà le mot-clef: Aurelle… C'est en effet, rapporte la tradition orale, cet illustre empereur Romain qui donna son nom au village en question. Ce serait lui, Marc-Aurèle, qui aurait fait bâtir le fort d'Aurelle en l'an 162 après JC alors qu'il revenait de Germanie. D'après cette légende, ce qu'on appelle aujourd'hui encore le château d'Aurelle aurait, en fait, été un véritable fort Romain.
Je ne peux ajouter grand chose sur cette époque lointaine, si ce n'est que l'on trouve encore, dans la région d'Aurelle, des vestiges de la voie Romaine qui menait de Saint-Geniez d'Olt à Marvejols et qu'il existe à Mazes un champ encore appelé "la Milliaire", sans doute faut-il préciser que "la Milliaire" était à l'origine le nom d'une borne Romaine placée le long des routes et marquant les milles (milles pas).
Selon la légende, Aurelle fut visité par le Roi Arthur, et le site fut la première cachette du Graal, le Roi Arthur aurait été attaqué par une poignée de manants, voulant lui soutirer quelque monnaie, alors qu'il sortait de la chapelle d'Aurelle, il n'en aurait fait qu'une bouchée; toujours d'après la tradition orale, à Aurelle aurait été bâtie une maison forte des templiers, émanation des templiers de la Couvertoirade. Mais comment faire là, la part de l'imaginaire et de l'Histoire? Nous n'en savons pas plus sur les sept ou huit siècles qui suivirent.
3/LES CASTELNAU D'AURELLE
SEIGNEURS D'AURELLE JUSQU'EN 1244
Armoiries : "d'azur au château d'argent"
Les premiers seigneurs d'Aurelle connus de façon certaine sont les Castelnau.
Il faut savoir tout d'abord, pour éviter les confusions, qu'il y avait à l'époque féodale quatre grandes maisons du nom de Castelnau dans le midi de la France.
Les Castelnau d'Apcher
Les Castelnau Brétenoux
Les Castelnau la Loubère
Et les Castelnau d'Aurelle qui sont donc ceux qui nous intéressent ici.
Quelques titres font mention de cette famille qui prit à l'origine le nom de la terre qui lui appartenait, mais ils sont rares malheureusement c'est pourquoi nous devrons passer assez rapidement sur ces seigneurs d'Aurelle.
Dès 1030 : "le château d'Aurelle appartient à Joris d'Aurelle, feudataire (vassal) des seigneurs de Canilhac."
En 1075, Joris d'Aurelle fait divers dons à l'abbaye d'Aniane
En 1195, Guillaume d'Aurelle habite au château d'Aurelle.
En 1200, les Bénavents, Comtes de Rodez, achètent la moitié de la Baronnie d'Aurelle, mais celle-ci reste indivise : le partage réel des terres n'est pas fait, ce sont les deux seigneurs qui se partagent le pouvoir, la justice étant désormais rendue par des officiers communs. La terre d'Aurelle devient ainsi une co-seigneurie.
Le 3 juin 1234, Jean d'Aurelle reçois une quittance de quatre sous 2 sens et quatre setiers de vin des main d'Aldebert de Mandagot, prieur de Notre-Dame de Millau.
Et le 24 juin 1244, Pons de Castelnau et Bertrand, son fils, vendent à Astorg de Villaret la moitié de la Baronnie d'Aurelle leur appartenant encore ; l'autre moitié appartenant depuis 1200 à Henri de Bénavent, comte de Rodez. Précisons pour l'anecdote que cette vente eut lieu devant la porte de l'église de l'hôpital d'Aubrac.
Voilà donc la fin de la suprématie des Castelnau d'Aurelle sur ce lieu et trop peu d'informations sur cette époque lointaine qui fut la leur. Mais que devint donc cette lignée des seigneurs d'Aurelle après la vente de leur terre?
Un acte du 12 juin 1299, dans lequel Hugues d'Aurelle reconnaît devoir annuellement une émine de seigle à l'hôpital d'Aubrac, nous apprend qu'il était alors Damoiseau de Saint-Geniez d'Olt. Nous le retrouvons en 1346 en compagnie d'une certain Joris d'Aurelle. Tous deux étaient alors Damoiseau de Saint-Geniez d'Olt et bienfaiteurs du couvent des Augustins de cette ville. Ils semblent avoir été les derniers mâles de cette maison d'Aurelle qui, depuis longtemps, ne possédait plus aucun droit sur le lieu du même nom. Cette lignée s'éteignit, en effet, après 1346 mais avant la fin du XIVe siècle, en la personne d'Hugues d'Aurelle qui ne laissa qu'une héritière. Celle-ci épousa Pons d'Azials, seigneur du château de Laycia (Laissac?…) de cette union naquit une fille : Avinence d'Azials. Elle épousa Hugues de Curières, Damoiseau de Sainte-Eulalie d'Olt, dont elle eut cinq enfants : Amblard, Hugues, Aldete, Raymonde et Jeanne. L'aîné, Amblard, qui habitait à Sainte-Eulalie d'Olt testa le 12 décembre 1407, instituant son frère Hugues son héritier universel, tout en laissant l'usufruit de ses biens à sa mère, qui vivait donc encore à cette époque là. Son cadet et héritier Hugues de Curières, deuxième du nom, épousa Béatrix Clary, fille de Guillaume de Clary et d'une certaine Hélène d'Aurelle, coïncidence frappante sur laquelle je terminerai mon récit en ce qui concerne le sang des Castelnau d'Aurelle mêlé à tout jamais à celui des Curières de Sainte-Eulalie d'Olt.
4/LES BENAVENT, COMTES DE RODEZ
CO-SEIGNEURS D'AURELLE DE 1200 A 1293
Armoiries : "de gueule au léopard lionné d'or"
Il existait anciennement une famille de Bénavent dont il est fait mention par plusieurs historiens dés l'année 1186 et jusqu'en 1230. Mais cette famille était différente de celle qui subsiste encore de nos jours et qui tire son origine des Comtes de Rodez de la première race, qui sont ceux qui nous intéressent ici.
Il faut également noter que la terre de Bénavent, qui est située à onze lieues au nord de Rodez et à deux lieues de Mur de Barrez, près des confins de la Haute Auvergne, quels que fussent les droits que la première famille pouvait y avoir eus, appartenait dés le début du XIIème siècles aux Comtes de Rodez par le mariage de Henri Ier avec Algayette de Scoraille, dame de Bénavent.
C'est cet Henri Ier qui acheta la moitié de la Baronnie d'Aurelle en 1200. il n'était pas encore Comte de Rodez à cette époque-là puisqu'il ne succéda à Guillaume, son père, qu'en 1208.
Ce Comte vit éclater, au début de son règne, la terrible guerre des Albigeois qui ensanglanta pendant près de vingt ans tout le Sud de la France. D'abord incertain sur le parti qu'il devait prendre, par égard sans doute pour le Comte de Toulouse son suzerain, il finit par se soumettre à Simon de Montfort et lui rendit hommage pour les terres de son comté, dans le palais épiscopal de Rodez, en 1214.
Il semble que ce Comte de Rodez mourut en Terre-Sainte vers 1222. son testament est daté de l'an 1219, "du camp devant Toulouse", où se trouvaient alors réunis une partie des seigneurs croisés contre les Albigeois.
Henry Ier avait donc épousé Algayette de Scorailles, dame de Bénavent, de Vic, de Marmiesse, etc… de laquelle il eut trois enfants dont Hugues IV qui lui succéda.
Hugues IV épousa en 1230 Isabeau de Roquefeuil, fille de Raymond Ier de Roquefeuil et de Dauphine de Turenne, héritière du Vicomté de Creyssels et des Baronnies de Meyrueis et de Roquefeuil, ce qui réunit ces terres au Comté de Rodez.
Ce Comte de Rodez augmenta son domaine par diverses acquisitions dont la terre de Maleville et le château majeur de Salles. Il agrandit également son château de Rodez en achetant, en 1264, les maisons de Saulnac et de la Barrière, gentilshommes de Rodez.
Il testa à Montrozier, en 1271, mais ne mourut qu'en 1274 et fut enterré à Nonenque, selon sa volonté.
Son fils, Henry II, lui succéda alors. Il était Comte de Rodez, Vicomte de Carlat et de Creyssels, Baron de Meyrueis, Seigneur de Roquefeuil, de Bénavent, de Vic, de Marmiesse, de Scoraille et bien sûr co-seigneur de la Baronnie d'Aurelle par héritage de son père.
Le Comte Henri II, dit Bosc, fut un grand homme de son siècle. Il rendit de grands services au Roi dans les guerres de Flandres et de Gascogne contre les Anglais. Il accompagna toujours le Comte d'Artois dans ses expéditions militaires mais il ne vécut pas longtemps après la guerre de Flandres.
Sous son règne, les Rouergats furent délivrés de la servitude à laquelle ils avaient été soumis jusqu'alors et il leur accorda toutes les libertés compatibles avec les idées de son temps. Il protégea également les gens de lettres et les troubadours. C'est sous son règne qu'on commença à bâtir la cathédrale de Rodez.
Il fut le dernier Comte de la postérité de Richard de Millau et c'est avec lui que finit la ligne masculine de cette illustre famille qui avait occupé durant deux cent ans le Comté de Rodez
Henri II s'était marié trois fois :
- D'abord, le 8 septembre 1256, avec Marguerite de Baux, fille de Barral de Baux, grand justicier du royaume de Naples, et de Sybille-Béatrice d'Anduze. On peut noter que cette famille de Baux, l'une des plus illustres de Provence, donna plusieurs Rois d'Arles.
- Ensuite avec Marasconne de Comminges, fille de Bernard IV, Comte de Comminges, qu'il épousa en 1270. Elle lui donna quatre enfants dont, en particulier, Cécile qui, succédant à son père, devint Comtesse de Rodez et, épousant Bernard d'Armagnac, apporta le Comté de Rodez à la famille d'Armagnac.
- Enfin avec Anne de Poitiers, fille d'Aymard de Poitiers, Comte du Valentinois, dont il n'eut pas d'enfant.
En ce qui concerne la Baronnie d'Aurelle, on peut citer en particulier le bail à acapte du 8 avril 1292 consenti par Raymond de Saint-Etienne, chevalier, et par Radulfe Sigal, bayle de la Châtellenie d'Aurelle, pour Henri II de Bénavent à Bernard Vidal de la paroisse de Lunet. Ce bail concernait "le terroir de la Pendaria, confrontant du chef avec le chemin de Lunet à Fabrègues, et des autres côtés avec tenure du Four-del-Mas, tenure du Mas du Bousquet et ruisseau du Mossauret ; droit d'entrée : 30 sols rodanois ; et le Mas de la Molinaria, confrontant avec la Pendaria, le Four del Mas et le mas du Bousquet ; droit d'entrée : 2 sols rodanois par gechoirata de pré à faire" (probablement pas char à foin).
La Pendaria est aujourd'hui la Vidalerie et la Molinaria, le moulin de Vidalerie. Ainsi le bénéficiaire Vidal et ses successeurs finirent-ils par donner leurs noms à ces Mas. Il en est d'ailleurs ainsi pour bien d'autres hameaux : Combe, Vilieyre, Vioulaget, le Bru, par exemple.
Il faut également noter que le village des Escoudats relevait d'Henri de Bénavent pour la moitié de la Seigneurie d'Aurelle, jusqu'en 1293 date à laquelle ce Comte de Rodez céda cette partie qui lui appartenait aux Doms d'Aubrac.
Henri II mourut en 1304, au château de Gages qu'il avait fait bâtir, conformément à ses dernières volontés, son corps fut transporté à Bonneval où eurent lieu de magnifiques funérailles.
Avec lui se terminait donc la suprématie des Bénavents sur le Comté de Rodez, celui-ci passant par alliance aux Armagnac, et également la possession d'une moitié de la Baronnie d'Aurelle par les comtes de Rodez, celle-ci étant passée en 1293 aux Doms d'Aubrac.
5/ASTORG DE VILLARET
CO-SEIGNEUR D'AURELLE DE 1244 A 1254
Armoiries: "D'or, la croix tréflée d'azur cantoné de quatre branches de lauriers de sinople."
Astorg de Villaret acquis donc, le 24 juin 1244, la moitié de la Baronnie d'Aurelle de Pons de Castelnau et Bertrand son fils, l'autre moitié appartenant par indivis à Henri de Bénavent.
Mais qui était donc cet éphémère co-seigneur d'Aurelle ? Son père était Baratte de Villaret seigneur de Gages en 1269, à qui, Hugues, Comte de Rodez, et Henri, son fils, baillèrent par titre de permutation la seigneurie de Concourès, ne se réservant que le simple hommage de serment de fidélité. Ils lui cédèrent en outre le village de Vayssette. En contre échange Baratte de Villaret bailla au Comte de Rodez la place, château et forteresse de Gages avec toutes les terres et droits qu'il y possédait jusqu'alors.
En 1244, son fils Astorg devint donc co-seigneur d'Aurelle. Il fut aussi seigneur de Concourès en 1300 par héritage de son père. C'est ainsi que "le mercredi avant la Saint-Benoît" il fit hommage à Henri, Comte de Rodez, pour la place de Concourès.
En 1306, "le mercredi dans la semaine qui suivit la fête des Saints Pierre et Paul", il vendit ses possessions à Concourès à Hugues et Guillaume de Lapierre.
Quant eu lieu au juste la vente de la Baronnie d'Aurelle aux seigneurs de Canilhac ? Pourquoi Astorg de Villaret vendit-il tous ses biens tant à Concourès qu'à Aurelle ? Que devint-il ? Autant de questions qui restent sans réponse faute de documents pouvant nous l'apprendre.
Astorg de Villaret… Un nom surgit du fond des âges, sans toile de fond, sans fait marquant pouvant l'illustrer. Mais, qu'importe ? Son passage fut si bref à Aurelle qu'il ne peut guère avoir influencé les destinées. Il fallait cependant le citer, voilà qui est fait.
6/LES LAPANOUSE, SEIGNEURS DE LA FABREGUE POSSEDANT DES DROITS SUR LA CO-SEIGNEURIE D'AURELLE DES 1254
Armoiries: "d'argent, à six cotices de gueule.
Support : Deux anges."
La famille des Lapanouse est issue de Lapanouse de Séverac d'où elle a tiré son nom. Elle jouissait des honneurs de la chevalerie dès le milieu du XIII ème siècle. Elle donna un sénéchal du Rouergue, un sénéchal de Carcassonne, deux évêques de Mende dont un fut ensuite Archevêque de Damas et un grand nombre d'officiers de mérite. A tous ces avantages qui lui assurèrent un rang distingué parmi la bonne noblesse du royaume, elle joint celui d'avoir été jurée durant près de trois cent ans dans l'Ordre de Saint Jean de Jérusalem.
Les Lapanouse furent également seigneurs de Cruéjouls, Loupiac, Vilaret, Ceyrac, Servières, Golignac, Pruns et du Colomier. S'il furent bien les plus marquants des seigneurs de la Fabrègue, comme l'ont affirmé certains historiens, leurs droits sur certains mas et terres de la Baronnie d'Aurelle ne furent pas non plus négligeables.
On les y rencontre dès 1254 lors d'un règlement de certains droits à Combefalgoux et Montfalgoux (en Gévaudan) entre le dom d'Aubrac et Déodat de Canilhac. Motet de Lapanouse, chevalier, fut en effet témoin à cette occasion ainsi que le 29 avril 1270 et le 7 février 1271 lors de la sentence arbitrale qui régla le différent entre le seigneur de Canilhac et le Dom d'Aubrac au sujet de certains droits d'usage.
Je montrerai plus loin le rôle des Lapanouse en ce qui concerne la Baronnie d'Aurelle, mais il faut d'ores et déjà préciser qu'ils n'étaient pas les seuls à avoir des droits sur la Fabrègue et donc, du même coup, sur les terres d'Aurelle qui en dépendaient.
Divers actes nous permettent, en effet, de penser que les Marcastel furent co-seigneurs de la Fabrègue. Quant à ce qui concerne Aurelle, nous savons déjà qu'en 1293 Henri de Bénavent, alors chevalier, céda sa moitié à Guillaume Bousquet, Dom d'Aubrac, et c'est ainsi que le Dom en prit possession le 10 août 1294 en présence de nombreux témoins dont Motet de Lapanouse et Hugues de Marcastel, tous deux chevaliers qui à ce moment là devaient être co-seigneurs indivis de la Fabrègue. En effet, Hugues de Marcastel, habitant la Fabrègue, figure déjà sur un accord du 22 mars 1280 entre le seigneur de Canilhac et le seigneur de Bénavent au sujet de la terre d'Aurelle et nous le retrouvons encore le 30 octobre 1302 lors d'une transaction passée avec Guillaume de Villaret, recteur de l'église des Crouzets, agissant l'un et l'autre au nom de leur famille respective.
L'affaire traitée ce jour-là était particulièrement délicate puisqu'elle concernait le repos sacré des ancêtres de l'un. Le recteur avait, en effet, fait édifier un tombeau dans le cimetière des Crouzets aux dépens du chevalier dont beaucoup de parents étaient ensevelis à l'endroit même où avait été construit ce monument. Les deux hommes acceptèrent l'arbitrage de frère Jean Marcel de l'ordre des Prêcheurs sous peine d'une amende de dix livres tournois à celui qui enfreindrait la transaction rédigée aux Crouzets en présence de quelques témoins dont maître Bernard Girel, notaire public de la Baronnie d'Aurelle.
Finalement le même jour, Hugues de Marcastel se démit de l'instance engagée et Guillaume de Villaret lui concéda un autre tombeau dans le cimetière des Crouzets pour lui et les siens. Les droits des Marcastel ne semblent pas avoir été plus important que cela.
Quant aux Lapanouse, nous les retrouvons à Aubrac le 20 juillet 1304. dans l'hommage rendu à Bernard, Dom d'Aubrac, Motet de Lapanouse, IIIème du nom, reconnaît tenir à franc fief de ses ancêtres et des prédécesseurs du Dom la moitié indivise des maisons, jardins, etc… qu'il possède dans les dépendances du château d'Aurelle. Par cette reconnaissance nous apprenons quelles étaient les terres qui dépendaient pour moitié de ce Seigneur de la Fabrègue :
- Dans la paroisse de Lunet : la moitié du mas du Grès, de Born majeur et du Bousquet, sauf ce qu'il a acheté là de Gaucelin de Verlac.
- Dans la paroisse des Crouzets : la moitié indivise du mas de Vialaret et de Merdalhac (actuellement : le Belnom). Quant aux mas qui suivent, avec l'indication expresse qu'ils se trouvent bien dans la paroisse des Crouzets, ils n'existent plus : Las Martos, Assaïrens, Lofon, Péchorenc, Valat de Fabregas, del Sanhis, Mazet, dels Engelats et, pour ce dernier, sous réserve des droits du seigneur de Canilhac. On peut cependant remarquer que "ruisseau des Engelats" est l'ancien nom du ruisseau de Moussaur.
- Dans la paroisse de Verlac : les droits qu'ils possèdent sur le pré et le mas que tiennent les Ségui de Saint-Martin de Montbon et la moitié du mas de Crespiac.
Motet de Lapanouse IIIème du nom mourut en 1307, c'est ainsi que son fils : Motet de Lapanouse IVème du nom, fut institué cette année-là héritier particulier de son père dans ce qui appartenait au testateur à la Fabrègues, à Fabresilles, à Cantaloube et dans les dépendances du château d'Aurelle ; alors que son frère aîné Raoul de Lapanouse héritait des possessions de son père à Lapanouse, au château de Laroque Valzergue, dans la paroisse de Saint-Saturnin, au château de Nogaret et à Trellans.
Il faut préciser que le pouvoir des Lapanouse sur la Baronnie d'Aurelle ne se limitait pas à la simple possession de terres et de mas. Ainsi, le 24 juillet 1335, dans le cimetière de l'église des Crouzets, Motet de lapanouse, damoiseau, en raison de la carence des officiers de justice des seigneurs de Canilhac et d'Aubrac, co-seigneurs de la terre d'Aurelle, compléta l'instruction d'une affaire de meurtre commis au Vialaret par Gailland de Lanc sur la personne de Catherine Laubras "si maltraitée qu'elle mourut dans les quarante jours". Le fils de la victime : Bernard, avait été blessé à la tête, au bras et au pied avec un épée et une lance par Gailland et ses complices : Jean d'Albrac et G. de Valdonnes, des environs de Lassouts. Pendant que les agresseurs prenaient la fuite sur le Puech, les gens criaient : "Als murtriars! Als accessis:" (aux meurtriers! aux assassins!). Motet de Lapanouse requit acte en présence de témoins, d'un notaire et de Pierre Hue, alors recteurs des Crouzets.
Comme on peut le constater à cette occasion, le pouvoir des Lapanouse était loin d'être négligeable puisqu'ils n"hésitaient pas à se substituer aux officiers de justice des co-seigneurs d'Aurelle sans pourtant déchaîner la colère de ces seigneurs.
Mais, comme l'on peut s'en douter, la cohabitation de ces trop nombreux seigneurs ayant des droits sur la terre d'Aurelle : les Bénavents Comtes de Rodez, les Doms d'Aubrac, les Canilhac et les Lapanouse posait parfois problème, chacun attendant l'occasion de spolier l'autre.
Il est encore question des seigneurs de la Fabrègue lors de la reconnaissance consentie au Dom d'Aubrac pour le mas de Merdalhac (le Belnom) le 8 mars 1395 : "ce mas relève pour moitié de Guyon de Lapanouse, seigneur de Fabrègue et pour autre moitié du seigneur de Canilhac et du Dom d'Aubrac comme co-seigneur d'Aurelle". Dans l'indication des limites de ce terrain est cité le mas del Rigonès, disparu ou non identifié. Ajoutons pour l'anecdote que cet acte fut passé au presbytère de Lunet.
Guyon de Lapanouse testa le 20 septembre 1573, " il désigna pour sa sépulture le chœur de l'église des Crouzets où déjà reposait son père".
Bien que les Lapanouse n'aient donc jamais porté le titre de co-seigneurs d'Aurelle, l'importance de leurs droits sur certains mas de cette Baronnie m'interdisait de les passer sous silence, quitte à détruire la vision simpliste d'une longue liste de seigneurs successifs ayant tous les mêmes droits de père en fils, ce qui ne fut pratiquement jamais le cas.
7/LES DOMS D'AUBRAC
CO-SEIGNEURS D'AURELLE
DE 1293 A 1516
Le monastère d'Aubrac fut créé vers 1120 par un Flamand Adalard qui, s'étant perdu deux fois dans la forêt d'Aubrac, avait fait vœu à deux reprises d'y fonder un refuge pour les pèlerins égarés ou victimes eux aussi de la tourmente (violente tempête de neige) dont on ne retrouve les corps qu'au printemps suivant. Il voulait ainsi assurer la protection des voyageurs qui couraient constament le risque d'être attaqué par des pillards sans scrupules en traversant cette contrée sauvage.
C'est ainsi que du XIIè siècle à la révolution, les Doms d'Aubrac et leurs moines-chevaliers furent de grands seigneurs dans notre région.
En 1293, Henri de Bénavent céda la moitié de la Baronnie d'Aurelle à Guillaume Bousquet, Dom d'Aubrac. Celui-ci en prit possession le 10 août 1294, en présence de nombreux témoins qui portaient des noms qui pour la plupart nous sont encore familiers : Gardes, Bach, Vidal, Pagès, Védrines, Brenguier, Aubert, Ferrand, Bousquet,etc…
Au mois de mars 1299, Henri de Bénavent, alors Comte de Rodez, promis au Dom et aux religieux d'Aubrac "de ne point aliéner sans leur consentement, par échange ni autrement, le fief qu'ils tiennent de lui, ni la supériorité de leur château d'Aurelle", qui leur appartenait alors par indivis avec les Beaufort-Canilhac.
Le Dom d'Aubrac rendit hommage au Comte de Rodez le 6 septembre 1403. dans l'acte rédigé à cette occasion par Nielli, notaire de l'hôpital d'Aubrac, sont désignés : "Saint-Martin de Montbon, le Minier, les Escoudats, Brunho, Vieurals, le Cau, le mas Mazet, Merdalhac (le Belnom), le Vialaret, la Fabrègue, Fabreguette, Latra, Engelats, les Crouzets", ces mas faisaient alors partie de la paroisse des Crouzet et par indivis du mandement du château d'Aurelle ; "les mas de Rausiac, la Bastide, Lunet, le Four del Mas, la Romiguière basse et haute, les mas de Balme, Raufiac, Codersals, Tournecoupe, le Bousquet, le Grès, la Bayssière, Born, la moitié du mas de Jonquière, étaient situés sur la paroisse de Lunet."
Si nous parcourons l'état des fiefs de la Baronnie d'Aurelle nous constatons que, dans ces deux paroisses des Crouzet et de Lunet, l'indivision entre les Doms d'Aubrac et les Beaufort-Canilhac doit être désignée dans le bétail. Ainsi au Bru à Merdalhac, à Niel, au Bousquet etc… trois partie relèvent du baron ou vicomte d'Aurelle, la quatrième partie de la dômerie d'Aubrac et, pour certaines terres des Crouzets, on excepte celles qui relèvent de Motet de Lapanouse autre co-seigneur directier de terres qui se trouvent dans les limites de la Baronnie d'Aurelle.
Les Doms d'Aubrac étaient, eux aussi, seigneurs directiers de la Baronnie d'Aurelle, c'est à dire qu'ils confiaient leurs terres à des tenancier qui leurs versaient divers droits. En contre-partie, le tenancier jouissait de la propriété effective du domaine que lui confiait le seigneur.
Les Doms d'Aubrac furent donc co-seigneurs directiers de la terre et Baronnie d'Aurelle qu'ils possédaient par indivis avec les Beaufort-Canilhac jusqu'en 1516. malgré cette possession commune, les religieux continuèrent à rendre hommage à leurs co-seigneurs bien après 1294. nous pouvons citer les hommages du 10 juillet 1303, du 8 juillet 1316, du 5 août 1422 et du 22 octobre 1482.
Il faut savoir, pour comprendre cela, que les Canilhac avaient fait divers dons au monastère d'Aubrac, comme bien d'autres seigneurs, et que le Dom d'Aubrac était de ce fait vassal de ces puissants seigneurs qui lors de leur importantes donations s'étaient réservés l'hommage féodal. Les fiefs possédés par la dômerie relevaient, en effet, de quelques seigneurs principaux : du Roi de France pour les possessions en Gévaudan, du Comte de Rodez en sa qualité de seigneur des montagnes et des quatre châtellenies du Rouergue, des marquis de Canilhac, de Peyre et d'Apcher. Mais le Dom d'Aubrac n'en restait pas moins un très grand seigneur qui siégeait même aux Etats du Gévaudan comme les barons de cette province.
Le plus célèbre des Doms fut, sans nul doute, Antoine d'Estaing, l'évêque d'Angoulême. Il fut d'abord chanoine et sacritain de Rodez, prévôt de Villefranche de Rouergue, prieur de Langogne, Dom d'Aubrac après son oncle Jean d'Estaing, doyen et Comte de Lyon et, enfin, en 1506 évêque d'Angoulême après Hugues de Bosc.
Le roi, Louis XII lui avait fait l'honneur de le choisir en 1498 pour être son procureur-général lors de la dissolution de son mariage avec Jeanne de France, et l'avait nommé Conseiller du Grand-Conseil, puis fut Conseiller-Clerc au parlement de Toulouse, poste qu'il quitta quand il fut promu à l'évêché d'Angoulême en 1506.
En 1509, il souscrivit au testament du Cardinal Georges d'Amboise, Ministre d'Etat, et trois ans après se trouva au concile de Pise où il soutint fortement les intérêts de la France contre les prétentions de la cour de Rome. Antoine d'Estaing était l'homme de son temps qui connaissait le mieux les fondements de l'Eglise gallicane, et qui fut le plus zélé pour la discipline, d'où ses nombreux succès.
Ce prélat eut aussi de fréquents contacts avec les milieux littéraires et scientifiques de l'époque, Nicolas Bohier lui dédia d'ailleurs les commentaires qu'il avait faits sur le traité "de l'electione de Mandagot."
Louise de Savoie, Duchesse d'Angoulême, mère du roi François Ier, l'honora de son estime. Elle souhaitait la canonisation de Jean-Le-Bon, duc d'angoulême, son beau père en réputation de sainteté. Antoine d'Estaing fut délégué par le Saint-Siège pour travailler au procès-verbal, mais il ne put l'achever car il mourut empoisonné dans son château de Varès près d'Angoulême, le 28 février 1523. son corps fut enterré dans l'église de la Dômerie d'Aubrac, où l'on voit encore son effigie revêtue d'habit pontificaux, ses armes et son épitaphe à la porte du chœur.
En ce qui concerne la Baronnie d'Aurelle, ce fut ce Dom d'Aubrac qui prit part au partage de la Baronnie avec Jacques de Beaufort, son co-seigneur, le 18 octobre 1516.
8/LES BEAUFORT-CANILHAC
CO-SEIGNEURS D'AURELLE
DE 1254 à 1728
Armoiries des Canilhac :
- Leurs premières armes étaient des armes parlantes : un chien du patois "canihas".
- "d'azur au lévrier rampant d'argent, coléré et onglé de gueules, à la bordure denticulé d'argent.
Les armoiries des Beaufort :
- "d'argent, à la bande d'azur accompagné de six roses de gueules, trois en chef et trois en pointe."
Les armoiries des Montboissier :
- "d'or semé de croisettes de sable, au lion du même brochant."
On ne peut pas parler d'Aurelle en passant sous silence l'influence qu'exercèrent sur cette seigneurie les seigneurs de Canilhac qui la possédaient en parallèle avec Henry de Bénavent, puis avec les Doms d'Aubrac, et, enfin, seuls après le partage de la Baronnie entre co-seigneurs, soit quatres siècles durant.
Cette lignée fut particulièrement puissante, tant dans notre région, que dans les provinces voisines. Elle donna, en effet, naissance à plusieurs hommes remarquables mais aussi, il faut le dire, à d'autres moins honorables qui acquirent une bien triste célébrité en leur temps.
"Il est curieux, écrit Charles Feugères, d'observer d'une province à l'autre, l'expansion de la maison de Canilhac. Son histoire se mêle à celle du Languedoc, du Rouergue, de l'Auvergne, et même du Limousin et du Quercy. Cette illustre maison fournit pendant plusieurs siècles au ban royal : des hommes d'armes, à l'Eglise : deux papes, un cardinal, des évêques, des abbés, seigneurs magnifiques et parfois prodigues, ses fils sont à l'ordinaire d'âpres conquérants, opiniâtres à défendre leurs droits, à les étendre même au dépens d'autrui quand s'offre l'occasion. Possessifs et querelleurs avec leurs voisins, ce voisin fut-il le Roi de France, ils se prêtent volontiers aux avantageux compromis et savent, par d'utiles alliances, accroître d'années en années leurs richesses territoriales."
Parmi leurs alliances, il faut en citer une plus particulièrement : celle avec la lignée des Rogier qui prit plus tard, le nom des Beaufort et d'où était issus bien des personnages illustres.
- Ainsi Pierre Rogier, fils de Guillaume, natif du Limousin, cardinal en 1338, succéda le 7 mai 1342 au Pape Benoît XII, sous le nom de Clément VI. Il mourut à Avignon, où les Papes fixèrent leur résidence de 1309 à 1397. Le 6 décembre 1352 il fut enseveli à l'Abbaye de la Chaise-Dieu où les hérétiques pillèrent son tombeau.
- Raymond de Canilhac, pour sa part originaire du Gévaudan, archevêque de Toulouse en 1347, Cardinal en 1350, obtint onze voix au conclave de 1362. Il mourut le 20 juin 1373 à Avignon où il fut enseveli dans l'église des Pères Mineurs.
- Dieudonné de Canilhac, quant à lui, fut évêque de Saint-Flour au XIVème siècle.
- Hugues Rogier, religieux de Saint Benoît, puis cardinal évêque de Tulle, était le frère de Pierre Rogier qui, nous l'avons vu fut le Pape Clément VI, et l'oncle de Pierre Rogier de Beaufort, Pape lui aussi, comme nous le verrons sous le nom de Grégoire XI. Hugues Rogier, quant à lui, obtint quinze voix sur vingt au conclave de 1362, mais il supplia le Sacré-Collège de ne pas maintenir son vote. Les ecclésiastiques se plièrent à son choix, heureusement puisqu'il mourut l'année suivante.
- Pierre Rogier de Beaufort, neveu de Clément VI, cardinal à 17 ans, succéda le 4 janvier 1371, sous le nom de Grégoire XI, à Urbain V de la famille gévaudanaise des Grimoard. Ce fut lui qui décida de transférer le Saint-Siège à Rome pour apaiser les désordres causés à cette époque là par les Florentins alliés aux Romains, ce sur les instances de Catherine de Sienne. Il arriva à Rome le 7 janvier 1376 et y mourut le 27 mars 1378.
- D'autres se signalèrent au service du Roi, ainsi, par exemple, Jean de Beaufort, Marquis de Canilhac, qui défendit la ville de Saintes contre les protestants en 1570.
Voici donc une galerie familiale qui n'a rien à envier à celle des Rois de France, mais, hélas, les Beaufort-Canilhac d'Aurelle feraient, eux, bien piètre figure aux côtés de leurs lointains cousins!…
Mais mieux vaut d'abord essayer de voir quelles furent les vicissitudes généalogiques de cette lignée de Seigneurs d'Aurelle, puisque cette Baronnie fut possédée successivement par trois grandes familles : les Canilhac, les Beaufort, puis les Montboissier.
LES CANILHAC :
L'origine des seigneurs de Canilhac, d'abord suzerains des Castelnau d'Aurelle puis eux-mêmes co-seigneurs d'Aurelle, se perd dans la nuit des temps.
Deusdet, Gaucelin, Pierre, Bernard, Raynau, Rigal, Richard, Raymond, Gérard et Raoul de Canilhac frères et Pierre fils de ce dernier, sont nommés dans diverses chartes des années 1058, 1060 et 1075.
Olabert de Canilhac est, lui, cité en 1112.
Astorg de Canilhac, abbé de Saint Victor de Marseille en 1180, mourut en 1190.
A cette époque là, la postérité masculine de la maison de Canilhac s'éteignit en une fille qui en apporta les biens dans la maison de Séverac ; mais de ce mariage ne naquit aussi qu'une fille Irdoine de Séverac. Celle-ci épousa d'abord Guillaume, Comte de Rodez, dont elle n'eut pas d'enfants et, en second lieu, vers 1209, Déodat de Caylus qui la rendit mère de Gui, seigneur de Séverac, et de Déodat qui eut en partage les terres des Canilhac : Saint Laurent, Estable et Bonneterre. Il prit le nom et les armes de la maison des Canilhac et en continua la descendance.
On trouve sa trace dès 1254 lors d'un règlement avec le Dom d'Aubrac Durand, au sujet de certains droits d'usage à Combefalgoux et Montfalgoux en Gévaudan.
Les terres des Canilhac composaient, en effet la deuxième des neuf baronnies du Gévaudan, dont les possesseurs siégeaient par tour aux Etats du Languedoc. Cette Baronnie comprenait : Canilhac, Banassac, Miège-Rivière, les Clergues, la Ferrière, Malvin, Saint Germain du Teil, Mories et les châteaux de Montjésieu et de Combret.
Déodat de Canilhac, encore vivant en 1257, eut entre autre enfant : Guillaume qui épousa vers 1280, N. de Deaulx, sœur du cardinal Bertrand de Deaulx vice chancelier de l'église romaine. De cette union naquit notamment, Marquès de Canilhac qui épousa vers 1320, Alixent de Poitiers. Il n'eut qu'une héritière : Guérine, dame de Canilhac, mariée en 1345 avec Guillaume Rogier, deuxième du nom, auquel elle apporta les biens de sa maison, dont la terre de la Baronnie d'Aurelle.
LES ROGIER-BEAUFORT:
Guillaume Rogier, deuxième du nom était Comte et seigneur de Beaufort en Anjou. Il se maria trois fois et ce ne fut qu'en seconde noce qu'il épousa Guérine de Canilhac, héritière de son nom. De cette union naquit un fils : Marquès de Beaufort, vicomte de la Motte. Ce fut lui l'auteur de la branche des Beaufort-Canilhac, qui est considérée comme l'une des maisons les plus illustre de France grâce à ses alliances, mais nous ne verrons que l'attitude de ce Marquès de Beaufort-Canilhac ne fut guère à son honneur durant la guerre de cent ans.
Quoiqu'il en soit, son grand oncle maternel : le cardinal Raymond de Canilhac, lui donna la terre de Saint-Laurent le 3 juillet 1366. Ce Marquès de Beaufort-Canilhac épousa en seconde noces Eléonore d'Anduze dont il eut deux fils : Louis et Jacques.
L'aîné, Louis de Beaufort, marquis de Canilhac, Comte d'Alais, vicomte de la Motte et de Valerne, chevalier et chambellan du Roi, épousa d'abord Jeanne de Norry qui lui donna cinq fils et cinq filles, dont l'une épousa, en 1459, Jean de Montboissier, deuxième du nom. Tous les enfants de Louis de Beaufort moururent sans postérité. Il épousa en seconde noces Jeanne de Montboissier dont il n'eut point d'enfants.
Ce fut donc son frère cadet, Jacques de Beaufort qui lui succéda. Celui-ci épousa Jacqueline, fille de Jean V, sire de Créqui, et de Louise de la Tour, dont il n'eut pas d'héritier.
Il décida donc de donner, par contrat du 31 avril 1511 (sic), à Jacques de Montboissier, son filleul et petit neveu, le marquisat de Canilhac, le Comté d'Alais, les vicomtés de Valence et de la Motte, et toutes ces autres terres ou seigneuries dont Aurelle et Saint Laurent d'Olt, à la condition expresse que Jacques de Montboissier accepte en contrepartie de porter le nom et les armes des Beaufort, ce qu'il fit.
LES MONTBOISSIER-BEAUFORT:
Ce Jacques de Montboissier était le petit fils de Jean de Montboissier, troisième du nom, seigneur d'Aubusson, qui avait épousé en 1459 Isabeau de Beaufort-Canilhac ; et le fils de Jean IV, baron de Montboissier et de Marguerite de Vienne.
Respectant la volonté de son grand oncle et parrain, Jacques de Beaufort, il abandonna le nom de Montboissier pour porter celui de Beaufort.
Il épousa, en 1513, Françoise de Chabannes fille de Jacques de Chabannes, seigneur de La Palice, Maréchal et Grand Maître de France, et de Jeanne de Montbéron, et assura ainsi la descendance indirecte des Beauforts comme ceux-ci avaient assurée celle des Canilhac.
Ce fut également ce Jacques de Beaufort qui assura le partage de la Baronnie d'Aurelle avec les Doms d'Aubrac.
Si l'on peut donc parler des Canilhac, seigneurs d'Aurelle, il ne faut cependant pas oublier que cette lignée s'est par la suite alliée à celle des Beaufort pour assurer sa descendance et donner ainsi naissance aux Beaufort-Canilhac qui, eux-mêmes sans descendants directs, léguèrent leurs biens à un Montboissier qui voulu bien perpétuer leur nom au détriment du sien, et que ce furent donc ses descendants qui furent seigneurs d'Aurelle, sous ce même nom de Beaufort-Canilhac jusqu'en 1728, date à laquelle cette terre passa à Jean de Fajole.
9/LES CO-SEIGNEURS D'AURELLE
DANS LA GUERRE DE CENT ANS
L'invasion anglaise débuta dès 1345 par le siège de Saint-Antonin dans le bas Rouergue. Après maintes péripéties les anglais l'emportèrent d'assaut et s'y fortifièrent. Face à cette victoire ennemie, les bourgs en présence du "fléau anglais" réparèrent leurs fortifications ou construisirent de nouveaux remparts. Ainsi la tour dite "des anglais", qui existe encore à Aubrac, fut construite en 1353, au moment même où l'ennemi incendiait les forts de Lacalm et de Laguiole. C'est aussi à cette période là, semble-t-il, que furent construits les souterrains dits : "cave des anglais" ou "trou des anglais", comme celui qui existe encore dans les bois au dessous du villages de Mazes.
Pour sa part le Dom d'Aubrac Pierre Allo, co-seigneur d'Aurelle, sollicita du Comte d'Armagnac l'autorisation de mettre en sûreté, dans les forts de Prades et des Bourines, tout ce que le monastère possédait de plus précieux : calices, reliques, parchemins et bulles papales concernant l'abbaye. Il y fut autorisé par le Comte de Rodez après une inspection de ces deux forts confirmant qu'ils étaient en mesure de soutenir un siège éventuel.
Malgré toutes ces mesures de sécurité, une bande de cinq cents anglais sortirent du château de Saint-Antonin, en décembre 1356, et ravagea le Rouergue. Deux milles autres, venant du Quercy, surprirent Millau et arrivés à Entraygues, ils gagnèrent les Monts d'Aubrac d'où ils emportèrent un riche butin.
En 1360, les anglais furent victorieux : le traité de Brétigny soumis une partie de la France à leur joug. Le prince noir, nommé vice-roi de Guyenne gouverna le pays et reçu en 1363, les serments de la Noblesse, du clergé et des "communes" du Rouergue. Quelques années plus tard, des soldats licenciés groupés sous la conduite d'aventuriers semèrent partout la terreur : pillant et incendiant maintes localités.
Le Dom Pierre Ycher dut leur verser une forte rançon pour la libération des prisonniers qu'ils avaient faits, et pour le rachat du bétail qu'ils avaient volé à l'abbaye.
L'hôpital d'Aubrac obtint bien du roi Jean des lettres de sauvegarde et l'autorisation d'ériger à Aubrac et sur les terres qui en dépendaient les piloris et des fourches patibulaires. Mais à quoi pouvait bien servir la perspective des châtiments quand les pillards venaient en nombre imposant et armés?
C'est ainsi que, comme ses prédécesseurs, le Dom Aymeri de Peyrou dut traiter à son tour avec l'ennemi qui respecta ses engagements dans un premier temps. Mais cela ne dura pas et, en 1375, nos montagnes furent à nouveau mises à sac par ces bandes forcenées.
Entre temps, certains seigneurs locaux n'avaient pas hésité à prendre position pour l'ennemi. Ce fut le cas de Marquès III de Canilhac, co-seigneur d'Aurelle qui offrit le château de Saint-Urcize à Bertuat d'Albret, capitaine gascon, auteur d'amples razzias sur les terres de l'hôpital d'Aubrac. Ce Marquès, bien que condamné à mort par contumace par le parlement, ne cessa de chercher querelle au Dom d'Aubrac, autre co-seigneur d'Aurelle. Il voulu, par exemple, enlever les poutres et les palissades destinées aux fortifications de l'église d'Aubrac, le Dom refusa énergiquement et en référa au Roi, Charles VI, qui donna une nouvelle fois des lettres de sauvegarde et maintint le monastère dans ses droits.
En 1375, une information fut ordonnée par Jean, Comte d'Armagnac, sur les "dommages, ravages, meurtres et enlèvements faits par les anglais et ceux de leur parti dans les terres du Rouergue pendant la trève faite par les rois de France et d'Angleterre." La première enquête est du 5 novembre, la dernière du 18 décembre 1375.
C'est ainsi que le 20 novembre de cette année là, Jean de Golinhac, capitaine du château de Saint-Geniez, accompagné de Bermon de Colinette, notaire, arriva à Lunet, terre d'Aurelle appartenant à l'hôpital d'Aubrac et au seigneur de Canilhac. Là, ils interrogèrent sous serment Jean Melli, Jean Salet et Déodat Adémar "prudhommes et taillayres" (leveur de taille). Ceux-ci déclarèrent que les anglais "venant de Carlat, à la fête de Saint-Michel l'archange, leur avaient volé, tant en blé qu'en argent, une somme de 90 francs or." Jean Ruphi, du Four del Mas, terre d'Aurelle, déclara qu'ils avaient volé divers objets et denrées, poules et saucisses pour la valeur de 5 florins d'or. Raymond del Bru et Hugo del Bru, habitant le hameau du Bru, déclarèrent avoir été délestés de lard, seigle et avoine pour une valeur de 2 francs or.
Malgré ces spoliations, Marquès de Beaufort, seigneur de Canilhac, continua de soutenir les anglais en faisant démolir l'église Saint Pierre d'Aurelle, bâtie au sommet d'un rocher, sous prétexte qu'elle risquait d'être prise et fortifiée par l'ennemi. N'aurait-il pas mieux fait de la défendre si c'était là son souci?…
En 1738, il restait encore des traces de cette antique chapelle, qui mesurait huit cannes de long et deux cannes deux pans de large dans l'œuvre, mais on n'en trouve plus aujourd'hui sur cette crête de rocher.
La démolition de ce monument était une affaire grave, ce seigneur et ses hommes allaient devoir subir les conséquences de leur acte irréfléchi… C'est ainsi que Déodat Gentou de Verlac et Jean Arribert de Saint-Martin de Montbon comparurent en la cour spirituelle de l'évêque de Rodez, le 4 juillet 1383 en tant que procureurs de diverses personnes de Naves, Verlac, Saint-Martin de Montbon et Lunet, habitants de la terre d'Aurelle, comme ils le prouvèrent par une procuration reçue à Naves, dans le cimetière de l'église, par Etienne Sine Terris (sans terre). Comparurent en même temps : Marquès de Beaufort, seigneur de Canilhac, Pierre Girbaldi, prieur de l'église de Saint-Martin de Montbon, Amalric de Séverac, Archidiacre-Mage de l'église de Rodez, et maître Etienne Sine Terris, notaire et secrétaire du seigneur de Canilhac et de ses complices.
Ils durent répondre des faits suivants :
Le mercredi avant la Saint-André 1382, réunis à Aurelle en armes, ils s'étaient rendus à la chapelle ou église Saint-Pierre d'Aurelle, avaient enlevé le "Corpus Christi" les Saintes Reliques et images des saints, qu'ils avaient transférées "sans luminaire ni révérence" dans la maison de Jean Védrunes, laïc, les y laissant la porte fermée, jetés à terre.
Ils avaient ensuite emporté les cloches de l'église ainsi que les fonds baptismaux, détruit l'autel où le "Corpus Christi" est sanctifié, et enfin démoli de fond en comble l'église bâtie en des temps très anciens, commettant ainsi un sacrilège très grave.
Les procureurs des habitants et le seigneur de Canilhac se soumirent à la sentence que prononça l'évêque et sollicitèrent l'indulgence.
La sentence fut celle-ci :
L'église devait être rebâtie et ornée de tout ce qui était alors nécessaire au service divin dans le délai d'un an. La première messe devait être prononcée en présence du délégué de l'évêque, le seigneur de Canilhac devait y assister en offrant en l'honneur de Dieu, des saints Pierre et Paul, un cierge de quatres livres de poids ; vingt hommes choisis par lui parmi ceux qui avaient pris part à la démolition de l'église, devaient également y assister avec une chandelle de cire de la valeur de dix tournois et ils devaient aller de l'entrée de l'église à l'autel "en tunique, sans capuce et sans ceinture, pieds nus et à genoux" à raison de l'offense faite à l'église. Au cours de cette première messe, le curé devait expliquer comment la faute avait été commise et les coupables devaient faire pénitence "en la forme habituelle". De plus comme ils avaient sciemment ignoré l'autorité de l'évêque en démolissant la chapelle de leur propre chef, ils durent payer 300 francs or à convertir en œuvres pies.
Grâce à l'intervention des deux cardinaux d'Arles et de Limoges, l'évêque leur accorda l'absolution de l'excommunication portée à leur encontre.
Les procureurs des habitants de la terre d'Aurelle ratifièrent la sentence. Parmi les témoins se trouvait Raymond, abbé de Bonneval et Aymeric de Mercato, official de Rodez. L'acte fut reçu dans la chambre de l'évêque, Bertrand de Raphin, le 11 juillet 1383, par Boyssonade, notaire épiscopal.
Il est intéressant de noter ici, que l'évêque en question, originaire de la Raphinie, près de Lédergues, avait longtemps séjourné auprès du dernier pape d'Avignon : Grégoire XI, de la maison de Beaufort, unie à celle des Canilhac, ce qui ne l'empêcha pas de faire preuve de fermeté à l'égard du seigneur de Canilhac qui avait encouru, par sa seule responsabilité, un très grave châtiment.
C'est ainsi que le 3 avril 1384, Jean Ségur, vicaire général, ordonna à Déodat Laurent, moine de Bonneval, de se transporter à Aurelle afin de faire édifier une nouvelle chapelle sur l'emplacement concédé par les co-seigneurs d'Aurelle et d'en dresser acte.
Celui-ci remplit sa mission le 14 avril 1384 en présence de Déodat Laurent Yverni, licencié en décrets, procureur de Pierre, Dom d'Aubrac, et de Guillaume de Trescas, procureur de Marquès de Beaufort. Après les explications des habitants des paroisses de Saint-Martin de Montbon, des Crouzets, de Lunet et de Verlac, les deux procureurs concédèrent à Aurelle un pré confrontant au midi avec un cazal du Gentilhomme Romiguière, chevalier, et en bas avec l'orme de la place d'Aurelle.
L'évêque approuva l'emplacement choisi, et le terrain où s'élevait auparavant l'ancienne église démolie, au sommet d'un rocher, fut entouré d'un mur pour éviter "qu'il ne se commette rien d'indécent dans ce lieu considéré comme consacré."
Ici s'achève la mésaventure de Marquès III de Canilhac, le seigneur d'Aurelle qui joua avec le feu anglais et la foudre divine, mais on peut cependant se demander comment se termina l'occupation anglaise en Rouergue.
La lutte contre l'anglais avait été incessante dans les domaines juridiques et diplomatiques pendant quatres ans, puis par les armes. C'est ainsi qu'en avril 1370 "le Rouergue était redevenu français", mais le combat continua longtemps encore contre les compagnies anglaises et leurs chefs : Ramonet de Sort, Bort (bâtard) de Garlenc, Chopin de Badefol et Mérigot Marquès.
Le Roi Charles VI s'émut de cette situation et délégua son chambellan : Jean de Blaisy pour mener à bien "le rachat des places encore occupées par des routiers, en exécution du traité de Mende" (1391).
C'est ainsi que les dernières bandes abandonnèrent leurs forteresses et suivirent finalement le Comte Jean III en Lombardie. Une page d'histoire de plus était tournée.
10/LE PARTAGE DE LA BARONNIE D'AURELLE EN 1516
Nous savons que la terre d'Aurelle était une co-seigneurie depuis que les Bénavent, Comtes de Rodez en avaient racheté la moitié aux Castelnau d'Aurelle en l'an 1200. De co-seigneurs en co-seigneurs cette Baronnie était arrivée aux mains des seigneurs de Canilhac et des Doms d'Aubrac.
Nous avons également vu que cette possession commune n'allait pas sans problème, notamment au cours de la guerre de cent ans.
C'est ainsi qu'eut lieu en 1516, le partage de la Baronnie d'Aurelle appartenant à ce moment là à Antoine d'Estaing, Dom d'Aubrac, et Jacques de Beaufort, seigneur de Canilhac.
Le 18 octobre 1516, Barthélémy Planhard, chef de la commanderie de Chirac (en Lozère), délégué du Dom d'Aubrac, procéda au partage "des cens, rentes, champarts et autres droits seigneuriaux de la terre d'Aurelle par paroisses villages ou tènements."
Ainsi les paroisses de Saint-Martin de Montbon, Naves et de Verlac furent affectées au fiefs des seigneurs de Canilhac ; celles de Lunet et des Crouzets aux fiefs du monastère d'Aubrac.
Cependant les co-seigneurs laissèrent provisoirement en commun trois montagnes : Alteteste, Lous Cats et Tournecoupe, ainsi que les bois qui en dépendaient.
Ce partage, bien que réduisant définitivement la terre d'Aurelle de moitié puisque la part des Doms faisait désormais partie des terres d'Aubrac, n'en était pas moins très nécessaire. Les co-seigneurs d'Aurelle mettaient ainsi fin à une rivalité de trois siècles, où chacun avait essayé d'étendre ses droits au détriments de l'autre et de lui imposer sa loi.
Ainsi la terre d'Aurelle, dont nous allons continuer de parler, ne comprendra plus que les paroisses de Naves, Verlac et de Saint-Martin de Montbon (Vieurals compris) c'est à dire les trois paroisses qui forment l'actuelle commune d'Aurelle-Verlac.
Il faut cependant noter que les Doms restèrent seigneurs de la partie qui leur revenait jusqu'à la Révolution, les Beaufort-Canilhac, eux, jusqu'en 1728 seulement.
11/JEAN ANSELME DE FAJOLE
MAIRE PERPETUEL DE SAINT-GENIEZ
ET BARON D'AURELLE DE 1731 à 1738
Armoiries : "d'azur, au frêne d'or,
Accosté de deux épées en pal"
Jean Claude Anselme de Fajole, sieur de la Ferrière, était non seulement maire perpétuel de Saint-Geniez d'Olt, mais aussi conseiller-secrétaire du Roi Louis XV, ce qui -nous le verrons- eut une importance pour la terre d'Aurelle. Il était également contrôleur à la Chancellerie de Toulouse par lettre patente du Roi du 3 janvier 1701.
Il avait épousé le 1er octobre 1700, Catherine de Balsac, fille d'André de Balsac, président de la cour des aides de Montauban, et de Marie de la Teule, dame du Claux et de Firmi. Sept enfants légitimes naquirent de cette union.
La lignée des Beaufort-Canilhac s'étant éteinte en un dernier mâle anormal, le maire de Saint-Geniez d'Olt devint adjudicataire de la Baronnie d'Aurelle vers 1728, mais il n'acheta vraiment la succession des Canilhac que le 26 octobre 1731.
La terre d'Aurelle ne tarda cependant pas à passer aux mains des Layrolle, en la personne de Gilles de Layrolle qui l'acheta dès 1738.
La tradition orale rapporte à ce sujet une histoire intéressante mais forcément omise dans les actes et traces écrites de toute sorte étant donné sa teneur. Elle nous apprend en effet que Jean de Fajole, maire de Saint-Geniez d'Olt, marié comme nous l'avons vu, aurait eu une maîtresse qui n'était autre que Catherine de Layrolle, mariée elle aussi et mère du futur baron d'Aurelle : Gilles de Layrolle.
Plus troublant encore, cette même Catherine de Layrolle aurait également été l'une des maîtresses de Louis XV, la plus célèbre demeurant bien sûr la marquise de Pompadour.
Et cette Catherine de Layrolle eut donc un fils : s'agissait-il d'un fils légitime de son mari Pierre-jean de Layrolle, d'un bâtard de Jean de Fajole ou de Louis XV ? Question insoluble, ces trois possibilité étant envisageables.
Quoiqu'il en soit, il semble que Gilles de Layrolle n'ait dû la Baronnie d'Aurelle qu'aux faveurs que sa noble mère avait accordées au Roi et au maire perpétuel de Saint-Geniez d'Olt, qui était aussi, ne l'oublions pas, conseiller-secrétaire de Louis XV.
Aux dires de certains, Jean de Fajole aurait, en effet, vendu la terre d'Aurelle au fils de Catherine de Layrolle pour un prix modique, assumant ainsi un éventuel devoir paternel.
D'autres vont jusqu'à affirmer que Louis XV aurait prié son secrétaire d'assumer ce rôle dans l'ombre (mariage oblige !) alors que ce Roi de France était bel et bien le père de l'enfant en question.
Sans aller jusque là, sans oser affirmer que ces rumeurs traduisent la réalité, il n'en demeure pas moins que c'est chose possible dans le contexte de l'époque et que l'histoire méritait d'être contée.
D'ailleurs, après un empereur romain bâtisseur du fort d'Aurelle, après la lignée des Beaufort-Canilhac, barons d'Aurelle, dont la parenté avec deux papes est indiscutable, après une Baronne d'Aurelle qui n'était autre que la propre fille de Jacques de Chabannes, seigneurs de la Palice, pourquoi pas un bâtard de Louis XV seigneur d'Aurelle ? Il ne déparerait guère dans la galerie seigneuriale de cette Baronnie.
En ce qui concerne la terre d'Aurelle, une saisie fut faite le 20 septembre 1738, sur la tête de Jean de Fajole, à la requête de Claude du Buisson, seigneur et marquis de Bournazel. Le document rédigé à cette occasion nous apprend que la Baronnie d'Aurelle comprenait alors : les paroisses de Saint-Martin de Montbon, de Verlac et de Naves, ainsi que le terroir et village des Ginestes ; qu'il s'y trouvait alors 10310 sétérées de terre "à semer en blé", que monsieur Fajole possédait, en outre, dans l'étendue de cette terre la montagne noble de Cazalets, contenant 3000 sétérées, un grand bois et forêt noble appelé "de Valerne", avec "droit d'aforestage à qui bon semble au seigneur, qui est de donner permission de prendre du bois moyennant ce qui en est convenu", contenant 1800 sétérées, et un autre bois et forêt noble de haute futaie appelé "del Cau" de même contenance. Soit 16910 sétérée de terre au total et, la sétérée de Rodez étant de deux hectares et demi, cela nous donne une étendue approximative de 42275 hectares pour la Baronnie d'Aurelle, ce qui, vous en conviendrez aisément, était loin d'être négligeable.
Pour conclure ce chapitre, je ne peux que conseiller aux nostalgiques et aux rêveurs de faire un petit détour par la rue de l'hôtel de ville à Saint-Geniez d'Olt. Ils y découvriront, en effet, au numéro 15, l'ancien hôtel de Fajole, face à l'église des pénitents. Il reste, en particulier, l'ancien portail en bois datant du XVIII ème siècle, une très belle porte cochère, elle aussi en bois, et un remarquable escalier intérieur. C'est là que Jean de Fajole, maire perpétuel de Saint-Geniez d'Olt, résidait quand il était en Rouergue.
12/GILLES ET PIERRE-JEAN DE LAYROLLE
BARONS D’AURELLE DE 1738 A 1788
Il semble que la famille des Layrolle soit originaire de Séverac le Château.
Pierre-Jean de Layrolle, l’époux légitime de Catherine de Layrolle, était secrétaire du Roi Louis XV en 1732.
Gilles de Layrolle, "son" fils, était viguier de Séverac et seigneur des Rogers, comme nous l'avons vu, il obtint donc la Baronnie et terre d'Aurelle de Jean de Fajole dès 1738.
Il épousa Marguerite de Rhodes de Castain, dont il eut dix enfants. Ce fut le huitième, Pierre-Jean de Layrolle, vicomte de la Rivaldie, président de la cour des comptes de Montpellier en 1784, qui hérita de la Baronnie d'Aurelle et devint à son tour Baron, seigneur haut et justicier d'Aurelle.
Ce Pierre-Jean de Layrolle se qualifie, dans un acte de 1784, de "chevalier, conseiller du Roy en ses conseils, président en la souveraine cour des comptes, aydes et finances de Montpellier, Baron d'Aurelle, Revens, Randal." Il résidait quelquefois à Marvejols, ce qui lui valait le surnom de "Monsieur d'Aurelle de Marvejouls"dans notre région.
Il déclara en 1784 les revenus et fonds nobles de la terre d'Aurelle, dont le terroir des Ginestes ne faisait plus partie. Voici ce qu'il déclara :
"Des bois, partie en taille et partie en haute futaie, servant au chauffage et aux outils aratoires de certains villages (les paysans de Moncan contestaient à Monsieur de Layrolle la propriété de ces bois devant le parlement de Toulouse) qui ne rapportait rien ; des censures portables à Saint-Geniez d'Olt qui produisait 109 setiers de seigle, 47 setiers 2 quartes d'avoine ; 70 poules ; 150 livres de fromage (à 5 sols la livre) ; 11 livres et demies de cire ; 166 livres 10 sols 90 deniers en argent ; une taille annuelle de 50 livres, 15 livres pour "droit de dépaissance, dans les communaux de ladite terre", 30 livres de droit de lods, des champarts querables, qu'on levait à raison de la huitièle gerbe, et qui produisaient, une année dans l'autre, 225 setiers de seigle, 60 setiers d'avoine et 40 setiers de blé sarrazin ; la montagne de Cazalets dont "l'herbage" était affermé 200 livres."
Le tout montait à une valeur totale de 3211 livres, 8 sols, 9 deniers dont il fallut lever 300 livres pour frais de levée des champarts et des censures.
Et nous voilà à la veille de la Révolution Française au cours de laquelle, Edouard de Layrolle, fils du dernier Baron d'Aurelle, émigra en Autriche.
Laissons donc les nobles à leur triste sort et essayons plutôt de voir rapidement quel était le lot des petites gens à la veille de ce bouleversement qui mis fin à l'existence de la Baronnie d'Aurelle, terre au passé si prestigieux.
13/LES EPIDEMIES QUI DEVASTERENT LA REGION
L'an 1000 fut marqué en Rouergue par une famine exceptionnelle, mais ce ne fut pas le seul fléau qui sévit au cours des siècles dans notre coin de France.
Ainsi plusieurs épidémies de peste, appelée ici la "mort negra", ravagèrent notre région. Je n'en citerai que deux dont celle de 1348 que l'évêque de Rodez, Vivian de Boyer décrivit en ces termes :
"les villes, les châteaux, les villages sont déserts… plusieurs maisons n'ont plus un seul habitant… les églises, les monastères sont sans ministres… personne pour les ensevelir, les cimetières publics ne peuvent suffire à contenir tous les cadavres."
Et, pendant cinq siècles, ce terrible fléau fit de nombreuses victimes. Il se déclara notamment à Marseille en 1720. La contagion ne put être évitée et la peste arriva jusqu'à Chanac en Gévaudan.
Des précautions avaient pourtant été prises ; les voyageurs devaient, en effet, être porteurs d'un passeport sanitaire prouvant qu'il n'y avait pas d'épidémie dans la ville d'où ils venaient. Ce document n'était en fait qu'un imprimé aux armes du Roi : trois fleurs de lys surmontées de la couronne, avec quelques lignes en blanc pour les mentions manuscrites, qui servait de visa à tous les postes de garde.
Ainsi à Saint-Geniez d'Olt en 1720 "conformément à l'ordonnance de l'intendant, la garde a été établie depuis le deux septembre dans toutes les avenues de la ville. Les gardes ont feu et chandelles la nuit. Ils sont chargés de vérifier les certificats de santé des voyageurs afins d'éviter la propagation de l'épidémie. On fait dire des prières et une messe en l'honneur de Saint Roch et à son autel dans la chappelle de Jouéry ; soir et matin à heures fixes, la grande cloche sonne pour servir de signal à tout le peuple pour qu'il dise à genoux un pater et un ave à même intention."
Mais la peste continue malgré tout son chemin. C'est ainsi que le 18 mai 1721 l'épidémie se propage à la Canourgue et arrive en août à Marvejols.
La Baronnie d'Aurelle, pour sa part, ne semble pas avoir été épargnée, au cours des siècles, par le terrible fléau. En effet d'après un acte de 1292, il y avait cinq hameaux, paroisse de Naves, du nom de : las Chibaldes, Cazalets, les Bouldoires, les Hermes et l'Hermitanie. Tous ont disparu, en 1846 on ne voyait déjà plus que les ruines des Hermes et la tradition orale rapportait alors que tous les habitants de ce village, à l'exception de deux avaient été emportés par la peste. Une histoire de même teneur nous apprend que la hameau des Cats, qui ne se nommait pas ainsi alors, fut lui aussi décimé par la peste. Un seul habitant survécu et quitta les lieux maudits pour s'installer 500 mètres plus haut avec ses chats, d'où le surnom du village "lous Cats" (les chats). Quand on sait les ravages que faisait "la mort negra", il n'y a rien là d'incroyable même s'il n'existe pas d'écrits à ce sujet.
De même l'ancien village de Born, dont on voyait encore les ruines au début du XXème siècle, se trouvait plus au nord, à trois cents mètres du suc ; au temps de la peste tous les habitants périrent excepté un seul qui vint s'établir à "la fontaine de Maloutio" (la fontaine de la maladie).
Mais la peste ne fut pas la seule maladie qui ravagea la Baronnie d'Aurelle. En effet le village des Crouzets, par exemple, eut sa part de malheur en 1719, ce qui provoqua un vœu en 1720 :
"L'an 1720 et le troisième jour du mois de février, furent assemblés les consuls et principaux habitants de la paroisse de Notre-Dame des Crouzets, pour délibérer des mesures qu'il fallait prendre pour arrêter le cours des maladies dont la paroisse était affligée depuis cinq ou six mois, car la dysenterie et le mal chaud avaient causé beaucoup de mortalité.
"Il fut convenu et arrêté unanimement que la paroisse faisait vœu de faire un jeûne toutes les années à perpétuité la veille de la purification de Notre-Dame, et que le jour de la Saint Blaise on ferait une procession en chantant les litanies des Saints Sacrements, qu'on irait à l'oratoire et, les litanies finies, étant de retour à l'église, on chanterait une grand messe en l'honneur de Saint Blaise et de Saint Roch à la chapelle du rosaire. Laquelle messe, je, Jean Costes, prêtre et prieur desdits Crouzets, fonde et établi sur le pré du rosaire."
Les registres indiquent, en effet, 11 décès pour 1719, c'est cette grande mortalité (est-ce la typhoïde?) qui incita les paroissiens à faire ce vœu en 1720, et non la peste qui sévit à Chanac en 1721 après celle de Marseille en 1720.
La paroisse de Naves fut, elle, ravagée par une mystérieuse maladie contagieuse, connue sous le nom de "malandre", qui emporta 30 adultes et 12 enfants au dessous de 10 ans du 3 septembre 1774 au 8 octobre 1775. Aujourd'hui, inconnue des campagnes françaises, elle n'en reste pas moins présente dans les toponymes: la Maladrerie, la Maladrie, La Maladière, lieux-dits disséminés sur tout le territoire, qui prouvent bien l'universalité de ses ravages.
On peut également noter que le 8 février 1817, lors d'une discussion sur les nouveaux cadastres et les limites de la commune d'Aurelle, il fut décidé que celles-ci seraient "fonction des lieux où l'on voit des traces de bâtiments et de Montjoyes, ou pierres très longues plantées lors du cordon sanitaire contre la peste qui affligea le Gévaudan en 1721."
Une autre épidémie mystérieuse se déclara en 1850 et sévit dans tout l'Aubrac. Les prêtres enterraient alors à la sauvette pour ne pas effrayer les populations. C'est ainsi que des cimetières furent entièrement transférés à cette époque là.
Et, plus près de nous, citons pour terminer, la terrible épidémie de typhoïde qui toucha bien des familles à Corbières, aux Escoudats, à Saint-Martin de Montbon et à Aurelle à la fin du XIXème siècle.
14/LA VIE RELIGIEUSE AVANT 1789
Cette brève étude de la vie religieuse avant 1789, va comporter deux éléments essentiels : d'une part les sources de revenus des ecclésiastiques et, d'autre part, la description de quelques antiques monuments religieux de la Baronnie d'Aurelle.
Une des principales sources où j'ai puisé la plupart des renseignements concernant la situation des ecclésiastiques doit être citée. Il s'agit de la "visite pastorale de 1739" effectuée par Monseigneur Laumière, évêque de Rodez, au cours de laquelle il rédigea un procés-verbal pour chacune des paroisses qu'il visita. Ces actes, manuscrits sont parvenus jusqu'à nous et ils méritent d'être cités en partie.
Comme nous l'avons vu, après le partage de la Baronnie d'Aurelle en 1516 entre les co-seigneurs, la part revenant aux Beaufort-Canilhac comprenait trois paroisses : celle de Naves d'Aubrac, celle de Verlac et celle de Saint-Martin de Montbon qui comprenait alors l'actuelle paroisse de Vieurals. Ces trois paroisses étant celles qui composent l'actuelle commune d'Aurelle-Verlac, c'est donc sur elles que va porter cette étude.
1/ paroisse de Naves d'Aubrac :
A l'origine Naves était un prieuré-cure, fondé en 1326 par Hugues Bonnafous, prêtre originaire de ce lieu. Par son testament, celui-ci fit des dons considérables à cette église : soit en vases sacrés, ornements et livres, soit en biens-fonds, à conditions toutefois :
1. que ce bénéfice serait occupé par un prêtre de sa famille quand il y en aurait .
2. que le curé de Saint-Geniez d'Olt en serait collateur. Mais ce dernier fut dépouillé de ce droit, car ce bénéfice était à la collation de l'évêque de Rodez.
C'est par contre à la première clause qu'il faut attribuer la succession des prieurs tous parents qui dirigèrent cette paroisse de 1650 à la fin du XIXème siècle.
Il faut également remarquer que le prieur de Naves jouissait du privilège d'installer le curé de Saint-Geniez d'Olt et vice-versa quand le cas se présentait.
En ce qui concerne les revenus du curé en 1739, voici ce qui ressort de la visite pastorale de Monseigneur Laumière :
"Le curé est seul gros décimateur. On recueille à la disme, années communes, 160 setiers de seigle, les menus grains peuvent aller à une trentaine de setiers et le carnelage à 30 agneaux et à un quintal et demi ou deux quintaux de laine. Le curé jouit, outre cela, de deux pièces de terre qui peuvent lui donner chaque année une demie charretée de seigle, quitte au travail, et de quatres prés qui peuvent rapporter aussi une douzaine de charretées de foin. Ce qui peut revenir au total, non compris les obits et le casuel, à au moins 900 livres."
Le lieu sacré de la paroisse était alors l'ancienne église Sainte-Marie de Naves, dont voici la description :
Son abside était rectangulaire, à voûte d'arête avec nervure saillante. Il y avait une petite rose à la clef de voûte, plus basse que la nef de deux mètres environ. L'arc d'ouverture de l'abside, de style byzantin de transition, retombait sur des colonnes demi-cylindriques avec chapiteaux à feuille de vigne.
La nef, également de style byzantin, était partagée en trois travées par deux arcs doubleaux expirant à la naissance de la voûte et reposant sur des culs de lampes enclavés dans une large corniche qui surmontait les murs latéraux.
Trois chapelles avaient été construites postérieurement à l'ensemble. Celle de Notre-Dame datait de 1688. A cette chapelle et au maître-autel il y avait un bas relief en bois représentant : à la première, les mystères du rosaire ; et au second, Marie couronnée par les trois personnages de la trinité.
Le portail ogival était en grès, la nef et l'abside en tuf.
Sur le devant du portail se trouvait un porche qui supportait le clocher. Celui-ci était une tour, carré oblong, construite vers le milieu du XVIIIème siècle, percée au midi et au nord de deux arcades géminées à plein-cintre. Un peu au dessous de ces arcades, sur le devant du clocher, on trouvait deux autres petites arcades à plein-cintre ; et au dessous de celles-ci, une petite niche ; alors qu'à l'est et à l'ouest on ne trouvait qu'une seule arcade.
Quant à l'actuelle église Sainte-Marie de Naves, il faut savoir que la première pierre en fut posée en mai 1882, et que la consécration de ce nouvel édifice religieux eut lieu le 26 juillet 1884.
2/ Paroisse de Verlac :
l'église Saint-Jacques de Verlac avait été donnée à l'Abbaye de la Chaise-Dieu en Auvergne. Voici ce qui en est dit dans le procès-verbal de la visite pastorale de 1739 :
"les bénédictins de la Chaise-Dieu, sont prieurs de cette paroisse, laquelle est un membre de leur prieuré de Cabrespines. Ils afferment la disme 540 livres qu'on doit leur porter à la Chaise-Dieu et cela quitte de tous les cas fortuits, et de la pension du curé qui consiste en 55 setiers de seigle, mesure de Rodez, et 100 livres d'argent. Le fermier est encore obligé de payer, outre cela, à la décharge desdits religieux, 190 livres à compte de décimes du susdit prieuré de Cabrespines. Le curé jouit d'un temporel qui consiste en un pré environ 8 charretées de foin, et les prémices peuvent lui rapporter 4 ou 5 setiers de blé."
Bien que l'église appartienne à l'Abbaye de la Chaise-Dieu, monsieur de Grimaldi, évêque de Rodez, y établit un vicariat par ordonnace du 10 juillet 1751, qui fut signifiée aux religieux de l'abbaye en question le 21 juillet de cette même année. Le traitement du vicaire, d'abord fixé à 150 livres atteint par la suite 200 livres. Bien entendu, le vicaire n'était pas, comme le curé, à la nomination du chapître de la Chaise-Dieu.
Il y avait également dans cette église de Verlac une chappelennie dite de Saint-Blaise datant du XVème siècle.
Cette église, actuellement classée monument historique, appartient au style roman. L'élégance de ses colonnettes, de leurs chapiteaux, des modillons qui soutiennent les combles, la rend vraiment remarquable.
Deux chapelles ogivales, ajoutées postérieurement, forment le transept et donnent à l'édifice la forme d'un croix latine.
Le clocher, ce carré oblong avec arcades à plein-cintre, a été construit au XVIIIème siècle, par le même maçon qui construisit ceux des églises de Naves et de Lunet.
On peut également noter que cette paroisse était membre de la confrérie de la Bonne-Mort à la fin du XIXème siècle.
3/ paroisse de Saint-Martin de Montbon :
Notons tout d'abord que prieuré et cure valaient 100 livres aux titulaires en 1515.
Voici ce que notait Mgr Laumière en 1739 en ce qui concerne cette paroisse :
3/ Il y a deux chapelles rurales, l'une au village de Vieurals, distante de l'église paroissiale de cinq quarts d'heure de chemin, où l'on dit la messe avec permission ; l'autre est au village d'Aurelle, éloigné de ce lieu d'environ une heure de chemin. On dit que c'était autrefois une annexe de cette paroisse; l'usage est d'y aller dire la messe seulement deux fois l'année, savoir le jour de Saint-Pierre et Saint-Paul et la quatrième férie des Rogations.
Celle de Vieurals est fondée. (…) Il y a dans la chappelle des Saints-Innocents du village de Vieurals, une fondation de 7 livres 10 sols faite par le sieur Alexandre, curé de Marnhac, pour faire le catéchisme dimanches et fêtes. Les paroissiens se cotisent entre eux pour faire un honoraire de 50 écus au chapellain. Ils ont déjà fait deux prés qu'ils afferment 60 livres et ils travaillent à en faire deux autres pour payer son entiers honoraire au moyen de ce revenu. Ils doivent aussi lui bâtir une maison.
Le village de Vieurals est composé de 15 familles, celui de Rieusens, qui vient à la messe à cette chapelle, en est éloigné de demi quart de lieue et est composé de 4 familles."
Je ne posséde malheureusement aucune note architecturale concernant l'église paroissiale de Saint-Martin de Montbon ou la chapelle des Saints-Innocents de Vieurals. Je peux, par contre, donner une brève description de la chapelle Saint-Pierre d'Aurelle, dont nous avons vu dans quelles conditions elle fut érigée à la fin de la guerre de cent ans.
Cette chapelle s'élève sur un tertre, au milieu d'un désert rocailleux, de difficile abord, coupé par des collines granitiques sur l'une desquelles on trouve une vaste nappe de basalte; quelques maisons groupées autour de ce monument constituent tout le village, dominé par des rochers qui forment le pic de cette colline, contre lequel était construit le château de la Baronnie.
Cette chapelle, dédiée aux Saints Pierre et Paul, mesure 14 mètres de longueur sur 4 mètres de largeur. Elle est du style byzantin de transition avec abside semi-circulaire.
La nef est partagée en trois travées par des arcs doubleaux retombant sur des colonnes demi-cylindriques avec chapiteaux sans ornements. L'arc doubleau de la troisième travée repose sur des pilastres d'une construction postérieure.
Un cordon se profile en saillie tout autour de l'édifice, à partir du chapiteau des colonnes.
Trois baies éclairent le bâtiment, elles sont encadrées, à l'extérieur, dans une arcade simulée à plein-cintre.
Deux colonnes semi-cylindriques, avec cable pour chapiteau, partagent en trois compartiments l'extérieur de l'abside, construite en grès de moyen appareil.
Une corniche supportée par des modillons unis, fait le tour des combles et de l'abside.
La nef est flanquée de cinq contreforts en moëllons épais et carrés.
La porte ogivale est ornée de deux tores formant retraite l'un sur l'autre et s'unissant à la naissance de l'ogive. Il y avait à l'origine, une figure grimaçante sur le pignon, mais elle est très abîmée.
Le clocher est en bâtière sur la jonction de la nef avec l'abside, il s'y trouvait autrefois une très belle cloche particulièrement chère aux habitants du hameau.
L'appareil de la nef en schiste avec encoignures en grès, gros sable avec pouzzolane.
A peu de distance de la porte de la chapelle, à l'intérieur, se trouvait autrefois une petite croix en grès blanc dont l'arbre cylindrique avait 55 centimètres de hauteur, le croisillon 40 et le socle 18 centimètres de diamètre. Au milieu se trouvait le Christ, et, sur le derrière, la Vierge couronnée de deux anges, à demi-corsage, tenant dans leur main une banderolle.
Notons également que la paroisse de Saint-Martin de Montbon, dont Aurelle faisait partie, fut jadis un prieuré commendataire possédé en 1772 par l'abbé Grimaldi, chanoine de Rodez et cousin germain de l'évêque du même nom.
En plus de payer leurs honoraires aux curés, ou aux vicaires, en plus de leur construire des logements, en plus de travailler des champs pour eux, il fallait aussi participer à la construction puis à l'entretien des monuments religieux. Il faut donc remarquer, pour terminer, que le seigneur n'était pas le seul à saigner les pauvres gens par l’impôt et la corvée, même si c'était alors chose courante dans toutes les paroisses.
15/VIE LOCALE AVANT 1789
Toute vie commence par la naissance, commençons donc nous aussi par jeter un rapide regard sur les coutumes qui entourent la naissance d'un enfant dans la Baronnie d'Aurelle avant 1789. Pour ce faire, nous avons la chance de disposer d'un "registre des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de Verlac" couvrant les années 1674 à 1792, qui a été déposé aux archives départementales de l'Aveyron.
En ce qui concerne le baptême d'un nouveau-né, on choisit uniquement une marraine pour une fille et uniquement un parrain pour un garçon, il y a quelques exceptions mais elles sont cependant très rares.
Si un enfant naissant a trop peu de chances de survivre, la sage-femme peut le baptiser, elle en a même le devoir. Ainsi "l'an 1785 et le huitième jour du mois d'octobre, le corps d'un enfant né hier du légitime mariage de Jean Juéry, brassier du village du Minier, paroisse de Verlac, et de Marie-Jeanne Mercadier son épouse baptisé à la maison par la sage-femme et décédé tout de suite dans cette paroisse a été inhumé."
Le prêtre, lui-aussi, se déplace pour baptiser à domicile un enfant en danger de mort. Ainsi, "l'an 1785 et le vingt troisième jour du mois de septembre, le corps de Thomas Mercadier, né du légitime mariage d'Antoine Mercadier, brassier du village de Mazes, paroisse de Verlac, et de Justine Estival son épouse, décédé hier dans cette paroisse environ une heure après que je lui ai suppléé les cérémonies du baptême et même baptisé sous condition, ayant été baptisé à la maison en danger de mort, a été inhumé par moi, curé soussigné."
Et, à la limite, n'importe qui peut baptiser un enfant en danger. Ainsi, "l'an 1785 et le seizième jour du mois de septembre, le corps d'un enfant né du légitime mariage de Jean Portalier, brassier du village de Mazes et de Catherine Vieillescazes son épouse, baptisé à la maison par un homme bien instruit et décédé environ une demi heure après son baptême, a été inhumé."
D'ailleurs étant donné le taux de mortalité infantile, à cette époque là, tous les nouveaux-nés sont baptisé le jour même de leur naissance ou, au plus tard, le lendemain s'ils sont en parfaite santé.
Le deuxième événement essentiel de la vie d'un homme est, bien sûr, le mariage. Il n'y a rien de très particulier à noter dans ce domaine si ce n'est qu'il faut quatre témoins à cette époque là.
Autre événement important dans la vie de ces gens, bien que nettement moins fréquent, le remariage des veufs qui donnait lieu à une manifestation qui peut aujourd'hui nous paraître étrange voire cruelle, si nous ne la replaçons pas dans le contexte de l'époque.
Il faut dire, tout de même, que les conditions imposées pour le mariage étaient plus rigoureuses que de nos jours, en particulier pour la consanguinité, mesure de prudence étant donné qu'on se mariait le plus souvent entre voisins. Outre les bans du mariage publiés au prône de la messe paroissiale pendant trois dimanches consécutifs pour vérifier s'il n'y avait aucun empêchement, il fallait présenter un billet de confession au prêtre.
Ainsi, on trouve dans le registre paroissial de Verlac un billet de confession accordé par Villard, jésuite de Rodez, le 13 juin 1760 à Pierre Andrieu de Soulayrac, veuf de la paroisse de Vors. Celui-ci se remaria le 26 juin de la même année avec Marie Canitrot de la paroisse de Naves.
Si Pierre Andrieu est allé se confesser à un jésuite de Rodez, c'est sans doute qu'il tenait le plus possible à éviter la publicité car, selon la coutume traditionnelle, les veufs et veuves qui se remariaient étaient passibles du charrivari. C'était un grand "chahut" organisé un soir par les gens du village, surtout les jeunes, munis de casseroles, pelles et autres instruments bruyants, et qui ne cessait que quand le ou la "coupable" avait versé une obole ou offert à boire.
Le sens de cette coutume, qui était encore en vigueur dans notre région dans la première moitié du XXème siècle, était, dans l'ancienne division sociale par catégories d'âge, de donner une compensation au groupe de jeunes à qui les vieux, plus riches, pouvaient enlever leurs meilleurs éléments.
Et nous en arrivons bien sûr après le baptême, le mariage, voire le remariage, à la dernière étape de toute vie : la mort. Pour un enterrement deux témoins suffisaient, ils habitaient généralement le même village que le mort, mais ne faisaient pas partie de sa famille.
Ainsi, "l'an 1775 et le vingt sixième jour du mois de décembre, le corps de Denis Laporte, pauvre du village de Rieusens, paroisse de Verlac, âgé d'environ 80 ans, a été inhumé par moi, vicaire soussigné, en présence de Jean-Pierre Bessière et de Pierre Mas, dudit Rieusens, qui ont déclaré ne savoir signer de ce interpellés."
Mais il y a dans ce registre de la paroisse de Verlac un certificat de décès assez surprenant qu'il me paraît intéressant de citer ne serait-ce que pour l'anecdote :
"l'an 1776 et le vingt quatrième jour du mois de novembre, le corps d'un mendiant qui se disait de Carquessonne, vendeur de cirage et d'amidon, décédé hier dans cette paroisse, âgé d'environ 80 ans, a été inhumé par moi, curé soussigné, en présence de Jean Ayral et de Jean Bessière, travailleurs dudit Verlac, qui requis de signer ont dit ne savoir." Que faisait donc là ce mendiant "qui se disait" de Carcassonne? Question insoluble.
On peut noter pour terminer, en ce qui concerne les décès, que les corps sont inhumés le jour même de la mort ou, au plus tard le lendemain.
Il faut également remarquer, en ce qui concerne le degré d'instruction, que la plupart des témoins requis de signer déclarent ne pas savoir le faire. Il y a de rares exceptions, mais parmi les hommes uniquement. Les femmes ne sont d'ailleurs presque jamais témoins sauf lors de baptême lorsqu'elle sont marraines. Mais ce manque d'instruction n'empêchait nullement ces hommes d'être fort entreprenant à l'occasion. Ainsi, Pierre Pons, de Vieillevigne, fermier qui ne savait même pas signer, afferma l'entier domaine et seigneurie du Bournhou pour 500 livres à Mr Victor de Frézal de Vabres, Marquis de Beaufort, demeurant à Toulouse, ce en 1701.
Cependant, la situation sociale de cette population n'était guère brillante. Dans ce registre paroissial de Verlac, la plupart des hommes sont qualifiés de "travailleurs" ou de "brassiers", c'est à dire de petits artisans, du village où ils habitent, quand ils ne sont pas carrément appelés "pauvres" ou "mendiants" de ce lieu.
Il existe d'ailleurs un document qui va nous permettre de mieux cerner la position sociale de ces pauvres gens habitants la terre d'Aurelle. Il s'agit d'une enquête menée par le diocèse de Rodez en 1771 et publiée par Mr Louis Lempereur, archiviste, au début du XXème siècle. Quelques unes des réponses à ce questionnaire sont particulièrement intéressantes et précises.
Nous y apprenons ainsi qu'en 1771 la paroisse de Naves se composait de neuf villages et comprenait 410 habitants au total, dont 82 à Naves même.
La paroisse de Saint-Martin de Montbon (dont Vieurals) se composait, elle, de treize villages et comprenait 335 habitants au total, dont 30 à Saint-Martin de Montbon même.
Quand à la paroisse de Verlac, elle se composait de dix villages et comprenait 356 habitants dont 77 à Verlac même. Dans cet article, plus précis que les précédents, est également indiquée la population des neuf autres villages qui composaient cette paroisse :
- Moncan : 31 habitants
- Bernier : 13 habitants
- Rieusins : 23 habitants
- Mazes : 69 habitants
- Verlaguet : 34 habitants
- Crespiac : 21 habitants
- Les Bénézèches : 16 habitants
- Le Minier : 54 habitants
- Les Fessouyres : 18 habitants
On apprend également dans ce document quelles étaient les professions exercées dans les trois paroisses :
- Paroisse de Naves :
Sur 410 habitants, il y avait 298 pauvres dont 74 invalides seulement, et 224 invalides et mendiants.
En ce qui concerne l'artisanat, il n'y avait que 5 hommes qui fabriquaient des cadix en hiver, et quelques femmes qui filaient la laine.
Il n'y avait aucun commerce sur la paroisse et "les hommes allaient chercher ailleurs à gagner leur pain", est-il dit.
- Paroisse de Saint-Martin de Montbon :
Sur 305 habitants, il y avait 45 pauvres et 14 mendiants de profession.
Dans le domaine artisanal, il n'y avait que 3 ou 4 tisserand et des femmes qui tissaient la laine.
Aucun commerce ici non plus.
- Paroisse de Verlac :
Sur 356 habitants, il y avait 106 pauvres dont 40 (les vieux, les infirmes et les enfants) avaient besoin d'être entièrement secourus, les 66 autres pouvant travailler.
Il n'y avait pas de mendiants de profession est-il dit, ce qui est démenti par le registre paroissial précédemment cité.
En ce qui concerne l'artisanat, il y avait encore un foulon, un tailleur et deux couvreurs qui étaient les plus pauvres de la paroisse. La filature de la laine était introduite dans la paroisse l'hiver.
Il n'y avait pas de commerce là encore.
Il n'y avait sur l'ensemble des trois paroisses en 1771, aucun hôpital, aucun fonds destinés au bouillon des pauvres, sauf 7 setiers de seigle pour le soulagement des pauvres dans la paroisse de Verlac, aucun maître ni maîtresse d'école et aucune sage-femme.
En ce qui concerne les cultures et l'élevage, les réponses au questionnaire sont, là encore assez précises :
- Paroisse de Naves :
Les principaux grains qu'on cueillait étaient du blé seigle, petite avoine et blé sarrazin sans millet noir.
Il n'y avait pas de froment.
Il y avait des pâturages pour l'entretien de 1111 bêtes à laine et 78 bêtes à cornes, dont 6 paires de bœufs employés au labour.
La récolte d'une année commune était loin d'être suffisante pour nourrir les paroissiens d'une année à l'autre.
En cas d'insuffisance de la récolte dans la paroisse, les autres ressources étaient "d'aller chercher en Gévaudan où à la pierre-foiral de Saint-Geniez d'Olt, quand il y en arrivait d'étranger."
- Paroisse de Saint-Martin de Montbon :
Les principaux grains qu'on cueillait dans la paroisse étaient du seigle. On y cueillait encore quelque peu de froment, d'avoine, d'orge, de blé sarrazin, de pois.
Il y avait beaucoup de pâturages en certains endroits de la paroisse et assez de bestiaux. Il restait très peu de terres en friche.
Il y avait 27 paires de bœufs employés au labour.
La récolte d'une années commune suffisait, est-il dit, pour nourrir les paroissiens d'une moisson à l'autre pourvu que les grains que l'on cueillait dans la paroisse y restent. Lorsque la récolte était insuffisante on avait recours à Saint-Geniez d'Olt.
- Paroisse de Verlac :
On cueillait ici du seigle d'hiver et de mars, et fort peu d'avoine et de blé noir.
Il y avait beaucoup de pâturages, mais le malheur de cette paroisse était que la misère leur ait fait vendre à leurs voisins les meilleurs fonds : les paroisses voisines prenaient de Verlac plus de 400 charretées de foin sans parler des regains qu'ils fauchaient ou faisaient manger.
Les pâturages des bêtes à laine avaient subit le même sort, de sorte qu'on voyait dans bien des pâturages des troupeaux étrangers.
Il n'y avait pas de terres en friche.
Le haut de la paroisse était composé de bois dans la montagne, d'où il n'y avait aucune espérance de tirer récolte, et dans le bas et le midi on ne trouvait que "des précipices affreux, des rochers escarpés" où de temps en temps des bestiaux de toutes espèces se tuaient. Les gens étaient donc "obligés d'ensemencer leurs grains en partie avec la pioche, de porter les fumiers sur la tête par les champs, d'en sortir de même les gerbes, les foins, de porter la fougère ou des genêts pour le brûler dans les champs, les bœufs ne pouvant aller dans ces précipices."
Il y avait 18 paires de bœufs employés au labour.
La disme et les droits seigneuriaux payés, le blé d'une année commune qui restait, n'était pas suffisant pour nourrir les paroissiens d'une moisson à l'autre.
Voici la solution qui était proposée pour parer à cette misère : "le remède à cette insuffisance serait que le blé de la dîme et des seigneurs ne sortit pas de la paroisse mais s'y vendit. Cependant comme les fermiers sont des étrangers, ils emportent le blé. Il serait digne du zèle d'une personne charitable de faire bailler à ferme la dîme et les seigneuries aux paroissiens même de Verlac, et il y en a en état de faire les levées et de payer ; ceux là enfermeraient le blé dans leurs greniers et le bailleraient aux paroissiens quand ils en auraient besoin."
Voilà dans quel monde allait arriver la révolution de 1789 : un monde de misère en ce qui concerne la Baronnie d'Aurelle.
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DEUXIEME PARTIE : Liberté, Egalité, Propriété
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16/REVOLUTIONS DE 1789 – 1792 : BOULEVERSEMENT POLITIQUE ADMINISTRATIF ET RELIGIEUX
Les causes de la révolution de 1789 furent multiples. Les principales furent d'abord la forme du gouvernement : la royauté absolue, les abus dans les dépenses et l'établissement d'impôts qui accablaient le peuple puisque les notables et le clergé échappaient en grande partie à la taille royale, la gabelle, la dîme, aux redevances seigneuriales, aux banalités (four, moulin, pressoir, etc…). De plus, il n'y avait aucune liberté individuelle, ni liberté religieuse, ni liberté d'expression, ni liberté politique. Autant de choses qui provoquèrent la convocation des Etats-Géneraux, prologue à la Révolution, événement qui jeta la Nation dans le chaos et les passions
.
L'objet de ce chapître n'est certes pas de vous relater, une fois de plus, la prise de la Bastille ou la révolte du pain, mais plutôt d'essayer de voir quelles furent les plus importantes répercussions de cette grande et longue secousse politique dans nos montagnes.
Tout commença le 2 août 1789, lorsqu'eut lieu l'alarme générale, alarme qui laissa une telle impression que 1789 fut appelée dans nos contrées, "l'onnado de la pouo" (l'année de la peur). Le bruit courut que des bandes de brigands, chômeurs affamés et nombreux mendiants, arrivaient de partout "animés des plus sinistres projets, et qu'il était urgent de préparer la résistance." Les paysans effrayés par de telles rumeurs, s'armèrent pour se défendre et la révolution agraire s'accéléra dès lors.
Bientôt l'Assemblée Nationale, qui s'était proclamée Assemblée Constituante le 9 juillet 1789, commença à prendre des décisions administratives concernant l'ensemble de l'Etat. Ainsi changea-t-on, au cours des années qui suivirent, les noms de paroisses, de provinces, et exigea-t-on bientôt que les ecclésiastiques prêtent serment de fidélité à la nation, à la loi et au Roi, première mesure suivie ensuite d'une terreur religieuse qui prit la forme d'une déchristianisation.
Les paroisses furent donc conservées sous le nom de "communauté de campagne". Quant aux terres qui dépendaient des nobles, il fut décidé, le 11 novembre 1789 que "toutes les municipalités du royaume étant de même nature et sur la même lignée dans l'ordre de la Constitution, porteraient désormais le titre commun de Municipalité". Les Assemblées Municipales étaient formées de conseillers auxquels on adjoignait des notables quand elles se réunissaient en Conseil-Général.
Par décret du 15 janvier 1790, le territoire français fut divisé en 83 départements: celui de l'Aveyron comprenait exactement l'ancienne province du Rouergue, partagée en 9 districts et le discrict en 9 cantons. Dans les 81 cantons aveyronnais, il y avait 684 communes correspondant sensiblement au nombre des paroisses.
Les paroisses de Lunet et des Crouzets firent d'abord partie de la commune d'Aurelle, comme sous l'ancien régime, le chef-lieu en était Lunet. C'est ainsi que le 29 mars 1791 "la municipalité de la paroisse des Crouzets, membre d'Aurelle" se réunit sous la présidence de Monsieur Alazard, maire, Jean Auguy, officier municipal, assistés de Joseph Villaret et Antoine Privat, notables, de Antoine Gral et Raphaël Bonald, adjoints, pour faire la division de la commune en quatre sections :
1/ celle du Bru
2/ celle du Vialaret
3/ celles de Crouzets
4/ celle de Cham Lata (Camblatte)
en application du décret de l'assemblée constituante du 23 novembre 1790.
Le 25 novembre 1792, dans l'église paroissiale de Saint-Geniez d'Olt, les électeurs prièrent le vicaire de venir chanter "Veni creator". Lors de cette assemblée eut lieu l'élection des curé affectés aux cures vacantes. C'est à cette occasion que Ruols, d'Espalion, demeurant alors en Haute-Garonne, obtint 42 voix et devint le nouveau curé de Lunet, dans la commune d'Aurelle.
Révolution rimait alors avec oppression, mais la réaction violente ne se fit pas attendre longtemps. Les causes des différentes tentatives de contre-révolution peuvent se résumer en une date : 1792. Cette année là fut avant tout, pour les royalistes, la mort tragique de Louis XVI, la levée de 300 000 hommes décrétée par la Convention et le serment de fidélité imposé aux prêtres. Autant de mesures qui irritèrent les esprits des conservateurs qui, plutôt que de partir loin de leurs villages pour défendre une République détestée, préférèrent prendre les armes pour la combattre.
17/LES PRETRES REFRACTAIRES
Certains prêtres, dits réfractaires, refusèrent de prêter serment et s'attirèrent ainsi les foudres de la loi et de la police. Cette persécution inexorable dura jusqu'au consulat, ce qui n'empêcha pas les ecclésiastiques de braver l'autorité en disant la messe lors de rassemblements nocturnes dans les bois d'Aubrac, malgré l'interdiction formelle formulée à leur encontre. Ce fut le cas de l'abbé Alazard, alors curé de Vieurals.
En ce qui concerne Aurelle, on peut également parler du "Ranc del Salt" (la falaise du saut) ainsi baptisé, rapporte la tradition orale, parce qu'une prêtre fut précipité du haut de cette masse rocheuse durant les troubles révolutionnaires. S'agissait-il d'un prêtre réfractaire ou, au contraire, d'une prêtre jureur? L'histoire ne le dit pas mais on peut supposer, sans grands risques d'erreur, que la victime en question était plutôt un prêtre jureur étant donné que les habitants du village d'Aurelle étaient alors de fervents monarchistes effrayés par la Révolution.
A Verlac, réfractaire de la première heure, le curé Desmazes fomenta des troubles qui aboutirent à l'assassinat d'un patriote, il ne craignait pas de dire la messe de jour, deux pistolets à la ceinture, il parcourait les paroisses environnantes incitant à la révolte. Il était originaire de Surguière, hameau qui appartient à la paroisse de Gaillac d'Aveyron et à la commune de Buzeins. Il avait un frère, prêtre comme lui et comme lui fugitif depuis que s'était déchaîné le régime de la Terreur. Obligés de quitter l'un et l'autre les paroisses qu'ils desservaient, ils trouvèrent asile durant plusieurs semaines, tantôt à Buzeins chez la famille Truel, tantôt à Surguière même, chez leurs parents qui leur avaient ménagé une cachette sûre.
Un jour à Buzeins, ils durent leur salut à la présence d'esprit de la dame Truel.
Celle-ci rencontrant, un matin, sur sa porte les municipaux qui venaient pratiquer des recherches, sous prétexte d'inventaire de subsistance :
" Ah ! citoyens, leur dit-elle, ma sœur vient d'emporter la clé de la farinière, veuillez commencer par le voisin, je vais la chercher !"
Ce moment de répit suffit aux deux abbés pour se sauver par une porte dérobée.
Vers le milieu de décembre 1793, nous retrouvons Antoine Desmazes, vicaire de Verlac, descendant un soir, à l'entrée de la nuit, du hameau de Surguières vers Gaillac et traversant bientôt une passerelle jetée sur l'Aveyron pour les communications de ce dernier village avec la rive gauche.
Gaillac était occupé à cette date par un détachement de soldats appartenant au bataillon de Montblanc et qui avaient pour mission de surveiller tous les environs, spécialement de capturer les prêtres insermentés.
L'abbé Desmazes n'ignorait pas ce détail, aussi prit-il toutes les précautions possibles pour n'être pas aperçu, s'arrêtant presque à chaque pas, écoutant attentivement si nul indice ne révélait un danger. Il put passer la rivière sans encombres et gagner un village voisin, Saint Amans de Varès, croit-on, pour porter à un malade les secours de son ministère.
Cependant, malgré toute la prudence qu'il avait déployé, malgré les ténèbres de la nuit auxquelles s'ajoutait une brume épaisse, des yeux ennemis l'avaient reconnu. Un paysan de Gaillac, séduit par la prime de cent francs promise à quiconque livrait un prêtre au bourreau, s'empressa d'aller prévenir le chef du détachement et de lui dire : "je sais qu'il y a un malade ici tout près ; l'abbé Desmazes est très probablement allé le voir, il ne tardera pas beaucoup à revenir, surveillez…"
L'avertissement ne fut pas perdu. Un peu plus tard, une escouade de volontaires alla occuper les abords de la passerelle et s'y tint en embuscade. Avant minuit, vers le bout opposé de l'étroit ponceau, les soldats distinguèrent une ombre qui avançait doucement et sans bruit, c'était l'abbé Desmazes qui s'y engageait avec les plus grandes précautions.
A l'instant où il touchait la rive droite, dix mains s'abattirent à la fois sur lui, lui rendant toute résistance impossible. Il fut conduit au poste militaire, où on le retint jusqu'au jour. Le lendemain on le conduisit, enchaîné comme le pire des malfaiteurs au chef lieu du département.
Dès son arrivée, les deux commissaires civils Cléophas Périé et Lagarde, firent subir un interrogatoire au prisonnier. Ils en dressèrent le procès-verbal qu'ils transmirent immédiatement à l'accusateur public Arsaud avec plusieurs pièces à convictions :
1/ une chanson contre-révolutionnaire
2/ deux sacrés-chœurs
3/ des fragments d'hosties
4/ un rabat
5/ une montre en argent avec une déclaration du porteur attribuant la propriété de cette montre à un dénommé Niel.
Le procès-verbal se termine par la phrase suivante : "ce prêtre rebelle ayant été arrêté après l'expiration de la décade fixée par le décret concernant les prêtres réfractaires, il est incontestable que cette tête coupable doit tomber sous le glaive de la loi, et la commission le livre à la justice du tribunal criminel qui s'empressera de le condamner au supplice qu'il a si bien mérité."
L'abbé Desmazes fut finalement condamné à mort par l'accusateur public et les juges.
Dans la paroisse de Naves, l'abbé Jacques Gervais Roumiguier secondait les efforts de son digne curé, l'abbé Pierre Niel, lorsque les agents de la Révolution firent fermer les églises.
Malgré les dangers qu'il courait, l'abbé Roumiguier continua de célébrer les Saints-Mystères jusqu'au mois de janvier 1793. Mais, la persécution devenant alors plus vive, le vieux curé, plein de sollicitude pour son jeune vicaire, lui conseilla de s'abriter de la tempête et de se retirer dans la famille. L'abbé Roumiguier partit, pas pour longtemps…
Ayant appris, vers la fin février 1793, que le vénérable M. Niel, gravement malade, ne pouvait plus aller au secours de ses paroissiens, il revint à Naves et visita pendant la nuit les fidèles habitants de la paroisse, afin de les préparer au devoir pascal.
Cependant l'état du curé s'aggravait de jour en jour et ce pasteur, désirant communier en Viatique, son vicaire résolut de célébrer la messe dans sa chambre, pendant la nuit du samedi au dimanche de la passion. Tout ce qu'on put lui dire sur le danger qu'il courait, ne parvint pas à le détourner de remplir ce pieux devoir.
A peine le jeune prêtre avait-il récité l'offertoire que le presbytère fut cerné par une cinquantaine de gardes nationaux, envoyés par la municipalité de Saint-Geniez d'Olt.
Lorsqu'ils eurent pénétré dans la chambre transformée en sanctuaire, le chef de la garde, par une sorte de pudeur, rare à cette époque, ne voulut pas qu'on interrompit le célébrant, et remplit lui-même les fonctions de clerc jusquà la fin de la messe. Mais un de ses sbires crut devoir se livrer à une manifestation aussi vaine qu'inintelligente et brutale en plaçant un pistolet sur chaque côté de l'autel.
La messe terminée, les soldats, après avoir dévasté la maison, se retirèrent, emmenant enchaîné comme une malfaiteur l'abbé Roumiguier, et emportant pour preuve de son flagrant délit le calice et les ornements dont ils l'avaient vu se servir. Ce jeune confesseur de la foi, à peine âgé de 29 ans, fut trainé à Rodez et enfermé le 26 mars 1793 au couvent de l'annonciade transformé en prison.
Un an après, le 6 mars 1794, il fit partie de ces nombreux convois de prêtres qu'on dirigea vers Bordeaux. Comme beaucoup de ses infortunés confrères, il mourut à l'hôpital Saint-André de cette ville, le 25 février 1795, des privations et des mauvais traitements qu'on lui avait fait subir. Il était originaire de Saint Grégoire, commune de Lavernhe, canton de Séverac le Château.
18/CONTRE-REVOLUTION ET REPRESSION
Dans notre région, la plus marquante des ripostes royaliste fut sans aucun doute celle du rassemblement surnommé un peu pompeusement "l'Armée de Charrier", recrutée en Lozère (Nasbinals, Rieutort…) et dans l'Aveyron (Mandailles, Castelnau, le Cambon, St Chély, Prades, Aurelle, St Geniez, etc…)
Marc-Antoine Charrier, notaire Royal, était né à Nasbinals en 1755. Membre de la Constituante, il refusa de voter la constitution civile du clergé, rentra à Nasbinals et rassembla dans les montagnes de l'Aubrac un corps de partisans qui devait, théoriquement, se porter au secours des Chouans. Ils attendirent un général, annoncé à Lyon, qui devait prendre la tête de l'insurrection, mais un contrordre ayant été envoyé celui-ci ne vint pas. Cela n'arrêta pas, malgré tout, l'élan des troupes assemblées : il fallait un chef ? Soit ! Le notaire nasbinalais, député aux Etats-Généraux du Tiers-Etat, fut donc proclamé commandant en chef de cette légion, ses prises de position dans les débats politiques ayant démontré à tous sa fidélité au Roi.
Ce fut une folle équipée, folle en ce sens qu'elle avait germé trop vite dans une sorte d'enthousiasme, de délire, mais sans préparation suffisante, sans méthode et surtout sans plan précis, autant de lacunes qui la vouaient à un échec quasi-total, mis à part ses premiers succès qui ne furent dû qu'à l'effet de surprise dont furent victimes les troupes révolutionnaires.
C'est ainsi qu'en mai 1793, eut lieu un rassemblement à Nasbinals et, en quelques jours, la cohorte, grossie continuellement par de nouvelles recrues et notamment de déserteurs de l'armée républicaine, enleva Rieutort le 25 mai, Marvejols le lendemain et Mende le 27 mai.
Les insurgés n'étaient alors que trois ou quatre mille seulement, mais la rumeur publique les évaluaient à douze mille et parfois même davantage. Dans une lettre du 29 mai envoyée aux administrateurs du Cantal par les commissaires, il fut avancé le chiffre de huit mille hommes.
Mieux encore, le fils Aldias écrivit de Lassout à son père, procureur du Syndic, et fit porter par exprès la lettre dans laquelle il lui signalait que trois personnes étaient venues à une heure du matin annoncer qu'une réquisition avait eu lieu "à Mandailles pour se rendre du côté d'Aubrac et de Saint-Chély où il devait y avoir un rassemblement de cinquante mille hommes." Les autorités, émues par de telles nouvelles qui affluaient, mobilisèrent toutes les légions de l'Aveyron et des départements voisins contre les insurgés.
Charrier l'apprenant redouta d'être bloqué dans Mende, il préféra évacuer la ville et se diriger vers Chanac où eut lieu un violent combat. Les royalistes avaient emmené avec eux deux canons de bois cerclés de fer, mais c'était des armes dérisoires face à l'artillerie républicaine. Cependant, certains contre-révolutionnaires, excellents tireurs, parvinrent à se glisser à petite portée des pièces ennemies et tuèrent les artilleurs. A l'issue de cette terrible bataille, il y eut 120 morts du côté des républicains, contre 45 seulement du côté des chouans. Dès lors, Charrier aurait sûrement pu exploiter sa demi victoire à son avantage, mais il n'avait rien d'un grand stratège et il prit peur. C'est ainsi qu'après avoir enterré leurs morts, ses bandes se dispersèrent dans les montagnes et les forêts avoisinantes.
Le 4 juin 1793, le lieutenant Montmouton et ses gendarmes découvrirent la retraite de Charrier qui s'était réfugié dans une sorte de caveau creusé dans une grange de sa ferme de Prégrand. Ils l'arrêtèrent avec son épouse. Celle-ci fut traitée avec humanité et ne fut pas poursuivie. Il n'en fut pas de même pour l'infortuné chef royaliste qui, après une détention de 40 jours dans la tour de l'évêché et un jugement impitoyable, pour l'exemple, marcha courageusement vers l'échafaud, revêtu de son uniforme, le 17 juillet 1793 à Rodez. Il n'avait que 38 ans.
L'autre chef royaliste de notre région fut Plombat, le contre-révolutionnaire de Saint-Geniez d'Olt, qui s'opposa chaque fois qu'il le put à Chabot le républicain célèbre qui importa la Révolution dans notre canton. Louis Fontanié dans son ouvrage sur "l'époque révolutionnaire à Saint-Geniez d'Olt" et sur Plombat surtout, nous dit ceci : "il emploie tous ses talents et toute son activité à recruter des adhérents au parti royaliste et à la contre-révolution. La méthode employée par Charrier, en 1793, parmi les habitants de la montagne d'Aubrac et dans la Lozère, fut d'abord suivie par Plombat, parmi les ouvriers de Saint-Geniez d'Olt, mais avec moins de succés."
Et, en effet, Plombat fit de nombreuses tentatives de soulèvements durant l'année 1791, mais elles n'aboutirent pas à grand chose. Ce monarchiste convaincu ne s'en trouvait pas moins à Mende avec le nasbinalais lors du rassemblement armé qui y eut lieu. De même, on le vit au mois d'octobre 1792 à St Chély d'Aubrac avec Charrier. Il ne connut pourtant jamais le succès de son homologue lozérien, à Saint-Geniez d'Olt et dut donc rejoindre les troupes du nasbinalais. Il participa notamment au combat de Chanac le 29 mai 1793. A partir de ce moment là on perd sa trace. Etait-il mort, en fuite ? On ne le sut jamais.
Toujours est-il qu'après les diverses tentatives contre-révolutionnaires de ces deux portes drapeaux du royalisme, les autorités, inquiètes, organisèrent une répression féroce dans la région. Ce fut la porte ouverte à bien des exactions. Des commissaires furent nommés pour désarmer les suspects et la Garde Nationale dut prêter main-forte. Les opérations commencèrent fin mai 1793 dans la région de Saint-Geniez d'Olt. Des violences de toute sorte s'exercèrent sontre une centaine de personnes, parmi elles se trouvaient François Bessière et Jean Ayral de Verlac, ils furent brutalisés à coup de poings et de bâtons. Bach de Moncan fut, lui, conduit au District et mis au cachot avec des menottes et des fers aux pieds. Au couvent de Lunet, la sœur Madeleine Méric, 55 ans, refusa de répondre à une question d'un républicain lui demandant qui était sa maîtresse. Ce dernier, furieux, déclara alors que les sœurs étaient des coquines, des fripones, qu'elles avaient spolié l'Eglise et qu'elles n'étaient pas dignes de posséder tous les tableaux qui se trouvaient là. Il descendit ensuite un crucifix en bois et le jeta sur le plancher en s'exclamant "voilà un joli merle !" il menaça, enfin, la sœur de lui couper la tête, lui leva les jupes et lui donna quelques coups " de telle manière que depuis ce temps là, elle se ressentit plus d'une douleur qu'elle avait à la cuisse et fut obligée, le lendemain de prendre un bâton pour se soutenir…" Il l'accusa encore de soutenir les émigrés, les prêtres pour dire la messe en cachette et il agit même à l'encontre d'Anne Mercadier, une autre sœur, agée, elle, de 47 ans.
Apprenant quelle était la manière d'opérer de leurs commissaires et quels abus ils multipliaient, les autorités républicaines ordonnèrent une enquête qui conduisit la plupart des exacteurs en prison, en juillet 1793. Certains d'entre eux finirent sur l'échafaud, d'autres libérés grâce à leurs relations furent victimes des pauvres gens qu'ils avaient terrorisés, d'autres encore, surent se faire oublier, ce qui les sauva.
Voici le portrait peu flatteur mais exact de l'un de ces républicains sans scrupules, il s'agit de Guillaume Serre, l'homme de confiance de Chabot :
"Bel exemple de patriote, concussionnaire, brutal, sorte de demi sauvage cassant portes et fenêtres, battant ses victimes, fouetteur de femmes, sale…"
Comment s'étonner dès lors que la République ait rencontré des opposants dans notre région, représentée comme elle l'était par de tels hommes de main ?…
Le mouvement contre-révolutionnaire ne disparut pas, avec la mort de Charrier son principal chef local. De nombreuses bandes de brigands sillonnèrent les montagnes, elles étaient composées de débris de l'armée de Charrier : les rescapés de la première et éphémère épopée se réunirent à nouveau sous les ordres des principaux lieutenants du nasbinalais et ils entreprirent une guerre de guérilla dès le 2 fructidor de l'an II (19 août 1794). Cette résistance se prolongea jusqu'à l'avènement de Bonaparte, c'est à dire plus de sept ans.
Ils se voulaient chouans mais leurs rangs ne comptaient que peu de royalistes convaincus, justiciers improvisés sous couleur de royalisme ils donnaient plutôt l'image de bandes de pillards, de tueurs, eux aussi sans scrupules.
Au cours de cette période (1791-1801) ce furent de continuelles randonnées de cavalerie, de fantassins, de gendarmes et de commissaires, chargés de mettre hors d'état de nuire, voire de décimer les fauteurs de troubles "ennemis de la République".
Exactions républicaines ou exactions royalistes ? Il n'était sûrement pas facile pour les hommes dignes de ce nom de choisir leur camp…
19/LE MEURTRE DE JACQUES GALDEMAR
ANCIEN NOTAIRE DE LA BARONNIE D'AURELLE
SECRETAIRE-GREFFIER DE LA COMMUNAUTE D'AURELLE
En ce qui concerne Aurelle, certains de ces héritiers spirituels de Charrier se rendirent coupables d'une affaire qui indigna la population. Ils s'en prirent à Jacques Galdemar, l'ancien notaire de la Baronnie d'Aurelle devenu par la suite secrétaire-greffier de la communauté du même nom. Son cadavre fut retrouvé près du hameau de Combebillères le 19 prairial an IV (le 7 juin 1796) tué de trois coups de fusils, dont deux à un bras et un autre sur le côté lui ayant donné le coup de grâce.
Claude Galdemar, officier de santé à St Chély, fut alors appelé pour constater le décès de son cousin, avec Dezarn du Grès, agent municipal de cette commune.
Comme dans la plupart des cas d'assassinats, les circonstances de celui-ci furent d'abord assez étranges. Il manquait à la victime les souliers, les bas, son mouchoir de poche, son chapeau et son couteau. On lui avait aussi volé l'argent qu'il pouvait avoir sur lui, puisqu'il ne lui restait pas un sou alors qu'il venait de passer un acte et portait au moins 3000 livres, selon la tradition. Les témoins n'avaient pas reconnu les assaillants qui étaient probablement masqués.
La stupeur se répandit dans toute la contrée où la victime était honorablement connue. L'émotion fut grande tant dans la commune de Prades que dans celle d'Aurelle. Dans un rapport de l'époque, le disparu est qualifié de "l'un des plus honnêtes citoyens de la contrée." Cette exécution sommaire a "révolté tous les habitants", est-il dit. Mais s'agissait-il seulement d'un meurtre crapuleux, dont le seul mobile était de dévaliser le malheureux fonctionnaire, ou plutôt d'un meurtre politique ? Il était alors difficile de le déterminer et l'affaire aurait pu en rester là si le fils de Jacques Galdemar n'avait pas eu de très graves soupçons sur l'identité des assassins. C'est ainsi que le 7 thermidor de la même année (le 25 juillet 1796), Joseph Galdemar se trouva face à François Gral dit Piquet, l'un des assaillants présumé de son père. Pour venger sa mort, il n'hésita pas à tirer sur l'homme, qui réussit cependant à prendre la fuite.
Antoine Rouquayrol, commissaire du directoire exécutif près l'administration municipale du canton, commença à redouter de nouvelles représailles, c'est pourquoi il partit l'après-midi même vers le Vialaret, où résidait la famille Galdemar, escorté de 18 hommes armés.
Chez l'aubergiste Laguiole à Lunet, ils virent une femme qui prenait du vin dans un petit baril destiné soi disant à des moissonneurs, alors qu'il n'était pas d'usage d'en donner aux ouvriers à cette époque là. Ils arrêtèrent la femme.
Peu après ils entrèrent chez Pichautel qui buvait avec Viala des Escures, on les arrêta également.
La troupe arriva enfin au Vialaret, vers onze heure du soir, là les enquêteurs apprirent que le brigand, blessé par le fils de Jacques Galdemar, s'était réfugié à la Vayssière et, en effet, ils le découvrirent dans ce village, caché dans l'écurie d'un certain Serre.
Comme les républicains l'avaient appris auparavant, il n'était que légèrement blessé. Le groupe le laissa sous bonne garde et repartit.
A Lunet, ils arrêtèrent encore un brigand évadé de prison, caché dans un galetas, et l'attachèrent.
A la Bastide qu'ils cernèrent, ils ne firent aucune capture : le jour s'était levé depuis longtemps et les habitants étaient déjà partis travailler dans les champs ou ailleurs.
La petite troupe décida alors de reprendre le chemin de Saint-Geniez d'Olt en emmenant les divers prisonniers pour les interroger. Cet interrogatoire, très long et très serré, fournit beaucoup de renseignements dont la police dut tirer le plus grand parti.
Le dénommé Piquet reconnu s'appeler en réalité François Gral, avoir 21 ans et être vagabond. Il affirma ne pas connaître celui qui lui avait tiré dessus l'atteignant à la tête chez "Ramelou" à la Vayssière. La tradition orale rapporte que Piquet étant entré à l'auberge Ramel où se trouvait alors Galdemar fils, celui-ci se serait alors écrié : "Voilà l'un des assassins de mon père ! " et décrochant un fusil pendu au manteau de la cheminée, il fit feu. Piquet reconnu également avoir été quelques temps auparavant domestique chez un certain Grail qu'il avait quitté pendant la semaine sainte pour partir avec quatre brigands. Il avoua aussi des pillages nombreux.
En ce qui concerne l'affaire Galdemar, il indiqua le nom de ses complices et admis enfin qu'il était parmi ceux qui avaient tiré sur le secrétaire-greffier de la communauté d'Aurelle "qu'il y avait Trapet et Jany de Saint-Geniez d'Olt, Fonté de Prades et Noyer, dit Mestret de Castelnau, que Mestret lui tira deux coups de fusil et Trapet un, mais qu'il garda lui même son fusil chargé."
Dès lors les coupables étaient identifiés, mais restait à découvrir les mobiles du crime. Piquet déclara, à ce sujet que le complot avait été ourdi "parce que Jacques Galdemar avait acheté un Domaine National alors qu'il les dénonçait."
On lui demanda ensuite s'il n'avait pas fouillé la victime pour avoir son argent. A cela il répondit que "les autres voulaient bien qu'ils le fouille, mais que lorsqu'il avait levé la tête et qu'il s'était aperçu de la grande quantité de sang que vomissait Galdemar, il s'était retiré, disant aux autres de le fouiller, que pour sa part, il ne voulait pas le faire, attendu qu'il n'était pas tout à fait mort et qu'il lui inspirait de la frayeur."
Piquet expliqua aussi qu'après cet attentat, ses acolytes s'étaient tout d'abord retirés dans les bois des Fouilloux, puis séparés. Il avoua cependant avoir revu ensuite ses complices dans un petit bois près du Puech de Barry. Ils s'étaient alors réfugiés dans une grotte sous Vieurals où ils se ravitaillaient. Il ajouta même qu'ils étaient prévenus des mouvements de la troupe par les enfants du village.
On interrogea ensuite Guillaumet Viala des Escures, âgé de 30 ans, évadé des prisons du Cayla alors qu'on le conduisait à Toulon en vertu d'un jugement de 1791 qui le condamnaient à 5 ans de fers.
Vint ensuite le tour de Pichoutel, 50 ans, du Four des Mas, puis de Périé, 30 ans de Lunet, évadé des prisons de Rodez avec 36 autres détenus qui avaient percé le mur.
Piquet fut à nouveau interrogé sur l'affaire Galdemar. Il avoua alors que le complot prévoyait en fait de massacrer toute la famille Galdemar, d'égorger ou d'empoisonner tous ses bestiaux et d'incendier leur maison et leur grange. Le plan avait été tramé dans la basse-cour de Bach dit Ramel, à Born, et il avait été décidé de faire appel à la bande de Mercié : "la famille Galdemar étant la seule à leur faire la guerre". Piquet en avait été informé par Mestret, Fonté, Pons, Mathat, Trapet, etc…
Les autorités redoublèrent de zèle et de sévérité en connaissance de l'abominable projet et surtout en égard à l'indignation publique.
C'est ainsi que le 9 thermidor an IV (27 juillet 1796), un détachement du deuxième bataillon de la 29ème demi-brigade d'infanterie légère, commandée par la lieutenant Amerdheil, emmena les trois brigands vers Rodez. "Au bois de Galinière, Piquet voulant user de ruse pour s'echapper, demanda à s'arrêter pour ses besoins. Cela lui fut accordé et le détachement le vit tout à coup s'enfuir. Lui ayant crié de s'arrêter en vain, les soldats lui décochèrent plusieurs coups de fusils qui le tuèrent." Le général Bonnet en informa le département en précisant que les deux autres prisonniers étaient, eux, arrivés à bon port à la prison des capucins.
Quant à Trapet, l'un des assassins de Jacques Galdemar, ayant tiré un coup de fusil, il fut mortellement blessé à Caplong, près de Mandailles, par la Garde-Nationale de Saint-Geniez d'Olt. On lui permit de se confesser à l'abbé Pélissier, appelé sur sa demande et il mourut sur une charrette pendant le trajet qui aurait du le conduire à l'échafaud, le 17 décembre 1796.
Mestret, le second homme à avoir tiré sur le secrétaire-greffier de la communauté d'Aurelle, périt, lui, dans une tentative d'évasion qu'il avait provoquée aux prisons de Rodez, le 4 thermidor an V (le 22 juillet 1797), après une bagarre sanglante avec la troupe appelée d'urgence.
Ainsi donc les deux assassins étaient morts, accompagnant au-delà de la vie leur ami royaliste Piquet, le seul des trois qui à ses dires ait été innocent dans cette lamentable histoire.
On racontait à l'époque que sa mère était très fière de lui, qu'elle le trouvait vraiment admirable dans ses prouesses de chouan et qu'elle déclarait à qui voulait bien l'écouter "troubas pas que l'efon es un boun houme desempiei qu'es din la componio de Jesus ?" (ne trouvez-vous pas que le fils est un vaillant depuis qu'il est dans la compagnie de Jésus ?)
Peut-être était-ce vrai, mais cela n'empêcha pas le jeune homme de mourir tragiquement alors qu'il avait seulement 21 ans.
20/CONSTITUTION DE LA PAROISSE DE VIEURALS (1803)
ET EDIFICATION DE LA NOUVELLE EGLISE (1827)
Comme nous l'avons vu précédemment, le village de Vieurals fit partie durant des siècles de la paroisse de Saint-Martin de Montbon, ce qui donna d'ailleurs lieu à un vif démêlé avec deux des curés de Sainte-Eulalie d'Olt.
En effet, Antoine Colrat, prieur-curé de Sainte-Eulalie en 1540, et Jean Bès, prieur-curé de ce même lieu en 1567, s'en prirent au curé de Saint-Martin de Montbon, Messine d'Ampare, au sujet de certaines rentes qu'ils voulaient percevoir sur quelques terres de Vieurals. Les ecclésiastiques "Encoulats" justifièrent leur requête en affirmant que "de temps immémorial ces rentes avaient appartenu au prieuré de Sainte-Eulalie."
Le débat ne cessa que grâce à l'intervention des autorités ecclésiastiques qui condamnèrent le prieur de Saint-Martin de Montbon à payer, annuellement, dix setiers de seigle ou d'avoine aux prieurs "actuels et à venir" de Sainte-Eulalie. Ils l'autorisèrent en contre partie à percevoir les rentes en question.
Que les terres de Vieurals dépendent de Sainte-Eulalie n'était, certes, guère logique, mais qu'elles dépendent de Saint-Martin de Montbon n'était pas non plus idéal les deux villages étant, sommes toutes, assez éloignés l'un de l'autre. Pourtant Vieurals fit partie de cette paroisse jusqu'au 15 juin 1701. A cette date l'évêque de Rodez autorisa tout de même la construction d'une chapelle à Vieurals, à la requête des habitants. Sa construction fut achevée le 12 octobre 1702 et ce furent les vicaires de Saint-Martin de Montbon qui vinrent y dire la messe.
Il fallut, en fait, attendre le XIXème siècle pour que Vieurals devienne enfin une paroisse à part entière le 12 janvier 1803.
C'est ainsi que, le 20 mai 1803, monsieur Antoine Alazard, vicaire de Vieurals, qui s'était caché dans un bois près du village, avec son frère, pendant la tourmente révolutionnaire et avait prodigué au péril de sa vie les secours de la religion aux habitants des paroisses voisines, fut nommé premier recteur de la nouvelle succursale de Vieurals par une ordonnance de Monseigneur l'Evêque de Cahors.
Il y eut une autre ordonnance, le 15 février 1809, émanant celle-là de Guillaume Balthazard, cousin de Grainville, Evêque de Cahors, qui concernait, elle, la circonscription exacte des paroisses et succursales de son Diocèse.
Celle de Vieurals comprenait alors : Le Trap, Alte-Teste, une partie de la montagne d'Aubrac (c'est à dire le bois de Vieurals, le "Puech de los egos", et "lo plo de Finet"), Groupatage, Rieuzens et Moncan. Elle comprit, par la suite, Beau-Regard dit "la Barraque", la maison neuve dite "l'Ascessat", et la Ferrière, trois hameaux qui n'étaient pas compris dans la circonscription de 1809 car ils n'existaient pas alors, mais qui sont bien enclavés sur le territoire de Vieurals.
Que Vieurals soit érigé en paroisse ne pouvait être qu'une bonne chose, mais un problème se posa cependant : l'ancienne chapelle de ce lieu était désormais trop petite pour accueillir les anciens et les nouveaux paroissiens. Elle fut donc démolie, en 1827, et l'on en construisit une nouvelle sur son emplacement et sur l'emplacement d'une grange que l'on détruisit également. Cette seconde église fut bénite le 3 juin 1828 par Bonnaterre, curé de Sainte-Eulalie d'Olt et dédiée à Saint-Pierre qu'elle prit pour patron.
En 1919, l'église menaçait ruine et il fut décidé d'en construire une nouvelle à l'entrée du village. Elle fut terminée le 25 juillet 1921 et c'est elle qui y trône encore.
21/POUR UN SON DE CLOCHE
1817
Tout le monde comprend la voix des cloches et nos aïeux, qui vivaient plus près d'elles et menaient une vie moins agitée que la notre, la comprenaient sûrement bien mieux que nous, aussi leur témoignaient-ils une affection sans détour.
Pendant la révolution de 1789, ils s'ingènièrent, ayant recours à la force et à la ruse, à les soustraire aux réquisitions des comités révolutionnaires désireux de s'en emparer pour les convertir en monnaie ou en pièces d'artillerie.
Plus tard, lorsque pour l'application de concordat passé, le 15 juillet 1801, entre le Pape Pie VII et Bonaparte, il fut question d'attribuer aux fabriques d'autres églises les cloches appartenant aux paroisses supprimées, les habitants de ces dernières s'opposèrent farouchement à ces transfert, allant jusqu'à se révolter, les armes à la main, contre l'exécution des décisions du Pouvoir Central. C'est que qui arriva à Aurelle.
Comme nous l'avons vu, Aurelle, était autrefois une annexe de la paroisse de Saint-Martin de Montbon, celle-ci fut supprimée, en vertu du concordat de 1801, et rattachée à celle de Verlac, village situé sur le rebord du plateau, au dessus de la vallée, sur la rive droite de la Boralde de Naves : le Mardon.
L'église d'Aurelle, mal entretenue, fut, au bout de quelques années, reconnue impropre au culte, ce qui incita les membres du conseil de fabrique de Verlac à demander le transfert dans le clocher de leur église de la cloche d'Aurelle.
Par arrêté du 30 décembre 1816, le préfet de l'époque : le Comte d'Estourmel, fit droit à cette requête en vertu des dispositions des décrets des 30 mai et 31 juillet 1806, et invita le Sous-Préfet d'Espalion : le Vicomte de l'Astre, à en assurer la réalisation. Le Sous-Préfet délégua ses pouvoirs au maire de Pomayrols : Antoine Niel, Aurelle faisant alors partie de cette commune. C'est ainsi que, le 23 janvier 1817, celui-ci se rendit au village d'Aurelle avec une petite escorte de la Garde Nationale. Arrivé sur les lieux, il fit convoquer par le garde-champêtre tous les propriétaires et leur donna connaissance de l'autorisation dont il était porteur pour transporter la cloche d'Aurelle à l'église succursale de Verlac. Il rendit compte de sa mission au Sous-Préfet, le 29 janvier, écrivant que l'opération n'avait donné lieu à aucun tumulte, "sauf quelques criailleries de femmes."
Le 30 janvier au matin, de très bonne heure, Antoine Mercadier des Escoudats, district d'Aurelle, se présenta chez le curé de Verlac, l'abbé Rigal, et lui demanda les clefs de l'église et du clocher. Invité à prouver qu'il avait des ordres dans ce sens, il répondit brutalement qu'il n'en avait nul besoin et qu'il venait seulement reprendre son propre bien. Le curé, refusant de lui remettre les clefs en question avant l'arrivée du maire qu'il envoya chercher, Mercadier décida de passer outre coûte que coûte et immédiatement.
D'après les témoignages de J.B. Tessié de Verlaguet, Blaise Cayzac, Pierre Bernier, Francois Ayral, Antoine Fau, Martin Rigal, tous de Verlac, le 30 janvier, à sept heure du matin, une troupe de 80 hommes, armés de fusils, de sabres, de pistolets et de haches, se plaça au pied du clocher de Verlac. Presque tous leur étaient connus, notamment Antoine Mercadier des Escoudats, Mercadier cadet, son frère marié à Corbières ; Aldebert père et fils de la Pomarède, Verlaguet aîné de Rascouals ; Cayzac aîné de Corbières, Auguy cadet de la Vayssière, dit Ramel. Ils avaient avec eux "une charrette attelée à une paire de vaches, appartenant et conduite par Rocanières, fils d'Aurelle."
La porte de l'église leur restant fermée, ils ne voulurent cependant pas l'enfoncer, craignant sans doute de commettre un sacrilège''. Auguy, cadet de la Vayssière, et le berger Aldebert de la Pomarède, escaladèrent alors le clocher dont ils firent voler en éclats l'une des baies et ses abat-sons. La cloche fut alors descendue sur la toiture de l'église et, de là, placée sur le char qui l'attendait pour la ramener à Aurelle où elle retrouva sa loge dans le clocher.
Informé de l'incident par le maire de Pomayrols, le Sous-Préfet d'Espalion en fit un compte-rendu très détaillé qu'il fit porter par "ordonnance", c'est à dire par une estafette de la gendarmerie. Tout en ne manquant pas de blâmer le maire de Pomayrols de s'être fait escorter par un détachement de la Garde Nationale lors du transfert de la cloche, ce qui ne pouvait avoir que l'allure d'un défi et même d'une provocation, il exprimait l'avis qu'il serait important de faire preuve d'une certaine mansuétude et en faisait la proposition dans ces termes.
"Cette affaire est très grave et présente quelques difficultés : il faut que le délit soit puni et réparé, mais il faut calculer d'avance les résultats des mesures qui seront jugées nécessaires. Les habitants de cette partie de la montagne sont pleins d'énergie, ils en ont donné la preuve pendant la Révolution : c'est chez eux qu'ont eu les premiers rassemblements de Charrier. Cette énergie pourrait être utilisé pour le service de l'Etat, il serait bon de lui donner une autre direction."
Il envoyait en même temps, une proclamation, datée du 31 janvier 1817, aux habitants d'Aurelle, dans laquelle après leur avoir exposé toute la gravité de leur cas, il les incitait à réparer la faute qu'ils avaient commise en rapportant à Verlac la cloche "volée". Le ton était quelque peu grandiloquent : "si vous croyez disait-il, avoir des réclamations fondées à présenter, adressez-les moi. Sous le règne des Bourbons nulle plainte n'est repoussée sans examen et la justice gouverne tous les actes de ce gouvernement paternel ; d'ailleurs les affaires de l'église de France vont être terminées à Rome, nous ignorons s'il y aura de nouvelles circonscriptions de paroisses… Je dois compter sur l'obéissance d'une commune connue de tous temps pour son dévouement au Roi."
En possession du compte-rendu du maire de Pomayrols et du rapport du Sous-Préfet d'Espalion, le Préfet prit un nouvel arrêté, le 1er février 1817, pour confirmer le premier et par lequel il nomma monsieur Rogery, maire de Saint-Geniez d'Olt, chargé d'assurer l'exécution de cette ultime décision visant à ce que la cloche soit remise "dans la position même d'où elle avait été arrachée."
Tout en mettant à sa disposition les Brigades de Gendarmeries de Saint-Geniez d'Olt et de Séverac, ainsi que les détachements de la Garde Nationale dont il croirait avoir besoin, le Préfet recommandait à monsieur Rogery d'agir surtout par persuasion et de ne pas brusquer la population tout en lui donnant l'impression que cette modération n'était pas faiblesse. Le maire de Saint-Geniez d'Olt reçut ces ordres le dimanche 2 février à 3 heures du matin et se mit en mesure, le jour même, de remplir la mission qui lui était confiée.
Ayant appris que le maire de Pomayrols devait se rendre à Saint-Martin de Montbon, chef-lieu de la succursale d'Aurelle, pour publier à l'issue de la messe paroissiale la proclamation du Sous-Préfet d'Espalion, il y accourut mais trouva le village à peu près désert et les portes de l'église et des maisons toutes closes. Au presbytère, la bonne lui expliqua que sur les instance des paroissiens, monsieur le succursal (prêtre gérant d'une paroisse succursale) avait dit la messe de paroisse au point du jour, et qu'il devait se trouver auprès d'un malade à Aurelle. Bien que très outré par la "condescendance imprudente de monsieur le Succursal" qui avait changé les heures des messes dominicales sans en informer les autorités civiles, monsieur Rogery résolut de ne pas perdre sa journée et de se présenter successivement au domicile "de chacun des individus désignés dans le procés-verbal du maire de Pomayrols comme ayant pris part, le 30 janvier, à l'enlèvement de la cloche à Verlac."
Il alla d'abord aux Escoudats chez Mercadier qui paraissait être "le chef de l'entreprise". Celui-ci était absent, mais son épouse, après avoir reçu communication de l'arrêté préfectoral, donna l'impression "d'une prompte obéïssance". Quant à Rocanières, du village d'Aurelle, qui avait fourni son "char à vaches" pour enlever la cloche de Verlac, il fut "touché jusqu'aux larmes" et promis de rapporter, le lendemain, la cloche où il l'avait prise "dans le char qui avait servi à l'enlèvement".
Le maire de Saint-Geniez d'Olt alla ensuite voir monsieur le succursal, qui se trouvait effectivement à Aurelle, et lui fit des remontrances respectueuses "sur l'impudence du changement qu'il s'était permis dans l'heure fixée pour la célébration de l'office divin". L'ecclésiastique reconnut ses torts, s'en excusa et proposa à monsieur Rogery, commissaire délégué du Préfet, de l'accompagner chez tous les paroissiens qu'il fallait ramener à l'obéïssance.
Après une journée qui dut être assez fatiguante, monsieur Rogery rentra chez lui, à Saint-Geniez d'Olt, avec la promesse que la cloche serait transportée le lendemain à dix heures au clocher de Verlac, où il devait se trouver avec le maire de Pomayrols pour la recevoir.
Le lundi trois février 1817, il se trouva donc à l'heure fixée à Verlac, mais ni la cloche, ni le maire de Pomayrols ne firent leur apparition. Excédé, il décida de se rendre chez Mercadier aux Escoudats, persuadé sûrement que c'était encore ce dernier qui s'était opposé à la réalisation des promesses faites par sa femme et ses amis. En passant à Aurelle, il appris que la cloche avait été enlevée durant la nuit et que toutes les recherches faites pour la retrouver étaient restées vaines. Il ordonna de les poursuivre, mais n'obtint aucun résultat. Comprenant qu'il avait été berné, il prévint les habitants d'Aurelle qu'il allait se trouver "dans l'obligation de recourir aux voies de rigueur qui lui étaient prescrites".
Revenu à Verlac, il y trouva le maire de Pomayrols. D'un commun accord, ils se rendirent à Saint-Martin de Montbon où, "après avoir réunis les habitants du village, au nombre de quatre ou cinq individus", il donna lecture de la proclamation du Sous-Préfet. Cette visite devait avoir de très heureuses conséquences pour le commissaire du Préfet. En effet, il trouva là monsieur le succursal qui lui promit de se rendre immédiatement au village d'Aurelle et d'y passer la nuit " pour présider aux recherches et au départ de la cloche".
Effectivement, le quatre février, au point du jour, Rocanières d'Aurelle et Aldebert fils, de la Pomarède, allèrent prévenir le maire de Saint-Geniez que la cloche avait été rapportée dans la nuit à la porte de Rocanières, qu'ils l'avaient chargée à quatre heures du matin sur le même char à vaches qui l'avait enlevée de Verlac et qu'il la retrouverait aux portes de ce village.
C'était bien la vérité! A la demande de monsieur Rogery, Rocanières et Aldebert conduisirent la cloche au pied du clocher de Verlac et ils l'auraient, sûrement, eux-mêmes remise en place si, dans un mouvement spontané, les habitants de ce village ne s'étaient empressés de s'en charger. Le tout se passa sans aucune animosité de part et d'autre.
Le cinq février 1817, le maire de Saint-Geniez d'Olt s'empressa de rendre compte au Préfet du succés qu'il venait d'obtenir sans avoir eu besoin de recourir à la force armée. Dans son rapport, il ne négligea aucun détail, fit preuve d'une grande pondération et surtout d'une très rare connaissance psychologique du caractère et de l'âme des hommes de ce rude coin de l'Aubrac. Il estimait ainsi que le retour de la cloche d'Aurelle à Verlac n'était pas une solution valable, que le problème restait entier et qu'il fallait le résoudre en restituant aux habitants d'Aurelle LEUR cloche qui serait alors remplacée à Verlac par une autre de même poids achetée à frais communs. Cette partie du rapport mérite d'être citée tant elle dépeint à la perfection une mentalité et un tempérament très particuliers, propres à tous les habitants de l'Aubrac. De plus, elle dénote de la part de monsieur Rogery d’un rare et profond civisme, d’un grand souci de justice. Voici donc ce qu'il écrivait au Préfet :
"/…/ Il reste encore à éteindre dans le cœur des habitants d'Aurelle le ressentiment profond de l'humiliation méritée à laquelle les a conduits leur inconduite. Habitants des montagnes, fiers de leurs forces physiques et de leur courage indomptable, naturellement irrascibles, mais assez éclairés pour apprécier la bonté dont vous avez usée envers eux, ils déversent sur leurs voisins de Verlac tout l'odieux de leur mésaventure. Ils croient avoir à leur reprocher l'enlèvement d'une cloche qui existait dans leur commune depuis plusieurs siècles; par une circonstance fâcheuse, les principaux propriétaires de cette commune sont tous de jeunes irréfléchis, incapables de se modérer et, si l'on ne parvient à calmer par quelques concessions leur amour-propre offensé, il est à craindre que le moindre prétexte ne donne lieu à des rixes sanglantes entre eux et leurs voisins, dans les foires ou les fêtes patronnales de paroisses.
"La commune d'Aurelle conserve encore un orgueilleux souvenir de la suprématie qu'elle a longtemps possédé sur les sept paroisses qui portaient son nom et qui forment aujourd'hui la mairie de Pomayrols. Ils entretiennent avec quelques soins leur ancienne église qui, dans plusieurs circonstances, leur sert encore à la célébration des saints offices dans la saison rigoureuse. La cloche dont ils viennent d'être privés est la seule qu'on puisse entendre dans sept à huit villages ou hameaux. Pendant une longue suite de siècles, elle a appelé leurs ancêtres à la prière du matin, à celle de midi, à celle du soir. Ils ont vieilli dans l'habitude de l'entendre et ce son religieux est le seul qui réjouit leurs oreilles au milieu de leurs rochers et de leurs précipices où ils vivent isolés de toute société humaine. Pendant la mauvaise saison, elle rallie durant les jours brumeux les étrangers égarés que le hasard ou leurs affaires amènent dans cette contrée si mal traitée par la nature.
"Un préjugé respectable, fondé sur une heureuse expérience, les a convaincus que les vibrations de leur cloche, vouée à Saint-Pierre, leur protecteur spécial, écarte constamment de leurs récoltes les ravages de la grêle.
"Vous savez, monsieur le Préfet, combien les habitants des Montagnes tiennent aux habitudes et aux idées de leur enfance. Si, sans violer la loi et sans compromettre l'autorité, il vous est possible de ne pas les réduire au désespoir en condamnant à un silence éternel les échos de leurs gorges escarpées, vous vous empresserez de condescendre à leurs vœux en leur rendant une cloche, la plus chérie de leurs propriétés, qu'il sauvèrent au péril de leur vie pendant la Révolution, et qu'ils ne s'attendaient pas à perdre sous le règne paternel des enfants de Saint-Louis./…/
"J'ai pensé que vous jugeriez peut-être convenable de permettre qu'une cloche, d'un poids égal à celui de la cloche contestée, soit achetée à frais communs par les habitants d'Aurelle et de Verlac, en remplacement de celle qui serait alors rendue à son antique destination./…/
"Je dois ajouter que les habitants d'Aurelle, comme ceux de Verlac, sont sincèrement dévoués à la dynastie légitime et que sous ce rapport la mairie de Pomayrols est l'une des mairies du Département les plus irréprochables."
Appuyée par le Sous-Préfet d'Espalion, la requête du maire de Saint-Geniez d'Olt obtint un plein succès et, malgré une protestation du conseil de fabrique de Verlac, portant les signatures de : Mas, Simon, Teyssié, Thédénat et Rigal, recteur, la cloche fit son retour à Aurelle le deux mars 1817.
Les conflits de l'espèce durent être assez nombreux. Il existe par exemple un extrait des arrêtés de l'Administration Centrale de l'Aveyron, en date du 15 germinal An V de la république (5 avril 1797), où il est fait droit à une pétition des habitants de la paroisse de Naves d'Aubrac demandant que leur soit restituée la cloche "qu'ils avaient destinée pour timbre d'horloge et pour rappeler les égarés, laquelle avait été transportée à Saint-Geniez pour servir de timbre au couvent".
Pour en revenir à Aurelle et à sa belle cloche, particulièrement chère aux habitants, il faut préciser qu'elle porte une inscription, tout autour, en lettres demies-gothiques, caractères qui annoncent le XIVème siècle: "AVE MARIA GRA PLENA DNUS TECUM" et que cette cloche, fondue en fait au XVème siècle, a été depuis lors classée Monument Historique.
Quant à sa soit-disant vertu à dissiper la grêle, il faut savoir que c'était alors une superstition classique de la mentalité populaire qui attribuait aux cloches le pouvoir d'éloigner les orages et les grêles, destructeurs des récoltes. Le premier devoir du sonneur était justement de se rendre au clocher et de tirer sur les cordes à toutes volées dès que l'orage menaçait. Bien-sûr, il était souvent frappé par la foudre, victime de sa périlleuse mission.
Remarquons également qu'en 1731, Monseigneur de la Voye de Tourouvre, Evêque de Rodez, considérait lui-aussi cet usage comme normal…
Le Parlement de Toulouse, rendu plus instruit par les découvertes de Franklin, rendit le 4 juillet 1786, "au nom de l'expérience", un arrêt interdisant ces sonneries.
L'Administration Centrale de l'Aveyron fit de même le 31 août 1798, tout aussi inutilement puisque cet usage persista dans nos campagnes jusqu'à la moitié du XXème siècle.
22/CONSTITUTION DE LA MAIRIE D'AURELLE :
1790 – 1844
54 ANS D'ERREMENTS ADMINISTRATIFS
Par décret du 15 janvier 1790, 684 communes furent donc créées dans l'Aveyron. La section de Prades d'Aubrac, la section de Pomayrols et la section d'Aurelle formèrent alors une seule et même mairie. Les Crouzets, Lunet et Born, firent partie de la section d'Aurelle comme sous l'ancien régime.
Le grand problème posé par un tel découpage administratif fut, bien sûr, l'étendue de la circonscription, trop vaste. Il est intéressant de noter ici que l'actuelle commune d'Aurelle-Verlac totalise, en effet 5468 hectares, celle de Prades : 4664 hectares et celle de Pomayrols 2310 hectares, soit, au total, 12 442 hectares pour l'ensemble.
Le 22 octobre 1808, en vertu de l'arrêté du Préfet Sainthoren, le conseil municipal de la mairie de Pomayrols se réunit pour donner son avis sur la division de cette commune :
- Alazard de Lunet émit le vœu de "la laisser subsister en l'état qu'elle est".
- Fournié de Pomayrols, Plagnard de Prades et Serres de la Borie voulaient, eux, "que chacune des trois communes de Prades, Pomayrols et Aurelle, forment une mairie."
- Vezins du Monteil, Mercadier des Escoudats, Roux du Minié - Bas et Jean Bach de Born, le maire, "que Pomayrols et Aurelle restent unies et que Prades seul forme une seconde mairie."
Quelle solution adopter, alors que les membres même de ce conseil municipal défendaient des avis différents ?
Il fut cependant décidé, le 25 mai 1811, de faire un budget séparé pour chaque section mais le problème posé par l'étendue de la circonscription demeurait entier.
En 1814 le Sous-Préfet d'Espalion proposa une autre répartition de commune dont le chef lieu serait Born.
En ce qui concerne la section d'Aurelle, rappelons qu'il fut question, le 25 août 1817, des nouveaux cadastres et des limites de cette commune "aux lieux où l'on voit des traces de bâtiments et de Montjoyes", ou pierres très longues plantées lors du cordon sanitaire contre la peste qui affligeait le Gévaudan en 1721.
Le problème de l'étendue de la circonscription de Pomayrols (Pomayrols + Prades + Aurelle) fut à nouveau évoqué par le conseil municipal, le 8 août 1835. Raynal, le maire, donna ce jour-là lecture d'une pétition des habitants de Born, les Crouzets et Lunet. Ils y exprimaient le désir d'être réunis à la section de Prades, plutôt qu'à celle d'Aurelle, et le maire était d'avis que cette requête devait être prise en considération. Il émit également l'idée que les trois communes composant la mairie de Pomayrols devraient être partagées en deux.
- la section de Pomayrols comprenait alors les paroisses de Pomayrols et Laboulesq, totalisant ainsi 846 habitants.
- La section de Prades totalisait, elle, 716 habitants.
- Celle d'Aurelle, composée alors des paroisses de Born, Lunet, Les Crouzets, Vieurals, Verlac, Naves et Saint-Martin de Montbon, atteignait, elle 2019 habitants.
Il fut surtout souligné lors de cette réunion du conseil municipal qu'un "homme en quatre jours, pourrait à peine visiter les principaux villages de la circonscription, que l'administrateur le plus dévoué était dans l'impossibilité de satisfaire aux besoins de toutes les localités." Un membre d'Aurelle émis l'idée de la diviser en trois mairies indépendantes l'une de l'autre.
Le 13 mai 1836, le Secrétaire d'Etat au Ministère de l'Intérieur rappela au Préfet de l'Aveyron qu"il devait lui adresser les propositions au sujet de la division en deux de la mairie de Pomayrols, comme l'avait demandé le conseil général.
Le 9 juin suivant, le Secrétaire d'Etat envoya une dépêche au Préfet Rozet, accusant ainsi réception de ses lettres des 4 avril et 19 mai dernier avec une légère ironie. Voici ce qu'il lui écrivait alors :
"Je craignais, je l'avouerai, d'après les explications contenues dans votre lettre du 4 avril, que les difficultés de l'opération ne vous eussent amené à penser qu'elle devait être ajournée d'une manière indéfinie, puisque vous paraissiez chercher à atténuer les inconvénients des circonscriptions communales actuelles, et que vous laissiez pour ainsi dire au temps le soin de les faire peu à peu disparaître. Mais les explications nouvelles que vous me donnez dans votre lettre du 19 mai, au sujet des votes du Conseil Général sur divers changements, me rassurent à cet égard et je vois avec plaisir que vous vous occupez activement à préparer un travail d'ensemble, dont le résultat serait de remédier aux vices nombreux que présente la circonscription créée par l'arrêté de Messidor an VIII /…/"
Il lui recommandait également de mener ce travail à terme le plus rapidement possible et "de suivre la marche tracée par l'instruction ministérielle du 9 mars 1829."
Une autre dépêche ministérielle informa le Préfet que le comité de l'Intérieur travaillait à un projet d'ordonnance, opérant cette réorganisation conformément aux vœux et aux intêrets des habitants.
Le 3 juillet 1837, une ordonnance royale délimita 70 nouvelles communes dans l'Aveyron. C'est alors que la commune de Prades fut distraite de la mairie de Pomayrols. Celle d'Aurelle fut divisée et "jointe partie à celle de Pomayrols et partie à celle de Prades", un ruisseau : le Merdanson, forma à l'est les limites de la section d'Aurelle et la sépara de la commune de Prades d'Aubrac." Ainsi, Born, Lunet et les Crouzets furent-ils rattachés définitivement à cette nouvelle mairie.
Mais cela ne pouvait suffire aux élus de la commune Pomayrols-Aurelle, et le conseil municipal émis, le 4 mars 1840, le vœu que la circonscription de Pomayrols soit encore divisée en deux, la section d'Aurelle pouvant former une commune à part entière.
Les conseillers municipaux renouvelèrent ce souhait le 4 mars 1841, argumentant alors que la mairie de Pomayrols était encore étendue "de façon énorme et monstrueuse".
Ce n'est pourtant que par ordonnance du 6 avril 1844 que la section d'Aurelle fut définitivement distraite de la circonscription de Pomayrols, formant enfin une commune à part entière dans les limites que nous lui connnaissons aujourd'hui, ses 5468 hectares lui valant encore d'être la commune la plus étendue du canton de Saint-Geniez d'Olt. Il fallut donc 54 ans, deux générations pour que la commune d'Aurelle voit enfin le jour ! Aurelle en fut le chef lieu jusqu'en 1845, à cette date Verlac lui succéda et la commune pris dès lors le nom d'Aurelle-Verlac.
23/LES ANNEES TERRIBLES : 1844-45
Plus que son relief, c'est son climat rigoureux qui confère à l'Aubrac son caractère montagnard. Il neige jusqu'en avril ou mai, et dès octobre ou novembre; on voit parfois même voltiger des flocons en juin ou juillet mais cela demeure, heureusement, exceptionnel. La neige demeure de longs mois coupant pour plusieurs jours les routes, isolant fermes et hameaux. L'hiver, le vent se conjugue avec elle : c'est "l'écir" que décrivait ainsi l'abbé Deltour :
"malheur au voyageur qui traverse alors le pays, aveuglé par des tourbillons de neige, ne voyant plus au delà d'une distance de trois pas, il perd la trace du chemin effacé… Si la nuit le surprend dans cette horrible situation, il est perdu… Que d'infortunés ont ainsi péri!"
Aux endroits les plus exposés, en plein cœur de l'Aubrac, de hautes bornes de granit servaient autrefois de repères lorsque le plateau revêtait son glacial manteau blanc, et jusqu'à la Révolution, l'abbaye d'Aubrac eut sa "cloche des perdus" qu'un moine sonnait à toute volée les jours de tourmente pour guider les égarés vers le village, Aurelle et Naves d'Aubrac gardèrent la leur bien au delà. Malgré cela, les exemples tragiques ne manquent pas.
On peut ainsi citer l'hiver 1408 qui fut le plus rude de tout le Moyen-âge. C'est cette année là, en ce qui concerne la Baronnie d'Aurelle, que l'ancien village de Vieurals fut décimé. En effet, bien que l'Evêque ait fait distribuer du pain, les habitants de ce village moururent tous de faim et de froid au cours de la mauvaise saison. Il faut dire que fin novembre la température y était de 46 degrés en dessous de zéro. Ce hameau, dont on trouve trace dès 1373 était alors bâti à l'emplacement appelé aujourd'hui "la placette". Il fut rebâti vers 1473 à l'endroit où il se trouve encore.
On peut également mentionner l'hiver 1709 qui fut tout d'abord exceptionnellement clément. En effet le 1er janvier 1709 les cerisiers étaient déjà en fleurs. Mais cela ne dura pas. Le 5 janvier, la neige commença à tomber en abondance pour ce cesser que six semaines plus tard!
Et nous en arrivons aux années 1844-1845 qui furent particulièrement meurtrières dans la région.
Ainsi, le 26 mars 1844, Baptiste Charrié de Born, père de deux enfants en bas âge, accompagne un marchand de toile de Marchastel. Le temps était calme mais il y avait de la neige et des fondrières… L'homme ne revint pas… Jacques Mercadier découvrit son corps le 20 avril suivant. On le déposa au cimetière où il fut inhumé, après la visite d'un docteur et un procès-verbal de la gendarmerie, le 23 avril.
Le 20 janvier 1845, par un ciel sans nuages, on entendit un roulement de tonnerre qui dura plusieurs minutes et la neige tomba après pendant un mois, sans discontinuer, à Born. Les portes et les fenêtres ayant été vite obstruées, on creusa une galerie sous la neige, d'une longueur de 60 mètre, pour accéder à la fontaine du village. La neige gela et les chars purent passer sur cette voûte sans l'ébranler.
A cette même époque se déroula sur la commune d'Aurelle une tragédie dont les anciens parlent encore de nos jours, l'ayant entendu raconter par leurs parents ou grands parents : il s'agit de l'avalanche de la Molière.
Le samedi 1er février 1845, le vent du nord-ouest, soufflant avec violence, avait apporté toute la neige du plateau des Cats sur une pente raide et sur un pré arrosé par les eaux de plusieurs fontaines aux pieds desquels se trouve situé le hameau de la Molière.
Vers les deux heures de l'après-midi, la neige amoncelée sur ce terrain humide glissa, entraînant avec elle une partie du pré, et emporta quatre maisons du village, qui s'écroulèrent à, peu de distance ensevelissant leurs habitants sous une énorme quantité de décombres.
Le premier moment de stupeur passé, les autres habitants se mirent à l'œuvre avec courage et, au bout d"une demi heure ils purent arracher à la mort une fille et sa mère, madame Sanhet que l'on trouva pourtant ensevelies jusqu'au cou.
Ce succès redoubla l'ardeur de tous, mais ces sauveteurs improvisés étaient trop peu nombreux et par le temps qu'il faisait, la neige tombant en abondance et rendant tous les chemins impraticables, il n'y avait pas de secours immédiat à espérer, cependant des gémissements prolongés se firent bientôt entendre et les travaux prirent alors une meilleure direction. La voix devint ensuite plus distincte, c'était celle d'Antoine Malrieu, qui s'efforçait de diriger et d'encourager les travailleurs. Mais leurs forces commençaient à s'épuiser et les difficultés devenaient telles qu'il y eut un moment d'hésitation. Quelqu'un proposa même de renoncer à une entreprise impossible… Malrieu put entendre cette proposition, et il y répondit par un dernier cri de détresse. Ce cri déchirant, ce cri d'angoisse ranima le courage des moins entreprenants, et l'on parvint, enfin, après des efforts inouïs, à retirer Malrieu du milieu des ruines, aux alentours de minuit.
La fatigue et le mauvais temps forcèrent alors les travailleurs à prendre un peu de repos. Le point du jour arrivant, un exprès fut envoyé à Naves pour y annoncer le triste événement et y demander du secours. Monsieur l'abbé Niel, le vicaire, allait commencer sa messe. Ils s'empressa d'annoncer aux fidèles rassemblés dans l'église que l'office divin n'aurait pas lieu, que son devoir l'obligeait à se rendre au village de la Molière ; et il engagea tous les hommes valides à le suivre pour aller porter secours aux victimes de cette terrible catastrophe. Sa voix fut entendue, et il arriva sur les lieux suivi de nombreux travailleurs qu'il ne cessa de diriger pendant deux jours et deux nuits, les encourageant de la voix, les aidant de son bras robuste et de son sang-froid intelligent, et leur faisant même distribuer, à ses frais, de copieuses rations de vin et de liqueur pour rétablir leurs forces.
Ce dévouement fut en partie récompensée : vers midi, on parvint à extraire des ruines deux enfants encore vivants : Paul et Marie Gardes, ils avaient passé 24 heures accroupis sur la pierre d'un foyer, Paul avait un poignet écrasé et l'on fut obligé de l'amputer de la main, ce qui lui valut plus tard le surnom de "lo débrassat" : le manchot.
Sur seize personnes ensevelies, on avait déjà eu le bonheur d'en sauver cinq, on espérait encore, mais on ne retira que le cadavre des autres. Non loin de Pierre Sanhet, un vieillard de 75 ans, on trouva une jeune mère : Sophie Malrieu, née Romiguier, tenant un petit berceau sur ses genoux, la bouche de son enfant, Sophie, encore entr'ouverte : la mort l'avait surpris sur le sein maternel.
A peine cette désolante nouvelle parvint-elle à Saint-Geniez d'Olt que les docteurs Vezins et Sahut accoururent au secours des malheureux habitants de la Molière, malgré un temps affreux. Les blessés furent donc l'objet de leur soins, il n'en resta pas moins onze victimes.
Sensibles à l'infortune des survivants de cette catastrophe, les habitants de Saint-Geniez d'Olt voulurent l'adoucir et la voix de leur prêtre vint seconder le désir de leur cœur. A la sortie de l'église, le 9 février, l'abbé Bessières et le maire de Saint-Geniez d'Olt organisèrent une quête qui rapporta six cents francs. Ce premier don fut reçu avec reconnaissance par le curé et le vicaire de Naves, au nom des malheureux.
L'exemple de Saint-Geniez d'Olt fut suivi par le diocèse : une souscription fut ouverte au secrétariat de l'évêché et Monseigneur l'Evêque s'inscrivit le premier, pour une somme de cent francs.
Les cadavres des onzes victimes furent déposés dans une fosse commune et le prêtre de la paroisse fit graver sur la pierre tombale "ci-gisent les onze victimes de l'affreuse catastrophe qui eut lieu à la Molière, le 1er février 1845. Requiescant in pace."
Voici la liste des victimes de cette catastrophe qui endeuilla quatre familles :
- Amans Gardes, 39 ans
- Anne Bernard, femme d'Amans Gardes, 35 ans.
- Rosalie Gardes, leur fille, agée de 18 mois.
- Pierre Sanhet, 75 ans
- Pierre Sanhet fils, 45 ans
- Sophie Sanhet, fille de ce dernier, 5 ans
- Joseph Trousselier, 34 ans
- Marie Noyer, sa femme, 35 ans
- Sophie Romiguier, femme d'Antoine Malrieu, agée de 28 ans.
- Antoine Malrieu, leur fils, 3 ans.
- Sophie Malrieu, leur fille, que la mort avait surprise sur le sein de sa mère.
On peut encore citer, pour conclure ce chapitre sur les calamités climatiques, quatre hivers terribles : celui de 1870 ; celui de 1890 : l'année où la neige tint du 4 décembre au 1er mars, isolant les hommes et les animaux du reste du monde ; celui de 1955-56 qui fit date dans la mémoire des anciens ; et, tout près de nous, l'hiver 1984-85 où les températures atteignirent 24 degrés au dessous de zéro. Sans oublier ce fameux lundi 6 mai 1985 où l'Aveyron s'éveilla sous une épaisse pellicule de neige inattendue pour la saison.
24/LE GENERAL D'AURELLE DE PALADINES
DANS LA GUERRE DE 1871
Mon but n'est certes pas de vous raconter une fois de plus la guerre de 1871, mais simplement de mentionner une anecdote qui eut son importance à l'époque pour les habitants d'Aurelle.
En effet, le général d'Aurelle de Paladines n'avait pas hésité à reprendre du service à la déclaration de guerre quoiqu'il fut à la retraite, ayant alors 66 ans.
Le 11 octobre 1871, il fut placé à la tête des 15ème et 16ème corps d'armée de la Loire, avec lequel il obtint la victoire de Coulmiers, qui se déroula le 9 novembre.
Cet homme était un officier ferme et résolu, comme le montre la déclaration qu'il avait faite à l'armée de la Loire :
" Je vous demande avant tout la discipline et la fermeté. Je suis parfaitement décidé à faire passer par les armes tout soldat qui hésiterait devant l'ennemi et si, par hasard, moi-même, je ne fais pas mon devoir, je vous ordonne de me fusiller."
Mais, qui était-il vraiment, et surtout d'où venait-il ce général d'Aurelle de Paladines dont une rue de Marvejols porte encore le nom aujourd'hui, où étaient ses racines ? Voilà qui n'est pas encore vraiment établi, et l'on peut encore se demander si ce général était ou non d'origine rouergate.
Certains historiens ont, en effet, prétendu que la famille du vainqueur de Coulmiers serait venu du château d'Aurelle, siège de la Baronnie qui nous intéresse ici, et qu'une branche de cette noble famille se serait fixée à Paladines, commune de Chauliac, canton du Malzieu, arrondissement de Marvejols, en Lozère.
Mais ainsi que le fait remarquer Monsieur André Ancourt : "les auteurs ne sont pas d'accord pour ce qui est de l'identification du lieu d'origine des Aurelle de Paladines, dont le patronyme est tiré des noms de deux fiefs distinctifs. La localisation du premier semble n'avoir pas été indiscutablement établi…"
En ce qui concerne les historiens : pas de certitudes, donc. Les journaux de l'époque prirent, cependant, position d'une façon catégorique et sans faux détours. Le général d'Aurelle de Paladines y est en effet qualifié de :
- "notre compatriote!"
- "notre compatriote aveyronnais !"
- "l'un de nos plus éminents compatriotes"
ou bien encore de
- "notre compatriote et brave général aveyronnais!"
Alors le général Aurelle de Paladines avait-il réellement dans les veines le sang de "nos" Aurelle ? On ne le saura jamais à moins de reconstituer son arbre généalogique, cependant n'oublions pas que la lignée des Seigneurs d'Aurelle qui avait pris le nom de cette terre s'est éteinte depuis longtemps. Mais qu'importe dans le fond?… Ce qui comptait en 1871, c'était sûrement plus de tirer les lauriers à soi et de se faire, éventuellement offrir un verre par les gens de Saint-Geniez d'Olt, en tant qu'enfant d'Aurelle, que d'établir une vérité historique.
Et je ne peux m'empêcher de penser que si ce brave général d'Aurelle de Paladines avait été un vaincu au lieu d'un vainqueur, il n'aurait sûrement été revendiqué par aucune des deux localités dont il portait le nom, au contraire.
Mais l'anecdote méritait, tout de même, d'être contée.
25/1884 : LE TEMPS DES EMIGRANTS
L'année 1884 fut celle de l'immigration Aveyronnaise vers l'Argentine. Ce fort courant migratoire est du au premier installateur du téléphone argentin : Clément Cabanettes, originaire d'Ambec près de St Côme d'Olt. Sa mission terminée en Argentine, il décida, en effet de s'y installer et de fonder une colonie française sur 27000 hectares de terrains achetés à un certain Casey.
Ceci fait, Cabanettes revint dans l'Aveyron pour motiver d'éventuel candidat à l'émigration ; il reçut en cela l'aide de François Gay, de Ceyrac. Leur propagande commune porta ses fruits puisque, le 24 octobre 1884, une quarantaine de famille : 180 personnes dont 40 enfants, s'embarquèrent à bord du "Belgrano", à Bordeaux, en direction de la terre promise. Le voyage dura 38 jours et les colons arrivèrent, le 4 décembre 1884, date demeurée historique à Pigüe, ville que fondèrent nos compatriotes aveyronnais dans la Pampa du sud.
Mais qu'allaient donc chercher ces colons improvisés à 15 000 kilomètres de leur terre natale?… Ils allaient "faire l'Amérique", le mirage d'une "Argentine argentée" avait repris couleur, et, après trois siècles d'interruption, ils enchaînaient sur le vieux rêve de la conquête!… Et, surtout, ils fuyaient les mauvaises terres et la misère.
A leur arrivée on les surnomma "los recienvenidos" (les nouveaux venus) mais il n'étaient pas les seuls "recienvenidos", il y eut aussi des Italiens, des Espagnols, des Polonais et des Allemands qui émigrèrent à diverses époques vers cette lointaine contrée. A la différence des Etats-Unis, il n'y eut pas immédiatement de "melting pot" (mélange des races) et, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les différentes races d'émigrants ne fusionnèrent pas rapidement. Face à une population méfiante et à des conditions de vie souvent moins faciles qu'elle ne l'avaient imaginé, chaque colonie eut longtemps tendance à se replier sur elle-même, organisant ses écoles, ses mutuelles, célébrant les fêtes de la "Mère- Patrie"plutôt que celles d'une nation à l'histoire de laquelle ils n'avaient pas participé. C'est qu'il ne s'agissait plus d'une émigration presque exclusivement masculine, comme ç'avait été le cas jusqu'alors, mais de familles entières qui, grâce à la navigation à vapeur et aux billets quasi-gratuits mis à leur disposition, rejoignirent assez vite l'homme envoyé en éclaireur et débarquèrent avec leurs coutumes, leur langue, leurs enfants, et une immense soif de réussite.
En ce qui concerne les Aveyronnais, chacune des familles faisant partie de la première vague d'émigration, celle de 1884 donc, reçut à son arrivée 100 à 200 hectares de terres à des conditions exceptionnellement avantageuses, si avantageuses qu'elles valurent à Clément Cabanettes d'être traité d'imbécile par le gouverneur de la province de Buenos-Aires.
Malgré cela les débuts des colons Aveyronnais ne furent guère brillants. En effet les années 1885 et 1886 se soldèrent par de très mauvaises récoltes et, un siècle après, on trouve encore des "Pigüenses" qui n'hésitent pas à s'attaquer à la légende dorée, et à avouer que l'entreprise se trouva alors au bord de la faillite. Mais les récoltes s'améliorant par la suite, Pigüe prit peu à peu son essor.
Parmi les premiers émigrants se trouvaient notamment :
- Louis Calmels d'Aurelle (1870-1900), qui épousa, le 19 décembre 1895, Joséphine Issaly, originaire de Saint-Geniez d'Olt. Ils eurent deux enfants: Luis-José en 1896 et Angel –Emilio en 1900.
- Jean Baptiste Calmels d'Aurelle (1873-?) qui épousa Marie Vergnes originaire de Rodez, le 7 avril 1896. Ils eurent 11 enfants: Maria-Angela, Luisa, Juan-Batista, José-Noël, Mateo, Cecilio, Sadi-Eduardo, Armando, Luis, Micaela, René, nés de 1898 à 1917.
L'un deux : Sadi-Eduardo, fut président du conseil d'administration du journal argentin : "el progresso" de 1924 à 1938, il était encore membre de ce conseil d'administration en 1974.
- un autre Louis Calmels d'Aurelle, qui épousa Rosalie Clarion originaire de Saint-Geniez d'Olt.
- Augustin Roumec de Naves d'Aubrac, qui épousa Louise Clergue originaire de Gramond ; ils eurent 7 enfants nés à Pigüe.
- Baptiste Roumec de Naves d'Aubrac, qui épousa Eugénie Clergue originaire de Gramond. Ils eurent 10 enfants nés à Pigüe.
- Alexandre Bras de Verlac, qui partit avec sa femme Emilie et ses six enfants, nés en France, Léon, Alexandre, Berthe, Julie, Emilie et Denis.
Soit, six couples d'émigrants pour la seule commune d'Aurelle-Verlac, six couples en moins parents de 36 enfants au total ! Et cette liste n'est peut-être pas exhaustive…
Parmi les noms que je viens de donner, il y en a un qui marqua tout particullièrement la mémoire des émigrants, c'est celui de la Verlaguaise Emilie Bras.
Au cours de la traversée sur le "Belgrano", la jeune fille fut l'héroïne d'une aventure peu commune. Comme elle était sage et sérieuse, M. l'abbé Domergue, chef spirituel du groupe, la chargea de veiller au transport de la pierre sacrée qu'ils avaient apportée de Lassouts et qui serait indispensable pour célébrer la Sainte-Messe dès l'arrivée.
Ce fut chose facile durant la traversée, ce le fut moins à l'arrivée à Buenos-Aires où l'accomplissement des diverses formailtés douanières, sanitaires et administratives, imposèrent aux émigrants des embarquements et des débarquements successifs de côtés et d'autres. Il fallait chaque fois transporter les bagages et colis encombrants auxquels s'ajoutait pour la jeune Emilie, l'embarras et le poids de la lourde pierre.
De jeunes et joyeux compagnons décidèrent de la débarrasser de cette corvée "te fa rabala aquel roc, bésés pas que lou curat se truffo de tu" (te faire traîner cette pierre, tu ne vois pas que le curé se moque de toi!)… Un coup de coude au bon moment, une petite bousculade, et la pierre sacrée glissa des mains d'Emilie et tomba dans l'eau…
Ah! Monsieur l'Abbé Domergue ne fut pas content ! En des paroles vengeresses, il stigmatisa et jeta l'anathème sur les jeunes inconscients responsables de ce grave sacrilège. Beaucoup d'émigrants partagèrent d'ailleurs l'indignation du prêtre : ils pensaient pouvoir bénéficier de la messe dès leur arrivée… Il leur fallut attendre vingt jours, et c'est seulement dans la nuit du 24 décembre 1884 que les premières prières chrétiennes purent s'élever solennellement vers le ciel de la Pampa, jointes – il est vrai – aux chants joyeux et nostalgiques des vieux noëls patois Aveyronnais.
C'est ainsi que, depuis lors, une pierre sacrée de l'église de Lassouts gît sous les flots limoneux du Rio de la Plata, à quelques dizaines de mètres des gratte-ciels de Buenos-Aires.
Mais ce n'est certes pas la petite mésaventure de la pierre sacrée qui valut à Emilie Bras de voir sa mémoire honorée à Pigüe par ses compatriotes… Les émigrants amenés en Argentines par Cabanettes, avaient quitté l'Aveyron sans envisager d'y revenir, du moins avant plusieurs années. Ils étaient donc partis par familles entières : grand-pères, grand-mères et enfants en bas âge accompagnant les adultes. Et ces enfants, il fallait bien les instruire… C'est à cette tâche que se consacra Emilie Bras, elle le fit avec un dévouement que nul là-bas n'a oublié. Elle continua sa mission éducative même après son mariage avec un compatriote, monsieur Servières, et c'est ce nom là qui figure désormais sur les plaques commémoratives apposées en 1964, l'une dans l'école où elle enseigna, les autres aux angles d'une rue de Pigüe désormais baptisée à son nom.
Bien sûr, dans toutes les villes du monde les municipalités ont l'habitude d'honorer les citoyens illustres en donnant leur nom à une artère de la cité, mais cet honneur – il faut bien le reconnaître – est presque toujours réservé aux représentants du sexe fort, et les noms de femmes restent rares sur les plaques de rue… Soyons donc heureux qu'une exception ait été faite en faveur d'une de modeste compatriote qui est née et à passé toute son enfance sur notre Aubrac.
Les mois, puis les années passèrent… Les colons travaillaient avec acharnement et, petit à petit, leurs conditions matérielles s'amélioraient. Ils écrivaient parfois à leur famille restée en France et quelques uns purent même faire un voyage "au pays". On y parlait alors de Pigüe, ce qui décidait de temps en temps quelques nouveaux Aveyronnais à aller rejoindre les premiers émigrants.
Voici ce que raconta l'un d'eux, il y a quelques années. Il s'agit de monsieur Baptiste Gardes, dernier né d'une famille nombreuse installée sur l'Aubrac, que son père avait placé comme petit berger dans une ferme de la commune de Saint-Saturnin de Lenne en 1895. Il émigra vers 1900.
- "Je suis né à la Molière, commune d'Aurelle-Verlac. Nous n'étions pas riches, et dès l'âge de 10 ans mon père m'envoya comme petit berger sur le causse au domaine des Crozes.
Mon patron, Chayriguès, m'autorisa un jour à aller voir mon père à la foire à Saint-Geniez d'Olt. Nous y rencontrâmes Monsieur Grégoire venu de Pigüe passer quelques semaines en France pour affaire de famille.
- Combien gagnes ton petit, dit-il à mon père ?
- 175 francs par an
- Eh bien si tu le laissais venir avec moi à Pigüe, ce n'est pas 175 francs par an qu'il gagnerait, mais 175 francs par mois !
Bien sûr mon père haussa les épaules. Pourtant, il revit Grégoire, et un jour je le vis arriver aux Crozes…
- je viens te chercher, petit, me dit-il, nous partons tous les deux en Amérique ; si ça marche, dans quelques mois nous ferons venir ta mère et tes frères et sœurs.
- Saiques sios bengut fat ! (tu es dans doute devenu fou !) dit Chayriguès… et comme il était content de mes services, il proposa une augmentation de salaire de cinq francs, alla même jusqu'à dix francs.
Mais la décision de mon père était définitive, et trois mois plus tard nous étions installés dans une laiterie proche de Pigüe. C'est moi qui allait vendre le lait en ville. Le soir mon père comptait les pesos que j'avais rapportés, il les convertissait en francs et me disait :
- Grégoire ne nous a pas trompés, tu les gagnes, mon petit, tes 175 francs par mois, et même davantage.
Cinquante ans plus tard, monsieur Baptiste Gardes, ancien petit berger des Crozes, était propriétaire de plusieurs vastes domaines dans la région de Pigüe. Il avait fait construire une belle maison avec escalier de marbre, mosaïques, rampes en fer forgé et «bow-window», l'une des très rares maison de la ville à un étage, la plus belle, sans doute, puisqu'elle figurait alors à la place d'honneur sur le tract de propagande touristique de la ville de Pigüe.
Il me semble aussi intéressant de vous raconter comment cet émigrant organisa ses vacances en 1964, la réalisation de ce programme pouvant vous éclairer sur la situation et les possibilités de certains de nos compatriotes Argentins. Toute la famille Gardes vint en avion de Buenos-Aires à Lisbonne. Là, elle loua une auto particulière pour rallier l’Andorre en passant par Séville, Cordoue, Tolède et Madrid, un crochet de plusieurs centaines de kilomètres !… Une autre auto particulière les porta d'Andorre à Rodez, et c'est encore une voiture louée qui les conduisit à l'étape suivante : Lyon. De cette ville, le voyage se poursuivit par Paris, Amsterdam, Francfort-sur-le-Main, Vienne, la Suisse, Milan, Rome et Naples où un paquebot Italien ramena ces amateurs de belles et longues vacances en Argentine.
Bien sûr, tous les colons Aveyronnais ne réussirent certainement pas aussi bien… Quoiqu'il en soit, au lendemain du centenaire de la fondation de la ville de Pigüe, nous voilà fixés sur le sort de trois de nos compatriotes que tout Pigüe connaît : Sadi-Eduardo Calmels, Emilie Bras de Servières, et Baptiste Gardes.
Quant à nous, descendants d'ancêtres moins audacieux, il nous reste toujours la possibilité de rêver à l'éventuel héritage d'un "tonton d'Amérique" !
26/VIE LOCALE A LA FIN DU XIXeme SIECLE
Le XIXème siècle fut surtout marqué, dans la commune d'Aurelle, par un très grand nombre de procès. Ils opposaient le plus souvent un petit propriétaire à un autre, comme ce fut le cas le 20 juillet 1866.
Ce jour-là, comparut devant le tribunal de première instance d'Espalion, en audience publique et séance correctionnelle, le dénommé Antoine Jarousse, cultivateur, alors âgé de trente ans, domicilié à la Rive, commune d'Aurelle, jugé pour coups et blessures volontaires.
En effet, le 3 juin 1866, Antoine Vaylet[1] de Mazes prévenu, par on ne sait qui, que Jarousse faisait habituellement paître son troupeau dans le pré dit "la Millaire", appartenant à Vaylet, celui-ci y alla et y trouva effectivement Jarousse avec ses brebis. Vaylet commença aussitôt à faire sortir le troupeau de son champs, mais il fut pris à partie par Jarousse qui lui lança des pierres dont plusieurs l'atteignirent et une entre autre lui enfonça une côte, comme ce fut constaté dans un rapport médico-légal.
Lors du procès, Jarousse contesta cette version des faits, vainement d'ailleurs puisqu'elle fut corroborée par celle d'un témoin : Marie Alibert. Celle-ci déclara, en effet, avoir vu le prévenu lancer des pierres à Vaylet et avoir également vu Vaylet se retirer immédiatement en boitant.
Jarousse fut donc reconnu coupable "d'avoir, sans motif ni provocation, volontairement porté des coups et fait deux blessures au nommé Vaylet, sans qu'il en soit toutefois résulté un maladie ou une incapacité de travail personnel de plus de vingt jours. Il fut condamné à six jours de prison et aux frais liquidés à 25 francs, 5 centimes, y compris le timbre et l'enregistrement du jugement.
Bien sûr ce genre d'incidents, dus au mauvais voisinage, peut faire sourire. Pourtant, la vie des gens en était véritablement parsemée, ils vivaient alors – et parfois encore – au rythme des accords et des désaccords, des jalousies et des provocations, des procès et des tentatives de conciliations, dus le plus souvent à un très grand sens de la propriété.
On peut noter pour l'anecdote que cet Antoine Vaylet dont il était question dans ce procès, demandait toujours une copie des actes qui le concernaient, et les gardait précieusement, alors qu'il ne savait qu'à peine signer. C'était d'ailleurs le cas de la plupart de ses contemporains qui parfois même l'oubliaient avec l'âge. Ainsi, le 20 février 1876, lors de l'achat d'une maison à Mazes, "ledit monsieur Vaylet requit de signer déclara avoir autrefois signé, mais ne pouvoir le faire en ce moment, l'ayant complètement oublié."
Il y eut également des procès qui devinrent l'affaire de tout un village, voire de la commune entière. Ce fut le cas lors du partage des Costes de Mazes puisque tous les habitants du hameau furent concernés et que l'on dut également prier le maire d'intervenir.
Cette affaire prend ses sources dans un acte du 1er juillet 1512, de maître Argentier, notaire à Campagnac, qui fut mentionné maintes fois au cours de la procédure. Voici ce qu'en disait maître Palangier le 29 mai 1863 :
" de la mairie d'Aurelle dépend le village de Mazes et, aux appartenances de ce village, il existe un vaste tènement appelé "les Costes", tenant de tout côté avec des propriétés particulières, dont les trois quarts appartiennent par indivis aux représentants des treize familles qui existaient dans ce village au XVIème siècle, et le quart restant à la famille Grégoire et Jarousse (dont les descendants s'étaient mariés entre eux) du hameau des Rives, suivant un acte du 1er juillet 1512, d'Argentier, notaire à Campagnac."
Tout commença vraiment le 14 mars 1846, jour où Antoine Teyssié, cultivateur domicilié à Verlac, et descendant de l'une des treize souche du XVIème siècle, demanda le partage des Costes de Mazes en quatre lots, soutenu en cela par quelques autres propriétaires. L'un de ces lots devait revenir, d'après lui, à la famille Grégoire à laquelle appartenait ¼ de ce terrain. Les trois lots restant devaient, eux, être encore divisés en treize lots. Qu'il ne restait plus alors qu'à attribuer aux autres habitants de Mazes qui y avaient des droits. Cela semblait facile, trop facile sûrement…
Un jugement de défaut, du 8 avril 1846, accueillit la demande d'Antoine Teyssié et un expert fut aussitôt nommé par le tribunal pour établit un premier procès-verbal de partage. Mais au moment même où son rapport allait être homologué la plupart des habitants de Mazes formèrent opposition au jugement et soutinrent que "le terrain des Costes constituait une propriété communale et ne pouvait donc être partagé, du moins sans l'intervention de l'autorité administrative et sans y admettre tous les habitants actuels du village de Mazes." Le tribunal fut donc appelé à statuer sur cette opposition…
Un nouveau jugement intervint donc, le 22 novembre 1849, qui, avant de statuer, ordonna la mise en cause préalable du maire d'Aurelle en ces termes : "la contestation qui divise les parties consiste à savoir si ce terrain dont les parties ont demandé et fait ordonner le partage, est indivis ou commun entre eux. Quelle que soit la décision à prendre, il importe d'ordonner l'intervention du maire de la commune d'Aurelle dans laquelle est situé le terrain en litige." Mais le temps passa sans qu'il fut donné suite à cette requête.
Ce n'est finalement que le 29 mai 1863, qu'en conformité avec le jugement de 1849, maître Palangier, huissier du tribunal civil d'Espalion, résidant à Saint-Geniez d'Olt, pria monsieur Alazard, maire d'Aurelle, de comparaître sous huitaine devant le tribunal civil d'Espalion afin d'y venir déclarer "que le terrain des Costes n'est pas une propriété communale, mais bien un indivis entre le requérant et les autres membres des treize souches du XVIème siècle pour les trois quart et la famille Grégoire, alliée à la famille Jarousse, pour le dernier quart."
Il s'agissait donc là de déclarer la commune sans aucun droit sur ce terrain et de mettre le maire hors d'instance, avec dépens contre ceux à cause de qui il avait été cité à comparaître. Le maire de l'époque, Alazard, ne répondit pas à cette convocation : il était démissionnaire, et cela incomba donc à son adjoint Monnié.
Dans cette affaire commencée dès 1846 et encore en cours en 1863, le temps eut, bien sûr son rôle à jouer… C'est ainsi que le 21 décembre 1863, Maître Palangier fit savoir aux différentes parties que l'instance était "venue hors de droit", à cause du décès de plusieurs des personnes concernées, du veuvage de leur conjoint, du mariage ou du remariage de quelques autres, et en particulier, de la démission de l'avocat des partisan de la thèse du terrain communal : Maître Bastide.
Le procès-verbal de partage et tirage au sort des lots, dressé par monsieur Julien, expert-géomètre, le 18 août 1846, enregistré, fut finalement appliqué. C'est ainsi que, bon gré, mal gré, les descendants des treize familles vivant à Mazes en 1512, furent convoqués et tirèrent ces lots au sort, comme prévu, puisqu'il s'agissait bien là d'un indivis entre eux et non d'un terrain communal comme ils l'avaient prétendu, préférant peut-être continuer à bénéficier de l'ensemble de ce terrain même en commun, plutôt que de ne pouvoir en exploiter qu'une petite parcelle même privée. Sans doute espéraient-ils également que la famille Grégoire n'obtiendrait pas le quart qui lui revenait, et que celui-ci serait donc divisé en parts égales entre l'ensemble des habitants du village.
On découvre également, au fil des procès de ce XIXème siècle mouvementé, un personnage assez inattendu. Je veux parler-là de la Comtesse de Ricard, née Clémence Rouvelet, qui résidait au château de Varès, près de Laissac. Elle possédait, en particulier, le domaine du Bournhou, commune d'Aurelle, et toutes les terres qui en dépendaient. Les anciens ont encore parfois quelques bribes de souvenirs, dus le plus souvent à ce que leur ont dit leurs parents, sur ce personnage qui perpétua à sa façon la longue tradition seigneuriale dans notre région. La tradition orale rapporte ainsi que les terres de la Comtesse s'étendaient d'Aurelle à Varès, voire, peut-être même jusqu'à Laissac.
Comme je l'ai déjà dit, cette noble personne ne résidait pas sur la commune d'Aurelle, se contentant de confier son domaine à un fermier. Elle ne venait, en fait, dans la région qu'une fois l'an pour constater l'état de ses possessions. Cette visite annuelle était un événement d'importance qui rompait momentanément la monotonie de la vie de nos grands-parents.
Que se passait-il donc d'aussi exceptionnel ? Pas grand chose en fait, madame la Comtesse se contentait simplement de faire, à cette occasion, le tour de sa propriété… A dos de mulet !
Ah! Il était célèbre l'âne de la Comtesse, et il le fut plus encore lorsqu'il mourut… La Comtesse fit, en effet, enterrer ce fidèle compagnon, ce qui n'aurait pas grand-chose d'exceptionnel si elle n'avait exigé de tous les valets et servantes du château de Varès qu'ils assistent à la mise en terre dans leurs plus beaux habits du dimanche ! Est-il utile de dire que ses contemporains en rirent longtemps ?… Ils en rirent d'autant plus que la Comtesse n'était guère appréciée des petites gens, peut-être d'abord à cause de la particule, sans doute ensuite pour son aisance, et enfin et surtout à cause des procès qui l'opposèrent à eux qu'elle gagna trop souvent.
Je ne citerai en exemple que celui du 5 décembre 1885, qui l'opposa à Laurent Auguy, Augustin Ladet, Antoine Glandy, Jean-Pierre Auguy, Antoine Marcillac, tous de Moncan, et à Antoine Gardes et Jean-Baptiste Falq de Bernier.
Ces gens-là avaient eu le grand tort de passer avec des chars attelés sur la pâture de montagne appelée "Puech de Bessière", qui dépendait alors du domaine du Bournhou et qui appartenait donc à la Comtesse de Ricard. Ils avancèrent pour leur défense qu'ils avaient "le droit de passer sur le dit tènement pour aboutir, en partant du village de Bernier, au chemin de Saint-Geniez ou aux montagnes" et ils invoquèrent "leur possession plus qu'annale sans trouble avant la contravention ou le procès-verbal dressé contre eux."
Mais, évidemment, la Comtesse l’entendait d’une autre oreille… Elle adressa une longue lettre de protestation au juge de paix du canton de Saint-Geniez d’Olt dans laquelle elle déclarait que ses propriétés étaient « libres de toutes servitudes », que les prévenus ne pouvaient « produire un titre leur donnant le droit de passer sur le Puech de la Bessière », qu’ils n’étaient pas non plus en mesure « d’invoquer le droit d’enclave qui leur donnerait le droit de réclamer le droit de passage sur le Puech de Bessière, équivalent à un titre, et qui leur permettrait, malgré le caractère discontinu de la servitude, d’invoquer la possession annale ».
Elle expliquait ensuite par écrit que « le Puech de Bessière était longé de deux côtés et entouré pour ainsi dire de deux chemins : l’un de Mazes à Moncan, et l’autre de Saint-Geniez aux montagnes », que les prévenus « qui étaient tous habitants des villages de Bernier et Moncan, aboutissaient directement aux dits chemins, que le trajet sur ces chemins, au moins sur l’un d’eux : de Moncan à Mazes, était à peine plus long » et, qu’elle même qui possédait « des prairies de grande étendue aux appartenances du village de Moncan, n’usait jamais du passage au travers du Puech de la Bessière pour le transport du foin au Bournhou, mais bien du chemin de Moncan à Mazes » ; ce qui prouvait bien, d’après la Comtesse, que l’enclave n’existait pas puisque si tel était le cas elle aurait été « la première à user du passage sur son propre fonds lorsqu’il fallait aller de Moncan au Bournhou. »
Elle allait jusqu’à préciser dans sa lettre que le « chemin de Mazes était parfaitement praticable », et terminait son argumentation en rappelant au juge « qu’il avait été déjà reconnu et jugé en possessoire, /…/ sur une instance entre elle et les habitants de Mazes, qu’aucun chemin en longueur n’existait sur la dite montagne et que, par suite, ceux ci n’avaient aucun droit de passage à invoquer ; qu’elle avait le droit d’invoquer cette décision qui devait être la même, à son avis, dans ce procès là. »
Le juge lui donna raison et condamna les habitants de Bernier et Moncan, déjà cités, « aux dépens liquidés à 97 francs, 10 centimes, plus les frais de ce jugement, cela solidairement et conjointement. »
On peut bien sûr se demander quel était le tort exact fait à la Comtesse de Ricard dans cette affaire. Selon les propres termes de l’acte cité ici : « ladite montagne avait été sillonnée par les charrettes qui y étaient passées », entraînant « le tassement de la partie qu’elles avaient suivie et l’empreinte des ornières des roues ». Cela valait-il un procès, voilà la question ?…
Pour conclure ce chapitre je ne peux que soumettre à votre appréciation la question que je me suis moi-même posée : fallait-il donner plus de détails sur ce XIXème siècle, assez proche de nous finalement, et surtout fallait-il consacrer un vaste chapitre au XXème siècle ? Ma réponse fut non. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette période a déjà été reconstituée en grande partie par plusieurs auteurs contemporains comme Henry Jurquet et Marie Rouannet dans leur livre : « APOLLONIE, reine au cœur du Monde » ; des auteurs contemporains comme Christian-Pierre Bedel et sa collection « AL CANTON » et plus particulièrement sur le canton de Saint-Geniez d’Olt et d’autres ouvrages auxquels peuvent se référer ceux qu’intéresse cette période. Pour ma part, je vais me contenter de fermer la boucle en en revenant au village d’Aurelle.
27/VOIR AURELLE MOURIR
Aurelle est resté dans la mémoire des historiens Rouergats surtout grâce à la foi de ses paroissiens pleins d’énergie, qui n’hésitèrent pas à prendre les armes, en 1817, pour défendre leur bien le plus précieux, en l’occurrence la cloche de leur église, fondue au XVème siècle, et symbole de la suprématie passée de la communauté sur les sept paroisses avoisinantes.
Hormis ce haut fait d’armes, les paroissiens d’Aurelle ne se signalèrent plus à l’attention des autorités. Mais doit-on aujourd’hui s’en réjouir, sachant que ce calme de la vie publique devient trop souvent dans nos hameaux le symptôme d’une lente agonie ?…
Les décennies s’écoulant, les habitants d’Aurelle devinrent de moins en moins nombreux : 50 en 1820, 39 en 1866, 37 en 1876, 18 en 1896, 13 en 1926, 7 en 1946…
En bordure de la boralde de Born, Aurelle n’est plus aujourd’hui qu’un village abandonné. Même le méchant chemin obstrué de branches d’arbres, disparaissant ici sous les feuilles mortes, sautant plus loin un petit torrent et s’accrochant finalement à la montagne pour franchir le dernier col, qui autorisait autrefois l’accès au hameau depuis la ferme des Escoudats, ne se retrouve plus. Il s’est perdu de broussailles en rocaille et on ne peut aujourd’hui que passer par la ferme du Bournhou ou par le sentier des bois, entre Corbières et les Escoudats, pour rejoindre le village en ruines. Voyage d’un autre siècle que la dernière habitante d’Aurelle, madame Ladet, a effectué une ultime fois en 1950 pour descendre à Sainte-Eulalie d’Olt chez sa fille. Peut-être se souvint elle alors de ces étrangers qui, traversant autrefois la montagne d’Aubrac, guidaient leurs pas sur l’appel de cette cloche célèbre?
Jadis havre de repos, Aurelle a donc vu s’éteindre en 1950 son dernier souffle de vie. Le vent qui fait encore battre les volets des chaumières abandonnées et s’engouffre par la porte béante de la chapelle, semble repousser le visiteur curieux qui s’est aventuré jusque là. Comme si Aurelle voulait conserver, presque enfoui sous les ruines, le secret de son passé. Mais depuis 1986, une association des « amis d’Aurelle » œuvre et a notamment déjà rénové la chapelle.
Sûrement ai-je voulu moi aussi apporter ma pierre à l’édifice en rassemblant ces parcelles de notre histoire. Mais il m’a fallu parfois me contenter de vagues souvenirs voire de légendes puisque les archives du château d’Aurelle nous font défaut. Ont-elles été conservées par quelque descendant des derniers seigneurs, ou furent-elles détruites, ainsi que le supposait monsieur Foulquier, ancien maire, par un de ces nombreux incendies qui ravagèrent la région ? Ce pays de boraldes n’a, en effet, été épargné par aucun de ces fléaux que furent le feu, la peste et l’émigration.
Ainsi, les départs massifs de jeunes ont saigné à blanc des villages comme Aurelle où la population était surtout constituée de journaliers qui partaient travailler dans les fermes du plateau, ou les burons de l’Aubrac. Parce qu’ils ne possédaient que leur force de travail, ils n’hésitèrent pas à s’exiler, à Pigüe par exemple. D’ailleurs, proportionnellement à sa population de l’époque, Aurelle est sans doute l’un des villages qui ont payé le plus cher la création de cette colonie Rouergate. Un tribut trop lourd qui a sonné prématurément le glas de ses espérances en l’avenir.
Cette révolte pour une cloche mérite donc mieux qu’un regard amusé car, replacée dans son contexte, elle témoigne chez les protagonistes d’un esprit de décision et d’une volonté qui se traduisirent plus tard, pour ces Hommes de l’Aubrac, par la réussite, mais en exil.
Et lorsque la mémoire des Hommes s’évanouit dans le néant, le souvenir de la vie ne se réfugie plus que dans les dossiers d’archives et l’histoire locale ne se reconstruit plus que par lambeaux de parchemins. Ainsi avons nous pu savoir ce qu’était cette église encore menacée par les herbes folles il y a moins de vingt ans, avant l’intervention de l’association des « Amis d’Aurelle ».
Désaffectée depuis des décennies, cette bâtisse n’en recelait pas moins quelques curiosités artistiques fort dignes d’intérêt. C’est ainsi qu’en 1965, monsieur l’abbé Gilhodes, alors curé de la paroisse de Verlac, aidé d’un ou deux paroissiens, fouilla de ses propres mains l’église d’Aurelle. Il y découvrit une belle dalle sculptée, une statue de pierre du XIVème siècle encore en bon état représentant un évêque, ainsi qu’une antique vierge romane en bois semblant dater du XIIème siècle. Quant à la vénérable cloche, il était dit qu’elle serait condamnée à l’exil. Définitivement, puisqu’elle est aujourd’hui revenue à Verlac où aucun paroissien d’Aurelle déserté ne viendra la réclamer.
Ainsi, délestée de son maigre trésor, six cent ans après sa reconstruction l’église Saint-Pierre d’Aurelle, inscrite à l’inventaire des monuments historiques en 1975, attend et espère des jours meilleurs.
Et je voudrais conclure ce chapitre en donnant la parole aux poètes qu’Aurelle a inspiré au fil des ans…
MATINEE A AURELLE
Aux sources de l’or, le van des orpailleurs scintille,
Les paillettes et les gouttes d’eau ont des reflets vivants,
Les cailloux gris sont dans la main des pépites,
Les truites ont des tâches de soleil et d’éternité.
Pierres verdies des chapelles au clocher de feuillage,
Bijou de dentelle par le ciseau sur le ciel découpé,
Le chef-d’œuvre roman, modeste et impérissable,
Se baigne en contre-jour dans l’eau précieuse.
Trois noyers verts et laqués sont dans le pré,
Leurs noix inutiles et noircies pourrissent sur le sol,
Trois maisons vides se dessèchent sous le ciel,
Le moulin ne chante plus dans les cascades.
Habité de gisants sur le granit des pierres,
Vêtu par les fougères et par les ronces en arabesques,
Aurelle au nom doré venant du fond des âges,
Village abandonné que désagrège le soleil.
HENRI SABATIER
(Poème paru dans « la Revue du Rouergue » en 1972.)
ROCAILLE
Brûler ma peau
A l'ombre de ton chœur
Etancher ma soif de toi
D'une larme de basalte
Chapelle aux abois
Grandeur en lambeaux
Belle d'une beauté sauvage
Avec pour seule parure
Buissons et genêts
Couper les ailes
De ton Saint déserteur
Flambeau de l'espoir urbain
Eclaireur du sillon vide
Nature païenne papesse
Volcan de tendresse
Aurelle, village lové
Au creux de l'abandon.
JOËLLE FALQ
Nasbinals, le 17 mai 1984.
Aurelle,
Je ne sais de toi que ton nom
Et les herbes qui courent sur les toits désolés
De tes maisons béantes.
On dit que ton joyau est ta chapelle,
Victorieuse des herbes tentant de l’envahir
Elle n’a donné que son toit
Il fallait bien céder quelque chose
A cette nature envahissante…
Aurelle,
Tu m’évoques l’or, mais ta chapelle n’est elle pas
La plus belle pépite,
Enfouie dans l’écrin vert du printemps ?
Aurelle,
Ce serait un prénom à donner
A un enfant calme et blond,
Qui le transmettrait à travers les âges.
Ainsi lorsque la verdoyance
Aurait couvert, tes pierres et tapis, d’herbe et de mousse
Le moindre de tes recoins,
Tu vivrais encore quelque part
Qui sait ?…
Entre la baie d’Along et la mer de Barentz.
Un fou pourrait vouloir te raser,
Tu survivrais dans le cœur de l’enfant blond
Lorsqu’il rechercherait d’où lui vient cet étrange prénom
Tu survivrais aussi dans mon cœur
Parce que je ne te connais pas
Et que c’est peut-être ainsi
Que naissent les grandes histoires d’amour
Entre la pierre et l’Homme.
SOPHIE DELPECH
Rodez, Juin 1990.
AURELLE
Loin et perdue dans la forêt
rétablie en sa souveraine sauvagerie
les Hommes, retirés de ce lieu
ont laissés s’enfoncer dans les flots de fougères
et de ronces
les épaves aux membrures apparentes
de leur hameau complet
Chassés semble-t-il par quelque malédiction
ils ont abandonné église, foyers, four à pain
leurs puits, leurs marmites
leurs pommiers et leurs saints
ils sont partis avec chiens, chats, coqs et lapins
Leurs chemins et leurs toits, désormais
s’embroussaillent.
Le berceau et la nef de leur église morte
surgissent comme une étrave rouge
d’une mer végétale couleur de jade
Eglise naine, sans transept
vidée de mouvement mais non pas de silence…
JACQUES SENESSE, juillet 1992
(Extrait de « Ballade en Ruténie »)
28/AURELLE, PASSE OU AVENIR ?
Je n’ai pas la prétention d’apporter ici une quelconque réponse aux problèmes qui se posent actuellement aux confins de l’Aubrac. Non, cet ouvrage n’apporte aucune réponse, son but n’est pas non plus de formuler des questions quant à l’avenir d’Aurelle-Verlac, petite commune rurale du nord-est Aveyron. Il y en a pourtant une à laquelle je n’ai pu me dérober : Aurelle, passé ou avenir ?
« Aurelle au nom doré venant du fond des âges … » Mais ce nom survivra-t-il encore longtemps ? Il m’arrive d’en douter : la Baronnie d’Aurelle est devenue, au fil des temps, commune d’Aurelle, puis, peu à peu, commune d’Aurelle-Verlac et, déjà, certains ne l’appellent plus que commune de Verlac. La page est presque tournée semble-t-il…
Aurelle ! Tout un symbole qui tend à disparaître, envahi par la végétation : ici, la nature reprend ses droits ! Et, de tous les hameaux de la commune des fils s’en vont, ils quittent cette terre accidentée, trop difficile à cultiver, ils ne sont d’ailleurs plus agriculteurs en majorité.
Les écoles de la commune ont, elles, fermé leurs portes les unes après les autres… La dernière génération s’en va donc elle aussi, emportant ses rires et ses jeux vers Saint-Geniez d’Olt, ou plus loin… Oui, l’exode rural mine encore cette montagne.
Alors, bien sûr, Aurelle est un village fantôme… Mais qui sait si, plus tôt qu’on ne le croit, on ne parlera pas d’Aurelle-Verlac commune fantôme ?… Ce ne serait malheureusement pas la première qui, n’ayant pas su s’adapter, serait condamnée à n’être plus peuplée que de résidences secondaires. Et ce n’est certes pas l’étude, même rapide, de l’évolution de la population au cours des derniers siècles qui peut me rassurer.
Ainsi :
- En 1771, les paroisses de Naves d’Aubrac, Saint-Martin de Montbon (Vieurals compris) et Verlac, totalisaient 1071 habitants.
- En 1846, ces mêmes paroisses comptaient 1130 habitants.
- En 1868, Jean-Louis Dardé dans son « dictionnaire des lieux habités », donnait le chiffre de 1075 habitants au total en ce qui concerne cette commune.
Une légère baisse s’était déjà amorcée annonçant l’avenir puisque :
- En 1962, la commune d’Aurelle-Verlac ne comptait plus que 435 habitants.
- En 1968, la baisse s’était encore accentuée avec seulement 380 habitants.
- En 1975, aucune amélioration : 333 habitants seulement.
- Et, en 1982 il ne restait que 270 habitants…
-
De 1968 à 1975, la commune d’Aurelle-Verlac a donc accusé une baisse de population de 1,9% par an.
De 1975 à 1982, cette baisse s’est encore accentuée atteignant une moyenne annuelle de 3% !
La superficie de la commune d’Aurelle-Verlac étant de 5468 hectares, nous obtenons pour 1975 une densité de six habitants par km2 et pour 1982 une densité de seulement cinq habitant par km2. La commune d’Aurelle-Verlac avait ainsi la densité la plus faible de tout le canton de Saint-Geniez d’Olt ! Peut-être me rétorquerez vous qu’avec ses 5468 hectares la commune d’Aurelle-Verlac est aussi la plus étendue du canton… Je ne l’oublie pas, mais quand on sait que le seuil de désertification d’une commune est fixé à quatre habitants par km2, il y a de quoi s’inquiéter !
Alors, Aurelle : passé ou avenir ? Revoilà la question. Une question que je préfère finalement laisser sans réponse : les ans à venir y répondront eux mêmes plus sûrement que moi.
Quant à cet ouvrage, je n’ai pas la prétention d’y avoir fait œuvre d’auteur, non : je n’ai en fait que le mérite d’y avoir compilé des documents épars, qui existaient déjà, au sujet de la région et d’avoir essayé d’en faire une synthèse que j’espère agréable à lire. Je crois qu’il était en effet nécessaire de renouer avec un passé trop oublié, ou trop méconnu. Ce n’est donc qu’une façon de retrouver les racines, nos racines, chose importante pour chacun de nous, mais qui le sera sûrement bien davantage pour nos descendants, probables exilés volontaires ou involontaires de ce coin perdu d’Aveyron.
Qui leur dira sa beauté sauvage, la tendresse rugueuse de ses habitants, rudes : c’est vrai, mais fidèles à cette terre de générations en générations ; qui leur dira cet exil saisonnier dans les burons de l’Aubrac à la belle saison, et l’amour d’un métier qui remplit tous les instants d’une vie ? Mais peut-on dire ces choses là, ne faut-il pas les vivre, ou tout au moins les côtoyer, pour les comprendre ?
EN GUISE DE CONCLUSION : LA FILLE AUX LOUPS
Voici l’histoire de la fille aux loups, une fille sauvage que l'on vit plusieurs fois en compagnie de loups dans les bois d'Aurelle (village abandonné par ses derniers habitants en 1950).
Les parents de la fille aux loups s'appelaient Albert Cayzal et Simone Cayzal née Aussillon.
Leur famille habitait en Afrique Noire, Simone et Albert étaient nés dans des tribus noires sur les bords du lac Kivu au Rwanda vers 1917, ces tribus émanaient de la tribu Twas (de type pygmoïde vivant de pêche, chasse et cueillette).
Leurs pères, tous deux d'origine Belge, se connaissaient même s'ils faisaient partie de deux tribus différentes, mais proches géographiquement.
Albert Cayzal dont le nom au Rwanda était Hamahaa était le seul enfant blanc de sa tribu. Son père vivait dans cette tribu où il avait rencontré sa femme, botaniste et exploratrice, leurs familles étaient d'origine Belge.
Simone Aussillon dont le nom au Rwanda était Ahunimée était une métisse, son père était d'origine Belge, le grand-père maternel de sa mère se prénommait Houmida, c'était un chef de tribu noir qui avait épousé une blanche.
Simone et Albert s'étaient mariés à l'âge de douze ans et avaient eut huit enfants au Rwanda qui étaient tous morts. C'est ce drame de la mortalité infantile qui poussa les parents à venir en France.
Ils y vinrent en 1940 avec un de leurs amis et vécurent quelque temps chez lui à Mende en Lozère. Cet ami se prénommait Henri Calmé, il était né en Lozère vers 1880 et y revint donc à l'âge de la retraite en 1940 (sa femme noire et ses enfants restèrent au Rwanda). Le reste de la famille d'Albert et de Simone habitait alors le Centre de la France.
Simone et Albert prirent ensuite des terres en fermage à CORBIERES (commune d'Aurelle-Verlac), où ils eurent deux garçons morts en bas âge et la fille aux loups. Lorsqu'elle naquit, le 25 décembre 1947, ils pensèrent que le même sort que ses frères l'attendait et ils ne prirent pas la peine de la déclarer à l'état civil, ni de lui donner le moindre prénom.
Au début du printemps 1952, alors qu'il se rendait à une foire, le père fut attaqué par un imitateur du fameux brigand connu sous le nom de Masque Rouge. Il voulut se défendre mais tomba la tête la première sur une pierre et mourut sur le coup. On ne retrouva jamais son corps. Sa tête par contre fut jetée la nuit suivante à travers une fenêtre de sa maison de Corbières…
Sa femme paniqua et le faux Masque Rouge s'introduisit dans la maison et pendit la métisse. Il se débarrassa de son corps et de la tête de son mari en les donnant à manger à leurs propres cochons. Il ne lui restait plus qu'à s'approprier le bétail et la ferme du couple, la petite fille de quatre ans lui ayant échappé après avoir assisté à ces horreurs.
Le nouveau maître des lieux raconta que cette famille lui avait vendu tous ses biens avant de quitter le pays. Albert et Simone avaient, en effet, l'intention de retourner en Afrique, ce qui explique que personne ne se soit ému de leur disparition en 1952 date de leur mort.
La fillette de quatre ans se réfugia dans les bois d'Aurelle où elle survécut en mangeant des châtaignes, des glands, des champignons et des baies diverses… Elle fit aussi de la farine de glands et se faisait cuire des galettes. La nuit elle rentrait dans les étables pour voler du lait et de la ficelle avec laquelle elle faisait des collets pour se nourrir. C’est Eugène de Crespiac qui lui avait appris l’art du braconnage. Un jour, elle prit un louveteau dans un de ses collets, elle le libéra et il resta avec elle. Plus tard, ce loup qu’elle avait appelé Thomas comme son apôtre préféré, devint le chef d'une meute c'est pourquoi tous ces loups respectèrent celle dont le seul nom connu par ses contemporains fut la fille aux loups.
Dans les années qui suivirent, la fille aux loups tenta à deux reprises de revenir à Corbières mais le faux Masque Rouge et les siens la chassèrent à coup de pierres, l'obligeant ainsi à retourner dans la forêt où ils espéraient bien qu'elle mourrait bientôt.
En 1964, à 16 ans, la fille au loups accoucha d'un enfant, le premier avril à 23h00, dans l'église d'Aurelle aidée par une religieuse qui lui amenait régulièrement de la nourriture. Elle appela le bébé Magnolia parce qu’elle trouvait que l’arbre du même nom caché dans les bois d’Aurelle était la plus belle chose au monde.
Un ours : Mako, de passage à Aurelle, chassa une louve solitaire qui voulait s'en prendre au bébé, les autres loups tuèrent alors cette louve avant qu'elle ne puisse nuire à quiconque.
A la demande de la fille aux loups, influencée par la religieuse qui lui conseillait de donner à son enfant la chance qu'elle n'avait pas eut, la religieuse emmena le bébé, une petite fille, sept jours après sa naissance, et l'abandonna à Mazes sur le perron d'une maison, celle de Marie M. qui trouva le "couffin" et son contenu le 7 avril 1964. Ce bébé c'était moi. Je suis donc le dernier bébé né à Aurelle…En 1999 j'ai publié un ouvrage intitulé : CE QUE JE SAIS. Biens des lecteurs ont vu là une œuvre autobiographique alors qu'il ne s'agissait que d'un roman. Il était donc temps de parler enfin de mes origines familiales afin de dissiper ce regrettable malentendu
Le 7 avril 1964, Marie M. me trouva donc abandonnée devant sa porte. J'étais âgée d'à peine sept jours. Elle me confia le jour même à mes nouveaux parents.
Ainsi tout le monde fut désormais persuadé que je faisais bien partie de cette famille qui avait déclaré ma naissance en mairie à une fausse date le 3 avril 1964 avant mon arrivée à Mazes le sept, avec la complicité du maire et du médecin qui savait forcément reconnaître un bébé naissant d’un enfant âgé d’une semaine déjà. Le docteur d’ailleurs refusa qu’on lui paie sa visite à domicile et le dimanche suivant mon nouveau père lui livra un kilo de truites fraîchement péchées par ses soins afin de le dédommager.
A compter de ce jour, la fille aux loups se cacha plusieurs fois sur la route qui mène de Saint Geniez d'Olt à Vieurals afin de me voir passer avec ma nouvelle mère qui allait rendre visite à pieds à ses sœurs ou ses parents.
La fille aux loups mourut des suites d’une pneumonie dans les bois suite à un hiver particulièrement rigoureux, le 7 juin 1970, à 22 ans, malgré les peaux de loups morts dont elle se vêtait et ses tentatives de faire du feu que la neige éteignait aussitôt. Se couchèrent près d'elle et se laissèrent mourir son loup Thomas (l'apôtre préféré de la jeune femme), et l'ours d'Aurelle Mako arrivé trop tard cette nuit là pour pouvoir la réchauffer.
Gaspard-Jules Des Cazes d'Aubais, mon père, berger à la belle saison au Bournhou, se laissa lui aussi mourir de chagrin après la mort de la Fille aux Loups qu'il appelait son "rouge-gorge"parce qu’elle imitait à la perfection le chant des oiseaux et qu’elle avait un don pour communiquer avec les animaux. Ainsi se termina la lignée des Des Cazes d'Aubais originaires de la haute bourgeoisie ruinée du Grand Duché du Luxembourg. Gaspard-Jules, jeune vicomte, résidait à l'hiver dans le nord de la Lozère.
Il avait 17 ans lorsqu'il avait rencontré la Fille aux Loups et en était tombé passionnément amoureux. Lorsqu’elle mourut, il ne savait pas que j'existais et rien ne le retenant plus à la vie le chagrin l’emporta donc.
Le 9 juin 2003.
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Née à Corbières
Le 25 décembre 1947
-A ma vraie et seule mère-
"Qui suis-je?
Montrant les dents, le cœur léger,
Je suis la fille unique de LA FILLE AU LOUP,
Ce loup prénommé THOMAS (*)
Apôtre du doute qui vous étreint.
"Je suis la fille unique de LA FILLE AU LOUP,
La sauvageonne brune aux yeux verts,
Orpheline de père et de mère,
Chassée de son village désormais sans soleil
Par des voisins vautours.
"Au promeneur qui lui demande son nom
Elle répond : "AURELLE"…
Non, AURELLE n'est pas qu'un tas de ruines,
Mais la femme, la déesse,
Ma mère accouchant dans l'église abandonnée.
"C'est depuis l'impossible oubli de son sang
Pour la fée du Volcan,
L'impossible oubli de la chapelle maternelle
Pour qui ma mémoire se damne
Depuis bientôt quarante ans…"
MAGNOLIA DES CAZES D’AUBAIS
Onet le château, le 16/09/2002
(*) prononcer le S.
ANNEXE : A VOIR SUR LA COMMUNE D’AURELLE-VERLAC
- A Aurelle (10 km de Saint-Geniez) : la plus petite église romane de France, inscrite à l’inventaire des Monuments Historiques en 1975.
- A Corbières (8 km de Saint-Geniez) : la coulée de lave.
- A Verlac (7 km de Saint-Geniez) : l’église romane classée monument historique, dans laquelle se trouve une statue de St-Blaise datant du XVème siècle, et les prismes basaltiques. On peut également visiter les églises de Naves d’Aubrac, Saint-Martin de Montbon et Vieurals.
- Près de Vieurals : Les Cazalets qui sont le point culminant du département de l’Aveyron avec 1463 mètres, situé presque en face de son équivalent Lozérien : le signal de Mailhe-Buau, qui lui atteint allègrement les 1469 mètres et reste le point culminant de tout l’Aubrac. A voir également : le Puech d’Alte-Teste (1448 mètres) et le signal du Suc (1353 mètres).
- A Lacessat : la cascade en aval du pont. Ce pont constitue la limite entre les communes d’Aurelle-Verlac et de Prades d’Aubrac.
- Après les Ginestes : une croix qui signale le Puech de Bessière à 1113 mètres, que l’on a longtemps considéré à tort comme le point culminant de la commune d’Aurelle-Verlac.
- Sur la limite Aveyron-Lozère : la Croix de la Rhode qui est l’ancienne borne du Rouergue et du Gévaudan.
- Les vallons du ruisseau du Merdanson, du Mardonesque et du ruisseau de Bonance.
A VOIR DANS LA REGION A PROPOS DE L’HISTOIRE D’AURELLE
- A Saint-Geniez d’Olt : face à l’église des Pénitents, au numéro 15 de la rue de l’Hôtel de Ville : l’ancien portail en bois de l’hôtel de Fajole (du XVIIIème), un remarquable escalier intérieur et une très belle porte cochère.
- A la Canourgue (en Lozère) : le porche de l’église Saint-Martin où sont gravées les armoiries des seigneurs de Canilhac.
- A Langogne (en Lozère) : la place du presbytère où se trouve un écusson avec croquis de St-André, datant du XVIème siècle.
PRINCIPALES SOURCES :
· SOURCES MANUSCRITES :
(La plupart de ces documents se trouvent aux Archives Départementales de l’Aveyron à Rodez.)
- « Registre des baptèmes, mariages et sépultures de la paroisse de Verlac » 1674 à 1792.
- « Procès-verbal de la visite pastorale de 1739 » Tome 5, rédigé par Mgr Laumière.
- « Procès-verbal de saisie de la Baronnie d’Aurelle en 1738 ».
- « Etat du dioscèse en 1771 » inventaire de Louis Lempeureur (Archiviste).
- « Déclaration des revenus et fonds nobles de la terre d’Aurelle en 1784.
- Registres de Jacques Galdemar, notaire d’Aurelle (3 registres).
- A cet ensemble sont venus s’ajouter des actes familliaux du XIX ème siècle.
· SOURCES IMPRIMEES :
(La plupart de ces ouvrages se trouvent à la Médiathèque de Rodez.)
- « La maison de Curières de Castelnau », Patrick de Gmeline, 1975.
- « Documents historiques et généalogiques sur les familles et les Hommes remarquables du Rouergue dans les temps anciens et modernes » (4 tomes), Hippolyte de Barrau, 1848.
- « Documents historiques sur le Rouergue », Baron de Gaujal.
- « Bibliographie historique du Rouergue », A. Couderc, 1931-1952.
- « Mémoires de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron. »
- « Documents sur l’histoire de Prades d’Aubrac », Ernest Plagnard, 1960.
- « Le cartulaire de l’Aubrac » (2 tomes), L. Rigal et P.A. Verlaguet.
- « Histoire de la cathédrale de Rodez », Bion de Marlavagne, 1875.
- « Généalogie de la famille d’Aurelle en Rouergue, Auvergne, Velay, Gévaudan », Durandard d’Aurelle, 1906. (Bibliothèque de la Revue Héraldique).
- « Dictionnaire des lieux habités », Jean-Louis Dardé, 1868.
- « En Rouergue à travers le temps », Jacques Bousquet, 1961.
- « Histoire du Rouergue », Jean Vernhes, 1980.
- « Les Aveyronnais dans la Pampa : à Pigüe en Argentine, 1884-1974 », Université de Toulouse-le-Mirail.
- « Le Rouergue », Guy Merdoil, 1982.
- « Sainte-Eulalie d’Olt en Rouergue », Louis Mercadié, 1983.
- « APOLLONIE, reine au cœur du monde », Henry Jurquet et Marie Rouannet, 1984.
Ainsi que plusieurs numéros de :
- « La Revue du Rouergue ».
- « La Revue Historique de Rodez ».
- « La Revue de la Solidarité Aveyronnaise ».
- et des quotidiens Aveyronnais : « Centre-Presse », « Midi Libre » et « La Dépêche du Midi ».
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TABLE :
Première partie : LE TEMPS DES SEIGNEURS
Chapitre :
1- Présentation de la Baronnie d'Aurelle.
2- Nos ancêtres les Gallo-Romains.
3- Les Castelnau d'Aurelle (jusqu'en 1244)
4- Les Bénavent, Comtes de Rodez (1200-1293)
5- Astorg de Villaret (1244-1254)
6- Les Lapanouse, seigneurs de la Fabrègue (dès 1254)
7- Les Doms d'Aubrac (1293-1516)
8- Les Beaufort-Canilhac (1254-1728)
9- Les Co-Seigneurs d'Aurelle dans la guerre de Cent Ans.
10- Le partage de la Baronnie d'Aurelle en 1516.
11- Jean-Claude-Anselme de Fajole (1731-1738)
12- Gilles et Pierre-Jean de Layrolle (1738-1788)
13- Les épidémies qui dévastèrent la région.
14- Vie religieuse avant 1789.
15- Vie locale avant 1789.
Deuxième partie : LIBERTE, EGALITE, PROPRIETE
Chapitre :
16- Révolution de 1789-92 : bouleversement politique, administratif et religieux.
17- Les Prêtres réfractaires.
18- Contre-Révolution et répression.
19- Meurtre de Jacques GALDEMAR, notaire d'Aurelle.
20- Constitution de la Paroisse de Vieurals (1803-1809)
21- Pour un son de cloche (1817)
22- Constitution de la Mairie d'Aurelle : 1790-1844, 54 ans d'errements administratifs.
23- Les années terribles (1844-1845)
24- Le Général d'Aurelle de Paladines (guerre de 1871).
25- 1884: Le temps des émigrants.
26- Vie locale à la fin du XIX ème siècle.
27- Voir Aurelle mourir (1950).
28- Aurelle, passé ou avenir?
29- Conclusion : La Fille aux Loups.
ANNEXE : A VOIR…
PRINCIPALES SOURCES.
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REMERCIEMENTS TOUT PARTICULIERS A SOPHIE DELPECH QUI A ASSUREE LA FRAPPE DE CET HISTORIQUE
ET SANS QUI CET OUVRAGE N’AURAIT PAS VU LE JOUR. MERCI A TOI !
MAGNOLIA.
FIN.
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1/PRESENTATION DE LA BARONNIE D'AURELLE.
Ainsi vous avez décidé de me suivre dans ce long voyage au fil des siècles, dans cette région dont Elisée Reclus a résumé l'impressionnante grandeur par cette simple phrase : "l'Aubrac est grandiose comme la mer!"
L'Aubrac… Mais nous n'y sommes pas encore, prenons la belle petite route qui, partant de Saint-Geniez d'Olt, remonte les pentes du plateau et aventurons nous ensuite sur des chemins de chèvres pour atteindre enfin le pauvre village abandonné d'Aurelle…
Aurelle, situé en bordure de la vallée escarpée et sauvage de la Boralde de Born, ou Merdanson, sur la rive gauche… Aurelle, petit hameau bâti au nord et à mi-pente d'une arête rocheuse qui surplombe à pic un ravin profond du côté du midi…
Nous voilà arrivés, jugez donc par vous-même… Quelques maisons en ruines entourent la belle petite église romane désaffectée depuis plusieurs années, bien délabrée elle aussi, avec pour seule parure son toit envahi par la végétation. Ici la nature reprend ses droits, effaçant peu à peu toute trace de colonisation humaine. Combien de villages ont ainsi disparus? Combien disparaîtront encore de la sorte? Nul ne peut le dire.
Oui, toutes ces maisons sont inhabitées et comme vous l'avez constaté, les chemins qui mènent à ce petit paradis ne sont même pas carrossables. Hélas! C'est là un exemple parfait de "la terre qui meurt"… Pourtant cette terre a vécu, a nourrit des générations et des générations de paysans, elle a eu ses heures de grandeur et de désolation, mais aucun de ses fils ne reste pour nous en parler.
Non ici, pas d'indigène typique, pas d'attrape touriste folklorique, pas de guide au pas lent et régulier, dont la voix rocailleuse nous dirait les secrets des pierres et l'amour ancestral de cette terre pour calmer notre hâte ou dissiper notre fatigue. Personne sinon vous et moi.
Pour ma part, puisque vous y tenez, je vais vous dire ce que j'en sais, mais ma façon de conter n'a pas la même saveur que celle des anciens, vous y perdrez beaucoup sachez-le.
Ainsi, il y avait donc autrefois, outre la chapelle Saint-Pierre, un château en ce lieu, chevauchant l'éperon rocheux dont je vous ai déjà parlé… Non, ne cherchez pas l'ombre de cette bâtisse : il n'en reste rien, les siècles l'ont engloutie.
Cette Baronnie, car c'était une Baronnie, s'étendait sur les paroisses actuelles de Saint-Martin de Montbon, Verlac, Vieurals, Naves d'Aubrac, les Crouzet, Lunet et une partie de celle de Pomayrols. Elle comprenait les montagnes nobles de Cazalets, de Valerme, del Cau, d'Alteste, des Cats et de Tournecoupe, ainsi qu'une cinquantaine de villages ou de mas qui dépendaient donc d'Aurelle et de ses seigneurs. Une cinquantaine de hameaux dont certains ont aujourd'hui totalement disparus. Cinquante! Ça paraît énorme, je le sais… Ca l'était! Pour vous donner une idée plus précise il suffit sûrement d'ajouter que la terre et Baronnie d'Aurelle avait une étendue de 16910 sétérées et, pour vous donner un ordre de valeur, que la sétérée de Rodez était de deux hectares et demi, nous parlons donc de 42275 hectares environ!
2/NOS ANCETRES LES GALLO-ROMAINS
Vous voulez en savoir plus? Ah! Oui! Connaître l'origine! Vous voudriez peut-être que je vous parle de "nos ancêtres les Gaulois", de la nuit des temps?…
Et bien pour tout vous dire, c'était une nuit sans lune sur Aurelle. Tout ce que j'ai ramené de cette expédition nocturne c'est la certitude qu'il a existé un camp Gallo-Romain au Tech, près de l'actuel village de Moncan où des morceaux de poteries ont été retrouvés. Mais ne vaut-il pas mieux laisser reposer en paix "nos ancêtres les Gaulois" et éviter ainsi le pillage trop systématique d'un patrimoine qui me semble plus à sa place dans nos régions, même s'il y est parfois ignoré de beaucoup, que dans un quelconque musée citadin ?… Parlons donc plutôt, si vous le voulez bien de "nos ancêtres les Romains".
La Gaule connut la domination romaine dès l'an 48 après JC et cette domination ne dura pas moins de 500 ans. Durant cinq siècles, de nombreux empereurs succédèrent au premier : Auguste, qui fut sans aucun doute le plus grand. Les uns comme Néron (54 à 68 après JC) se firent détester pour leur cruauté et leurs crimes, les autres comme Marc-Aurèle (161 à 180 après JC) admirer pour leurs vertus. Auguste, Néron et Marc-Aurèle peuvent d'ailleurs être considérés comme les trois principaux empereurs Romains. C'est ce dernier, Marc-Aurèle, qui nous intéresse ici.
Qui était-il donc? Il était avant tout l'un des neveux et le successeur d'Antonin-le-pieux. Il régna 19 ans sur l'Empire Romain et du même coup sur la Gaule de l'an 161 à l'an 180 après JC.
Son règne, durant lequel il renforça la centralisation administrative, fut dominé par les guerres en particulier par ses campagnes contre les Parthes (161–166) et sur les frontières danubiennes (168–175 et 178–180) où il trouva d'ailleurs la mort.
C'était un empereur tolérant et accueillant à toutes les religions sauf au Christianisme qu'il laissa persécuter comme le prouve l'épisode des martyrs de Lyon en l'an 177.
Non content d'être empereur, il fut également un grand philosophe stoïcien comme en témoigne l'ouvrage qu'il écrivit (bien avant Pascal) sous le titre "les pensées". Ce livre écrit en grec, conserva une très grande influence au cours des siècles qui suivirent.
Cet empereur mourut en l'an 180, à 59 ans, alors qu'il commandait une expéditions contre la tribu germanique des Marcomans. Il avait choisit comme successeur, son fils Commode, qui, loin de l'être, se révéla cruel et incapable.
C'est ainsi que l'ère de grandeur de l'Empire Romain, commencée sous le signe de l'empereur Vespasien, donna les premiers signes de faiblesse. Commode, fils de Marc-Aurèle, fut finalement assassiné en l'an 192. S'annonçait ainsi une nouvelle période de souffrances et de rivalités.
Mais peut-être vous demandez vous encore ce que vient faire ce bref historique de la Rome Antique dans l'histoire de la Baronnie d'Aurelle? Oui, voilà le mot-clef: Aurelle… C'est en effet, rapporte la tradition orale, cet illustre empereur Romain qui donna son nom au village en question. Ce serait lui, Marc-Aurèle, qui aurait fait bâtir le fort d'Aurelle en l'an 162 après JC alors qu'il revenait de Germanie. D'après cette légende, ce qu'on appelle aujourd'hui encore le château d'Aurelle aurait, en fait, été un véritable fort Romain.
Je ne peux ajouter grand chose sur cette époque lointaine, si ce n'est que l'on trouve encore, dans la région d'Aurelle, des vestiges de la voie Romaine qui menait de Saint-Geniez d'Olt à Marvejols et qu'il existe à Mazes un champ encore appelé "la Milliaire", sans doute faut-il préciser que "la Milliaire" était à l'origine le nom d'une borne Romaine placée le long des routes et marquant les milles (milles pas).
Selon la légende, Aurelle fut visité par le Roi Arthur, et le site fut la première cachette du Graal, le Roi Arthur aurait été attaqué par une poignée de manants, voulant lui soutirer quelque monnaie, alors qu'il sortait de la chapelle d'Aurelle, il n'en aurait fait qu'une bouchée; toujours d'après la tradition orale, à Aurelle aurait été bâtie une maison forte des templiers, émanation des templiers de la Couvertoirade. Mais comment faire là, la part de l'imaginaire et de l'Histoire? Nous n'en savons pas plus sur les sept ou huit siècles qui suivirent.
3/LES CASTELNAU D'AURELLE
SEIGNEURS D'AURELLE JUSQU'EN 1244
Armoiries : "d'azur au château d'argent"
Les premiers seigneurs d'Aurelle connus de façon certaine sont les Castelnau.
Il faut savoir tout d'abord, pour éviter les confusions, qu'il y avait à l'époque féodale quatre grandes maisons du nom de Castelnau dans le midi de la France.
Les Castelnau d'Apcher
Les Castelnau Brétenoux
Les Castelnau la Loubère
Et les Castelnau d'Aurelle qui sont donc ceux qui nous intéressent ici.
Quelques titres font mention de cette famille qui prit à l'origine le nom de la terre qui lui appartenait, mais ils sont rares malheureusement c'est pourquoi nous devrons passer assez rapidement sur ces seigneurs d'Aurelle.
Dès 1030 : "le château d'Aurelle appartient à Joris d'Aurelle, feudataire (vassal) des seigneurs de Canilhac."
En 1075, Joris d'Aurelle fait divers dons à l'abbaye d'Aniane
En 1195, Guillaume d'Aurelle habite au château d'Aurelle.
En 1200, les Bénavents, Comtes de Rodez, achètent la moitié de la Baronnie d'Aurelle, mais celle-ci reste indivise : le partage réel des terres n'est pas fait, ce sont les deux seigneurs qui se partagent le pouvoir, la justice étant désormais rendue par des officiers communs. La terre d'Aurelle devient ainsi une co-seigneurie.
Le 3 juin 1234, Jean d'Aurelle reçois une quittance de quatre sous 2 sens et quatre setiers de vin des main d'Aldebert de Mandagot, prieur de Notre-Dame de Millau.
Et le 24 juin 1244, Pons de Castelnau et Bertrand, son fils, vendent à Astorg de Villaret la moitié de la Baronnie d'Aurelle leur appartenant encore ; l'autre moitié appartenant depuis 1200 à Henri de Bénavent, comte de Rodez. Précisons pour l'anecdote que cette vente eut lieu devant la porte de l'église de l'hôpital d'Aubrac.
Voilà donc la fin de la suprématie des Castelnau d'Aurelle sur ce lieu et trop peu d'informations sur cette époque lointaine qui fut la leur. Mais que devint donc cette lignée des seigneurs d'Aurelle après la vente de leur terre?
Un acte du 12 juin 1299, dans lequel Hugues d'Aurelle reconnaît devoir annuellement une émine de seigle à l'hôpital d'Aubrac, nous apprend qu'il était alors Damoiseau de Saint-Geniez d'Olt. Nous le retrouvons en 1346 en compagnie d'une certain Joris d'Aurelle. Tous deux étaient alors Damoiseau de Saint-Geniez d'Olt et bienfaiteurs du couvent des Augustins de cette ville. Ils semblent avoir été les derniers mâles de cette maison d'Aurelle qui, depuis longtemps, ne possédait plus aucun droit sur le lieu du même nom. Cette lignée s'éteignit, en effet, après 1346 mais avant la fin du XIVe siècle, en la personne d'Hugues d'Aurelle qui ne laissa qu'une héritière. Celle-ci épousa Pons d'Azials, seigneur du château de Laycia (Laissac?…) de cette union naquit une fille : Avinence d'Azials. Elle épousa Hugues de Curières, Damoiseau de Sainte-Eulalie d'Olt, dont elle eut cinq enfants : Amblard, Hugues, Aldete, Raymonde et Jeanne. L'aîné, Amblard, qui habitait à Sainte-Eulalie d'Olt testa le 12 décembre 1407, instituant son frère Hugues son héritier universel, tout en laissant l'usufruit de ses biens à sa mère, qui vivait donc encore à cette époque là. Son cadet et héritier Hugues de Curières, deuxième du nom, épousa Béatrix Clary, fille de Guillaume de Clary et d'une certaine Hélène d'Aurelle, coïncidence frappante sur laquelle je terminerai mon récit en ce qui concerne le sang des Castelnau d'Aurelle mêlé à tout jamais à celui des Curières de Sainte-Eulalie d'Olt.
4/LES BENAVENT, COMTES DE RODEZ
CO-SEIGNEURS D'AURELLE DE 1200 A 1293
Armoiries : "de gueule au léopard lionné d'or"
Il existait anciennement une famille de Bénavent dont il est fait mention par plusieurs historiens dés l'année 1186 et jusqu'en 1230. Mais cette famille était différente de celle qui subsiste encore de nos jours et qui tire son origine des Comtes de Rodez de la première race, qui sont ceux qui nous intéressent ici.
Il faut également noter que la terre de Bénavent, qui est située à onze lieues au nord de Rodez et à deux lieues de Mur de Barrez, près des confins de la Haute Auvergne, quels que fussent les droits que la première famille pouvait y avoir eus, appartenait dés le début du XIIème siècles aux Comtes de Rodez par le mariage de Henri Ier avec Algayette de Scoraille, dame de Bénavent.
C'est cet Henri Ier qui acheta la moitié de la Baronnie d'Aurelle en 1200. il n'était pas encore Comte de Rodez à cette époque-là puisqu'il ne succéda à Guillaume, son père, qu'en 1208.
Ce Comte vit éclater, au début de son règne, la terrible guerre des Albigeois qui ensanglanta pendant près de vingt ans tout le Sud de la France. D'abord incertain sur le parti qu'il devait prendre, par égard sans doute pour le Comte de Toulouse son suzerain, il finit par se soumettre à Simon de Montfort et lui rendit hommage pour les terres de son comté, dans le palais épiscopal de Rodez, en 1214.
Il semble que ce Comte de Rodez mourut en Terre-Sainte vers 1222. son testament est daté de l'an 1219, "du camp devant Toulouse", où se trouvaient alors réunis une partie des seigneurs croisés contre les Albigeois.
Henry Ier avait donc épousé Algayette de Scorailles, dame de Bénavent, de Vic, de Marmiesse, etc… de laquelle il eut trois enfants dont Hugues IV qui lui succéda.
Hugues IV épousa en 1230 Isabeau de Roquefeuil, fille de Raymond Ier de Roquefeuil et de Dauphine de Turenne, héritière du Vicomté de Creyssels et des Baronnies de Meyrueis et de Roquefeuil, ce qui réunit ces terres au Comté de Rodez.
Ce Comte de Rodez augmenta son domaine par diverses acquisitions dont la terre de Maleville et le château majeur de Salles. Il agrandit également son château de Rodez en achetant, en 1264, les maisons de Saulnac et de la Barrière, gentilshommes de Rodez.
Il testa à Montrozier, en 1271, mais ne mourut qu'en 1274 et fut enterré à Nonenque, selon sa volonté.
Son fils, Henry II, lui succéda alors. Il était Comte de Rodez, Vicomte de Carlat et de Creyssels, Baron de Meyrueis, Seigneur de Roquefeuil, de Bénavent, de Vic, de Marmiesse, de Scoraille et bien sûr co-seigneur de la Baronnie d'Aurelle par héritage de son père.
Le Comte Henri II, dit Bosc, fut un grand homme de son siècle. Il rendit de grands services au Roi dans les guerres de Flandres et de Gascogne contre les Anglais. Il accompagna toujours le Comte d'Artois dans ses expéditions militaires mais il ne vécut pas longtemps après la guerre de Flandres.
Sous son règne, les Rouergats furent délivrés de la servitude à laquelle ils avaient été soumis jusqu'alors et il leur accorda toutes les libertés compatibles avec les idées de son temps. Il protégea également les gens de lettres et les troubadours. C'est sous son règne qu'on commença à bâtir la cathédrale de Rodez.
Il fut le dernier Comte de la postérité de Richard de Millau et c'est avec lui que finit la ligne masculine de cette illustre famille qui avait occupé durant deux cent ans le Comté de Rodez
Henri II s'était marié trois fois :
- D'abord, le 8 septembre 1256, avec Marguerite de Baux, fille de Barral de Baux, grand justicier du royaume de Naples, et de Sybille-Béatrice d'Anduze. On peut noter que cette famille de Baux, l'une des plus illustres de Provence, donna plusieurs Rois d'Arles.
- Ensuite avec Marasconne de Comminges, fille de Bernard IV, Comte de Comminges, qu'il épousa en 1270. Elle lui donna quatre enfants dont, en particulier, Cécile qui, succédant à son père, devint Comtesse de Rodez et, épousant Bernard d'Armagnac, apporta le Comté de Rodez à la famille d'Armagnac.
- Enfin avec Anne de Poitiers, fille d'Aymard de Poitiers, Comte du Valentinois, dont il n'eut pas d'enfant.
En ce qui concerne la Baronnie d'Aurelle, on peut citer en particulier le bail à acapte du 8 avril 1292 consenti par Raymond de Saint-Etienne, chevalier, et par Radulfe Sigal, bayle de la Châtellenie d'Aurelle, pour Henri II de Bénavent à Bernard Vidal de la paroisse de Lunet. Ce bail concernait "le terroir de la Pendaria, confrontant du chef avec le chemin de Lunet à Fabrègues, et des autres côtés avec tenure du Four-del-Mas, tenure du Mas du Bousquet et ruisseau du Mossauret ; droit d'entrée : 30 sols rodanois ; et le Mas de la Molinaria, confrontant avec la Pendaria, le Four del Mas et le mas du Bousquet ; droit d'entrée : 2 sols rodanois par gechoirata de pré à faire" (probablement pas char à foin).
La Pendaria est aujourd'hui la Vidalerie et la Molinaria, le moulin de Vidalerie. Ainsi le bénéficiaire Vidal et ses successeurs finirent-ils par donner leurs noms à ces Mas. Il en est d'ailleurs ainsi pour bien d'autres hameaux : Combe, Vilieyre, Vioulaget, le Bru, par exemple.
Il faut également noter que le village des Escoudats relevait d'Henri de Bénavent pour la moitié de la Seigneurie d'Aurelle, jusqu'en 1293 date à laquelle ce Comte de Rodez céda cette partie qui lui appartenait aux Doms d'Aubrac.
Henri II mourut en 1304, au château de Gages qu'il avait fait bâtir, conformément à ses dernières volontés, son corps fut transporté à Bonneval où eurent lieu de magnifiques funérailles.
Avec lui se terminait donc la suprématie des Bénavents sur le Comté de Rodez, celui-ci passant par alliance aux Armagnac, et également la possession d'une moitié de la Baronnie d'Aurelle par les comtes de Rodez, celle-ci étant passée en 1293 aux Doms d'Aubrac.
5/ASTORG DE VILLARET
CO-SEIGNEUR D'AURELLE DE 1244 A 1254
Armoiries: "D'or, la croix tréflée d'azur cantoné de quatre branches de lauriers de sinople."
Astorg de Villaret acquis donc, le 24 juin 1244, la moitié de la Baronnie d'Aurelle de Pons de Castelnau et Bertrand son fils, l'autre moitié appartenant par indivis à Henri de Bénavent.
Mais qui était donc cet éphémère co-seigneur d'Aurelle ? Son père était Baratte de Villaret seigneur de Gages en 1269, à qui, Hugues, Comte de Rodez, et Henri, son fils, baillèrent par titre de permutation la seigneurie de Concourès, ne se réservant que le simple hommage de serment de fidélité. Ils lui cédèrent en outre le village de Vayssette. En contre échange Baratte de Villaret bailla au Comte de Rodez la place, château et forteresse de Gages avec toutes les terres et droits qu'il y possédait jusqu'alors.
En 1244, son fils Astorg devint donc co-seigneur d'Aurelle. Il fut aussi seigneur de Concourès en 1300 par héritage de son père. C'est ainsi que "le mercredi avant la Saint-Benoît" il fit hommage à Henri, Comte de Rodez, pour la place de Concourès.
En 1306, "le mercredi dans la semaine qui suivit la fête des Saints Pierre et Paul", il vendit ses possessions à Concourès à Hugues et Guillaume de Lapierre.
Quant eu lieu au juste la vente de la Baronnie d'Aurelle aux seigneurs de Canilhac ? Pourquoi Astorg de Villaret vendit-il tous ses biens tant à Concourès qu'à Aurelle ? Que devint-il ? Autant de questions qui restent sans réponse faute de documents pouvant nous l'apprendre.
Astorg de Villaret… Un nom surgit du fond des âges, sans toile de fond, sans fait marquant pouvant l'illustrer. Mais, qu'importe ? Son passage fut si bref à Aurelle qu'il ne peut guère avoir influencé les destinées. Il fallait cependant le citer, voilà qui est fait.
6/LES LAPANOUSE, SEIGNEURS DE LA FABREGUE POSSEDANT DES DROITS SUR LA CO-SEIGNEURIE D'AURELLE DES 1254
Armoiries: "d'argent, à six cotices de gueule.
Support : Deux anges."
La famille des Lapanouse est issue de Lapanouse de Séverac d'où elle a tiré son nom. Elle jouissait des honneurs de la chevalerie dès le milieu du XIII ème siècle. Elle donna un sénéchal du Rouergue, un sénéchal de Carcassonne, deux évêques de Mende dont un fut ensuite Archevêque de Damas et un grand nombre d'officiers de mérite. A tous ces avantages qui lui assurèrent un rang distingué parmi la bonne noblesse du royaume, elle joint celui d'avoir été jurée durant près de trois cent ans dans l'Ordre de Saint Jean de Jérusalem.
Les Lapanouse furent également seigneurs de Cruéjouls, Loupiac, Vilaret, Ceyrac, Servières, Golignac, Pruns et du Colomier. S'il furent bien les plus marquants des seigneurs de la Fabrègue, comme l'ont affirmé certains historiens, leurs droits sur certains mas et terres de la Baronnie d'Aurelle ne furent pas non plus négligeables.
On les y rencontre dès 1254 lors d'un règlement de certains droits à Combefalgoux et Montfalgoux (en Gévaudan) entre le dom d'Aubrac et Déodat de Canilhac. Motet de Lapanouse, chevalier, fut en effet témoin à cette occasion ainsi que le 29 avril 1270 et le 7 février 1271 lors de la sentence arbitrale qui régla le différent entre le seigneur de Canilhac et le Dom d'Aubrac au sujet de certains droits d'usage.
Je montrerai plus loin le rôle des Lapanouse en ce qui concerne la Baronnie d'Aurelle, mais il faut d'ores et déjà préciser qu'ils n'étaient pas les seuls à avoir des droits sur la Fabrègue et donc, du même coup, sur les terres d'Aurelle qui en dépendaient.
Divers actes nous permettent, en effet, de penser que les Marcastel furent co-seigneurs de la Fabrègue. Quant à ce qui concerne Aurelle, nous savons déjà qu'en 1293 Henri de Bénavent, alors chevalier, céda sa moitié à Guillaume Bousquet, Dom d'Aubrac, et c'est ainsi que le Dom en prit possession le 10 août 1294 en présence de nombreux témoins dont Motet de Lapanouse et Hugues de Marcastel, tous deux chevaliers qui à ce moment là devaient être co-seigneurs indivis de la Fabrègue. En effet, Hugues de Marcastel, habitant la Fabrègue, figure déjà sur un accord du 22 mars 1280 entre le seigneur de Canilhac et le seigneur de Bénavent au sujet de la terre d'Aurelle et nous le retrouvons encore le 30 octobre 1302 lors d'une transaction passée avec Guillaume de Villaret, recteur de l'église des Crouzets, agissant l'un et l'autre au nom de leur famille respective.
L'affaire traitée ce jour-là était particulièrement délicate puisqu'elle concernait le repos sacré des ancêtres de l'un. Le recteur avait, en effet, fait édifier un tombeau dans le cimetière des Crouzets aux dépens du chevalier dont beaucoup de parents étaient ensevelis à l'endroit même où avait été construit ce monument. Les deux hommes acceptèrent l'arbitrage de frère Jean Marcel de l'ordre des Prêcheurs sous peine d'une amende de dix livres tournois à celui qui enfreindrait la transaction rédigée aux Crouzets en présence de quelques témoins dont maître Bernard Girel, notaire public de la Baronnie d'Aurelle.
Finalement le même jour, Hugues de Marcastel se démit de l'instance engagée et Guillaume de Villaret lui concéda un autre tombeau dans le cimetière des Crouzets pour lui et les siens. Les droits des Marcastel ne semblent pas avoir été plus important que cela.
Quant aux Lapanouse, nous les retrouvons à Aubrac le 20 juillet 1304. dans l'hommage rendu à Bernard, Dom d'Aubrac, Motet de Lapanouse, IIIème du nom, reconnaît tenir à franc fief de ses ancêtres et des prédécesseurs du Dom la moitié indivise des maisons, jardins, etc… qu'il possède dans les dépendances du château d'Aurelle. Par cette reconnaissance nous apprenons quelles étaient les terres qui dépendaient pour moitié de ce Seigneur de la Fabrègue :
- Dans la paroisse de Lunet : la moitié du mas du Grès, de Born majeur et du Bousquet, sauf ce qu'il a acheté là de Gaucelin de Verlac.
- Dans la paroisse des Crouzets : la moitié indivise du mas de Vialaret et de Merdalhac (actuellement : le Belnom). Quant aux mas qui suivent, avec l'indication expresse qu'ils se trouvent bien dans la paroisse des Crouzets, ils n'existent plus : Las Martos, Assaïrens, Lofon, Péchorenc, Valat de Fabregas, del Sanhis, Mazet, dels Engelats et, pour ce dernier, sous réserve des droits du seigneur de Canilhac. On peut cependant remarquer que "ruisseau des Engelats" est l'ancien nom du ruisseau de Moussaur.
- Dans la paroisse de Verlac : les droits qu'ils possèdent sur le pré et le mas que tiennent les Ségui de Saint-Martin de Montbon et la moitié du mas de Crespiac.
Motet de Lapanouse IIIème du nom mourut en 1307, c'est ainsi que son fils : Motet de Lapanouse IVème du nom, fut institué cette année-là héritier particulier de son père dans ce qui appartenait au testateur à la Fabrègues, à Fabresilles, à Cantaloube et dans les dépendances du château d'Aurelle ; alors que son frère aîné Raoul de Lapanouse héritait des possessions de son père à Lapanouse, au château de Laroque Valzergue, dans la paroisse de Saint-Saturnin, au château de Nogaret et à Trellans.
Il faut préciser que le pouvoir des Lapanouse sur la Baronnie d'Aurelle ne se limitait pas à la simple possession de terres et de mas. Ainsi, le 24 juillet 1335, dans le cimetière de l'église des Crouzets, Motet de lapanouse, damoiseau, en raison de la carence des officiers de justice des seigneurs de Canilhac et d'Aubrac, co-seigneurs de la terre d'Aurelle, compléta l'instruction d'une affaire de meurtre commis au Vialaret par Gailland de Lanc sur la personne de Catherine Laubras "si maltraitée qu'elle mourut dans les quarante jours". Le fils de la victime : Bernard, avait été blessé à la tête, au bras et au pied avec un épée et une lance par Gailland et ses complices : Jean d'Albrac et G. de Valdonnes, des environs de Lassouts. Pendant que les agresseurs prenaient la fuite sur le Puech, les gens criaient : "Als murtriars! Als accessis:" (aux meurtriers! aux assassins!). Motet de Lapanouse requit acte en présence de témoins, d'un notaire et de Pierre Hue, alors recteurs des Crouzets.
Comme on peut le constater à cette occasion, le pouvoir des Lapanouse était loin d'être négligeable puisqu'ils n"hésitaient pas à se substituer aux officiers de justice des co-seigneurs d'Aurelle sans pourtant déchaîner la colère de ces seigneurs.
Mais, comme l'on peut s'en douter, la cohabitation de ces trop nombreux seigneurs ayant des droits sur la terre d'Aurelle : les Bénavents Comtes de Rodez, les Doms d'Aubrac, les Canilhac et les Lapanouse posait parfois problème, chacun attendant l'occasion de spolier l'autre.
Il est encore question des seigneurs de la Fabrègue lors de la reconnaissance consentie au Dom d'Aubrac pour le mas de Merdalhac (le Belnom) le 8 mars 1395 : "ce mas relève pour moitié de Guyon de Lapanouse, seigneur de Fabrègue et pour autre moitié du seigneur de Canilhac et du Dom d'Aubrac comme co-seigneur d'Aurelle". Dans l'indication des limites de ce terrain est cité le mas del Rigonès, disparu ou non identifié. Ajoutons pour l'anecdote que cet acte fut passé au presbytère de Lunet.
Guyon de Lapanouse testa le 20 septembre 1573, " il désigna pour sa sépulture le chœur de l'église des Crouzets où déjà reposait son père".
Bien que les Lapanouse n'aient donc jamais porté le titre de co-seigneurs d'Aurelle, l'importance de leurs droits sur certains mas de cette Baronnie m'interdisait de les passer sous silence, quitte à détruire la vision simpliste d'une longue liste de seigneurs successifs ayant tous les mêmes droits de père en fils, ce qui ne fut pratiquement jamais le cas.
7/LES DOMS D'AUBRAC
CO-SEIGNEURS D'AURELLE
DE 1293 A 1516
Le monastère d'Aubrac fut créé vers 1120 par un Flamand Adalard qui, s'étant perdu deux fois dans la forêt d'Aubrac, avait fait vœu à deux reprises d'y fonder un refuge pour les pèlerins égarés ou victimes eux aussi de la tourmente (violente tempête de neige) dont on ne retrouve les corps qu'au printemps suivant. Il voulait ainsi assurer la protection des voyageurs qui couraient constament le risque d'être attaqué par des pillards sans scrupules en traversant cette contrée sauvage.
C'est ainsi que du XIIè siècle à la révolution, les Doms d'Aubrac et leurs moines-chevaliers furent de grands seigneurs dans notre région.
En 1293, Henri de Bénavent céda la moitié de la Baronnie d'Aurelle à Guillaume Bousquet, Dom d'Aubrac. Celui-ci en prit possession le 10 août 1294, en présence de nombreux témoins qui portaient des noms qui pour la plupart nous sont encore familiers : Gardes, Bach, Vidal, Pagès, Védrines, Brenguier, Aubert, Ferrand, Bousquet,etc…
Au mois de mars 1299, Henri de Bénavent, alors Comte de Rodez, promis au Dom et aux religieux d'Aubrac "de ne point aliéner sans leur consentement, par échange ni autrement, le fief qu'ils tiennent de lui, ni la supériorité de leur château d'Aurelle", qui leur appartenait alors par indivis avec les Beaufort-Canilhac.
Le Dom d'Aubrac rendit hommage au Comte de Rodez le 6 septembre 1403. dans l'acte rédigé à cette occasion par Nielli, notaire de l'hôpital d'Aubrac, sont désignés : "Saint-Martin de Montbon, le Minier, les Escoudats, Brunho, Vieurals, le Cau, le mas Mazet, Merdalhac (le Belnom), le Vialaret, la Fabrègue, Fabreguette, Latra, Engelats, les Crouzets", ces mas faisaient alors partie de la paroisse des Crouzet et par indivis du mandement du château d'Aurelle ; "les mas de Rausiac, la Bastide, Lunet, le Four del Mas, la Romiguière basse et haute, les mas de Balme, Raufiac, Codersals, Tournecoupe, le Bousquet, le Grès, la Bayssière, Born, la moitié du mas de Jonquière, étaient situés sur la paroisse de Lunet."
Si nous parcourons l'état des fiefs de la Baronnie d'Aurelle nous constatons que, dans ces deux paroisses des Crouzet et de Lunet, l'indivision entre les Doms d'Aubrac et les Beaufort-Canilhac doit être désignée dans le bétail. Ainsi au Bru à Merdalhac, à Niel, au Bousquet etc… trois partie relèvent du baron ou vicomte d'Aurelle, la quatrième partie de la dômerie d'Aubrac et, pour certaines terres des Crouzets, on excepte celles qui relèvent de Motet de Lapanouse autre co-seigneur directier de terres qui se trouvent dans les limites de la Baronnie d'Aurelle.
Les Doms d'Aubrac étaient, eux aussi, seigneurs directiers de la Baronnie d'Aurelle, c'est à dire qu'ils confiaient leurs terres à des tenancier qui leurs versaient divers droits. En contre-partie, le tenancier jouissait de la propriété effective du domaine que lui confiait le seigneur.
Les Doms d'Aubrac furent donc co-seigneurs directiers de la terre et Baronnie d'Aurelle qu'ils possédaient par indivis avec les Beaufort-Canilhac jusqu'en 1516. malgré cette possession commune, les religieux continuèrent à rendre hommage à leurs co-seigneurs bien après 1294. nous pouvons citer les hommages du 10 juillet 1303, du 8 juillet 1316, du 5 août 1422 et du 22 octobre 1482.
Il faut savoir, pour comprendre cela, que les Canilhac avaient fait divers dons au monastère d'Aubrac, comme bien d'autres seigneurs, et que le Dom d'Aubrac était de ce fait vassal de ces puissants seigneurs qui lors de leur importantes donations s'étaient réservés l'hommage féodal. Les fiefs possédés par la dômerie relevaient, en effet, de quelques seigneurs principaux : du Roi de France pour les possessions en Gévaudan, du Comte de Rodez en sa qualité de seigneur des montagnes et des quatre châtellenies du Rouergue, des marquis de Canilhac, de Peyre et d'Apcher. Mais le Dom d'Aubrac n'en restait pas moins un très grand seigneur qui siégeait même aux Etats du Gévaudan comme les barons de cette province.
Le plus célèbre des Doms fut, sans nul doute, Antoine d'Estaing, l'évêque d'Angoulême. Il fut d'abord chanoine et sacritain de Rodez, prévôt de Villefranche de Rouergue, prieur de Langogne, Dom d'Aubrac après son oncle Jean d'Estaing, doyen et Comte de Lyon et, enfin, en 1506 évêque d'Angoulême après Hugues de Bosc.
Le roi, Louis XII lui avait fait l'honneur de le choisir en 1498 pour être son procureur-général lors de la dissolution de son mariage avec Jeanne de France, et l'avait nommé Conseiller du Grand-Conseil, puis fut Conseiller-Clerc au parlement de Toulouse, poste qu'il quitta quand il fut promu à l'évêché d'Angoulême en 1506.
En 1509, il souscrivit au testament du Cardinal Georges d'Amboise, Ministre d'Etat, et trois ans après se trouva au concile de Pise où il soutint fortement les intérêts de la France contre les prétentions de la cour de Rome. Antoine d'Estaing était l'homme de son temps qui connaissait le mieux les fondements de l'Eglise gallicane, et qui fut le plus zélé pour la discipline, d'où ses nombreux succès.
Ce prélat eut aussi de fréquents contacts avec les milieux littéraires et scientifiques de l'époque, Nicolas Bohier lui dédia d'ailleurs les commentaires qu'il avait faits sur le traité "de l'electione de Mandagot."
Louise de Savoie, Duchesse d'Angoulême, mère du roi François Ier, l'honora de son estime. Elle souhaitait la canonisation de Jean-Le-Bon, duc d'angoulême, son beau père en réputation de sainteté. Antoine d'Estaing fut délégué par le Saint-Siège pour travailler au procès-verbal, mais il ne put l'achever car il mourut empoisonné dans son château de Varès près d'Angoulême, le 28 février 1523. son corps fut enterré dans l'église de la Dômerie d'Aubrac, où l'on voit encore son effigie revêtue d'habit pontificaux, ses armes et son épitaphe à la porte du chœur.
En ce qui concerne la Baronnie d'Aurelle, ce fut ce Dom d'Aubrac qui prit part au partage de la Baronnie avec Jacques de Beaufort, son co-seigneur, le 18 octobre 1516.
8/LES BEAUFORT-CANILHAC
CO-SEIGNEURS D'AURELLE
DE 1254 à 1728
Armoiries des Canilhac :
- Leurs premières armes étaient des armes parlantes : un chien du patois "canihas".
- "d'azur au lévrier rampant d'argent, coléré et onglé de gueules, à la bordure denticulé d'argent.
Les armoiries des Beaufort :
- "d'argent, à la bande d'azur accompagné de six roses de gueules, trois en chef et trois en pointe."
Les armoiries des Montboissier :
- "d'or semé de croisettes de sable, au lion du même brochant."
On ne peut pas parler d'Aurelle en passant sous silence l'influence qu'exercèrent sur cette seigneurie les seigneurs de Canilhac qui la possédaient en parallèle avec Henry de Bénavent, puis avec les Doms d'Aubrac, et, enfin, seuls après le partage de la Baronnie entre co-seigneurs, soit quatres siècles durant.
Cette lignée fut particulièrement puissante, tant dans notre région, que dans les provinces voisines. Elle donna, en effet, naissance à plusieurs hommes remarquables mais aussi, il faut le dire, à d'autres moins honorables qui acquirent une bien triste célébrité en leur temps.
"Il est curieux, écrit Charles Feugères, d'observer d'une province à l'autre, l'expansion de la maison de Canilhac. Son histoire se mêle à celle du Languedoc, du Rouergue, de l'Auvergne, et même du Limousin et du Quercy. Cette illustre maison fournit pendant plusieurs siècles au ban royal : des hommes d'armes, à l'Eglise : deux papes, un cardinal, des évêques, des abbés, seigneurs magnifiques et parfois prodigues, ses fils sont à l'ordinaire d'âpres conquérants, opiniâtres à défendre leurs droits, à les étendre même au dépens d'autrui quand s'offre l'occasion. Possessifs et querelleurs avec leurs voisins, ce voisin fut-il le Roi de France, ils se prêtent volontiers aux avantageux compromis et savent, par d'utiles alliances, accroître d'années en années leurs richesses territoriales."
Parmi leurs alliances, il faut en citer une plus particulièrement : celle avec la lignée des Rogier qui prit plus tard, le nom des Beaufort et d'où était issus bien des personnages illustres.
- Ainsi Pierre Rogier, fils de Guillaume, natif du Limousin, cardinal en 1338, succéda le 7 mai 1342 au Pape Benoît XII, sous le nom de Clément VI. Il mourut à Avignon, où les Papes fixèrent leur résidence de 1309 à 1397. Le 6 décembre 1352 il fut enseveli à l'Abbaye de la Chaise-Dieu où les hérétiques pillèrent son tombeau.
- Raymond de Canilhac, pour sa part originaire du Gévaudan, archevêque de Toulouse en 1347, Cardinal en 1350, obtint onze voix au conclave de 1362. Il mourut le 20 juin 1373 à Avignon où il fut enseveli dans l'église des Pères Mineurs.
- Dieudonné de Canilhac, quant à lui, fut évêque de Saint-Flour au XIVème siècle.
- Hugues Rogier, religieux de Saint Benoît, puis cardinal évêque de Tulle, était le frère de Pierre Rogier qui, nous l'avons vu fut le Pape Clément VI, et l'oncle de Pierre Rogier de Beaufort, Pape lui aussi, comme nous le verrons sous le nom de Grégoire XI. Hugues Rogier, quant à lui, obtint quinze voix sur vingt au conclave de 1362, mais il supplia le Sacré-Collège de ne pas maintenir son vote. Les ecclésiastiques se plièrent à son choix, heureusement puisqu'il mourut l'année suivante.
- Pierre Rogier de Beaufort, neveu de Clément VI, cardinal à 17 ans, succéda le 4 janvier 1371, sous le nom de Grégoire XI, à Urbain V de la famille gévaudanaise des Grimoard. Ce fut lui qui décida de transférer le Saint-Siège à Rome pour apaiser les désordres causés à cette époque là par les Florentins alliés aux Romains, ce sur les instances de Catherine de Sienne. Il arriva à Rome le 7 janvier 1376 et y mourut le 27 mars 1378.
- D'autres se signalèrent au service du Roi, ainsi, par exemple, Jean de Beaufort, Marquis de Canilhac, qui défendit la ville de Saintes contre les protestants en 1570.
Voici donc une galerie familiale qui n'a rien à envier à celle des Rois de France, mais, hélas, les Beaufort-Canilhac d'Aurelle feraient, eux, bien piètre figure aux côtés de leurs lointains cousins!…
Mais mieux vaut d'abord essayer de voir quelles furent les vicissitudes généalogiques de cette lignée de Seigneurs d'Aurelle, puisque cette Baronnie fut possédée successivement par trois grandes familles : les Canilhac, les Beaufort, puis les Montboissier.
LES CANILHAC :
L'origine des seigneurs de Canilhac, d'abord suzerains des Castelnau d'Aurelle puis eux-mêmes co-seigneurs d'Aurelle, se perd dans la nuit des temps.
Deusdet, Gaucelin, Pierre, Bernard, Raynau, Rigal, Richard, Raymond, Gérard et Raoul de Canilhac frères et Pierre fils de ce dernier, sont nommés dans diverses chartes des années 1058, 1060 et 1075.
Olabert de Canilhac est, lui, cité en 1112.
Astorg de Canilhac, abbé de Saint Victor de Marseille en 1180, mourut en 1190.
A cette époque là, la postérité masculine de la maison de Canilhac s'éteignit en une fille qui en apporta les biens dans la maison de Séverac ; mais de ce mariage ne naquit aussi qu'une fille Irdoine de Séverac. Celle-ci épousa d'abord Guillaume, Comte de Rodez, dont elle n'eut pas d'enfants et, en second lieu, vers 1209, Déodat de Caylus qui la rendit mère de Gui, seigneur de Séverac, et de Déodat qui eut en partage les terres des Canilhac : Saint Laurent, Estable et Bonneterre. Il prit le nom et les armes de la maison des Canilhac et en continua la descendance.
On trouve sa trace dès 1254 lors d'un règlement avec le Dom d'Aubrac Durand, au sujet de certains droits d'usage à Combefalgoux et Montfalgoux en Gévaudan.
Les terres des Canilhac composaient, en effet la deuxième des neuf baronnies du Gévaudan, dont les possesseurs siégeaient par tour aux Etats du Languedoc. Cette Baronnie comprenait : Canilhac, Banassac, Miège-Rivière, les Clergues, la Ferrière, Malvin, Saint Germain du Teil, Mories et les châteaux de Montjésieu et de Combret.
Déodat de Canilhac, encore vivant en 1257, eut entre autre enfant : Guillaume qui épousa vers 1280, N. de Deaulx, sœur du cardinal Bertrand de Deaulx vice chancelier de l'église romaine. De cette union naquit notamment, Marquès de Canilhac qui épousa vers 1320, Alixent de Poitiers. Il n'eut qu'une héritière : Guérine, dame de Canilhac, mariée en 1345 avec Guillaume Rogier, deuxième du nom, auquel elle apporta les biens de sa maison, dont la terre de la Baronnie d'Aurelle.
LES ROGIER-BEAUFORT:
Guillaume Rogier, deuxième du nom était Comte et seigneur de Beaufort en Anjou. Il se maria trois fois et ce ne fut qu'en seconde noce qu'il épousa Guérine de Canilhac, héritière de son nom. De cette union naquit un fils : Marquès de Beaufort, vicomte de la Motte. Ce fut lui l'auteur de la branche des Beaufort-Canilhac, qui est considérée comme l'une des maisons les plus illustre de France grâce à ses alliances, mais nous ne verrons que l'attitude de ce Marquès de Beaufort-Canilhac ne fut guère à son honneur durant la guerre de cent ans.
Quoiqu'il en soit, son grand oncle maternel : le cardinal Raymond de Canilhac, lui donna la terre de Saint-Laurent le 3 juillet 1366. Ce Marquès de Beaufort-Canilhac épousa en seconde noces Eléonore d'Anduze dont il eut deux fils : Louis et Jacques.
L'aîné, Louis de Beaufort, marquis de Canilhac, Comte d'Alais, vicomte de la Motte et de Valerne, chevalier et chambellan du Roi, épousa d'abord Jeanne de Norry qui lui donna cinq fils et cinq filles, dont l'une épousa, en 1459, Jean de Montboissier, deuxième du nom. Tous les enfants de Louis de Beaufort moururent sans postérité. Il épousa en seconde noces Jeanne de Montboissier dont il n'eut point d'enfants.
Ce fut donc son frère cadet, Jacques de Beaufort qui lui succéda. Celui-ci épousa Jacqueline, fille de Jean V, sire de Créqui, et de Louise de la Tour, dont il n'eut pas d'héritier.
Il décida donc de donner, par contrat du 31 avril 1511 (sic), à Jacques de Montboissier, son filleul et petit neveu, le marquisat de Canilhac, le Comté d'Alais, les vicomtés de Valence et de la Motte, et toutes ces autres terres ou seigneuries dont Aurelle et Saint Laurent d'Olt, à la condition expresse que Jacques de Montboissier accepte en contrepartie de porter le nom et les armes des Beaufort, ce qu'il fit.
LES MONTBOISSIER-BEAUFORT:
Ce Jacques de Montboissier était le petit fils de Jean de Montboissier, troisième du nom, seigneur d'Aubusson, qui avait épousé en 1459 Isabeau de Beaufort-Canilhac ; et le fils de Jean IV, baron de Montboissier et de Marguerite de Vienne.
Respectant la volonté de son grand oncle et parrain, Jacques de Beaufort, il abandonna le nom de Montboissier pour porter celui de Beaufort.
Il épousa, en 1513, Françoise de Chabannes fille de Jacques de Chabannes, seigneur de La Palice, Maréchal et Grand Maître de France, et de Jeanne de Montbéron, et assura ainsi la descendance indirecte des Beauforts comme ceux-ci avaient assurée celle des Canilhac.
Ce fut également ce Jacques de Beaufort qui assura le partage de la Baronnie d'Aurelle avec les Doms d'Aubrac.
Si l'on peut donc parler des Canilhac, seigneurs d'Aurelle, il ne faut cependant pas oublier que cette lignée s'est par la suite alliée à celle des Beaufort pour assurer sa descendance et donner ainsi naissance aux Beaufort-Canilhac qui, eux-mêmes sans descendants directs, léguèrent leurs biens à un Montboissier qui voulu bien perpétuer leur nom au détriment du sien, et que ce furent donc ses descendants qui furent seigneurs d'Aurelle, sous ce même nom de Beaufort-Canilhac jusqu'en 1728, date à laquelle cette terre passa à Jean de Fajole.
9/LES CO-SEIGNEURS D'AURELLE
DANS LA GUERRE DE CENT ANS
L'invasion anglaise débuta dès 1345 par le siège de Saint-Antonin dans le bas Rouergue. Après maintes péripéties les anglais l'emportèrent d'assaut et s'y fortifièrent. Face à cette victoire ennemie, les bourgs en présence du "fléau anglais" réparèrent leurs fortifications ou construisirent de nouveaux remparts. Ainsi la tour dite "des anglais", qui existe encore à Aubrac, fut construite en 1353, au moment même où l'ennemi incendiait les forts de Lacalm et de Laguiole. C'est aussi à cette période là, semble-t-il, que furent construits les souterrains dits : "cave des anglais" ou "trou des anglais", comme celui qui existe encore dans les bois au dessous du villages de Mazes.
Pour sa part le Dom d'Aubrac Pierre Allo, co-seigneur d'Aurelle, sollicita du Comte d'Armagnac l'autorisation de mettre en sûreté, dans les forts de Prades et des Bourines, tout ce que le monastère possédait de plus précieux : calices, reliques, parchemins et bulles papales concernant l'abbaye. Il y fut autorisé par le Comte de Rodez après une inspection de ces deux forts confirmant qu'ils étaient en mesure de soutenir un siège éventuel.
Malgré toutes ces mesures de sécurité, une bande de cinq cents anglais sortirent du château de Saint-Antonin, en décembre 1356, et ravagea le Rouergue. Deux milles autres, venant du Quercy, surprirent Millau et arrivés à Entraygues, ils gagnèrent les Monts d'Aubrac d'où ils emportèrent un riche butin.
En 1360, les anglais furent victorieux : le traité de Brétigny soumis une partie de la France à leur joug. Le prince noir, nommé vice-roi de Guyenne gouverna le pays et reçu en 1363, les serments de la Noblesse, du clergé et des "communes" du Rouergue. Quelques années plus tard, des soldats licenciés groupés sous la conduite d'aventuriers semèrent partout la terreur : pillant et incendiant maintes localités.
Le Dom Pierre Ycher dut leur verser une forte rançon pour la libération des prisonniers qu'ils avaient faits, et pour le rachat du bétail qu'ils avaient volé à l'abbaye.
L'hôpital d'Aubrac obtint bien du roi Jean des lettres de sauvegarde et l'autorisation d'ériger à Aubrac et sur les terres qui en dépendaient les piloris et des fourches patibulaires. Mais à quoi pouvait bien servir la perspective des châtiments quand les pillards venaient en nombre imposant et armés?
C'est ainsi que, comme ses prédécesseurs, le Dom Aymeri de Peyrou dut traiter à son tour avec l'ennemi qui respecta ses engagements dans un premier temps. Mais cela ne dura pas et, en 1375, nos montagnes furent à nouveau mises à sac par ces bandes forcenées.
Entre temps, certains seigneurs locaux n'avaient pas hésité à prendre position pour l'ennemi. Ce fut le cas de Marquès III de Canilhac, co-seigneur d'Aurelle qui offrit le château de Saint-Urcize à Bertuat d'Albret, capitaine gascon, auteur d'amples razzias sur les terres de l'hôpital d'Aubrac. Ce Marquès, bien que condamné à mort par contumace par le parlement, ne cessa de chercher querelle au Dom d'Aubrac, autre co-seigneur d'Aurelle. Il voulu, par exemple, enlever les poutres et les palissades destinées aux fortifications de l'église d'Aubrac, le Dom refusa énergiquement et en référa au Roi, Charles VI, qui donna une nouvelle fois des lettres de sauvegarde et maintint le monastère dans ses droits.
En 1375, une information fut ordonnée par Jean, Comte d'Armagnac, sur les "dommages, ravages, meurtres et enlèvements faits par les anglais et ceux de leur parti dans les terres du Rouergue pendant la trève faite par les rois de France et d'Angleterre." La première enquête est du 5 novembre, la dernière du 18 décembre 1375.
C'est ainsi que le 20 novembre de cette année là, Jean de Golinhac, capitaine du château de Saint-Geniez, accompagné de Bermon de Colinette, notaire, arriva à Lunet, terre d'Aurelle appartenant à l'hôpital d'Aubrac et au seigneur de Canilhac. Là, ils interrogèrent sous serment Jean Melli, Jean Salet et Déodat Adémar "prudhommes et taillayres" (leveur de taille). Ceux-ci déclarèrent que les anglais "venant de Carlat, à la fête de Saint-Michel l'archange, leur avaient volé, tant en blé qu'en argent, une somme de 90 francs or." Jean Ruphi, du Four del Mas, terre d'Aurelle, déclara qu'ils avaient volé divers objets et denrées, poules et saucisses pour la valeur de 5 florins d'or. Raymond del Bru et Hugo del Bru, habitant le hameau du Bru, déclarèrent avoir été délestés de lard, seigle et avoine pour une valeur de 2 francs or.
Malgré ces spoliations, Marquès de Beaufort, seigneur de Canilhac, continua de soutenir les anglais en faisant démolir l'église Saint Pierre d'Aurelle, bâtie au sommet d'un rocher, sous prétexte qu'elle risquait d'être prise et fortifiée par l'ennemi. N'aurait-il pas mieux fait de la défendre si c'était là son souci?…
En 1738, il restait encore des traces de cette antique chapelle, qui mesurait huit cannes de long et deux cannes deux pans de large dans l'œuvre, mais on n'en trouve plus aujourd'hui sur cette crête de rocher.
La démolition de ce monument était une affaire grave, ce seigneur et ses hommes allaient devoir subir les conséquences de leur acte irréfléchi… C'est ainsi que Déodat Gentou de Verlac et Jean Arribert de Saint-Martin de Montbon comparurent en la cour spirituelle de l'évêque de Rodez, le 4 juillet 1383 en tant que procureurs de diverses personnes de Naves, Verlac, Saint-Martin de Montbon et Lunet, habitants de la terre d'Aurelle, comme ils le prouvèrent par une procuration reçue à Naves, dans le cimetière de l'église, par Etienne Sine Terris (sans terre). Comparurent en même temps : Marquès de Beaufort, seigneur de Canilhac, Pierre Girbaldi, prieur de l'église de Saint-Martin de Montbon, Amalric de Séverac, Archidiacre-Mage de l'église de Rodez, et maître Etienne Sine Terris, notaire et secrétaire du seigneur de Canilhac et de ses complices.
Ils durent répondre des faits suivants :
Le mercredi avant la Saint-André 1382, réunis à Aurelle en armes, ils s'étaient rendus à la chapelle ou église Saint-Pierre d'Aurelle, avaient enlevé le "Corpus Christi" les Saintes Reliques et images des saints, qu'ils avaient transférées "sans luminaire ni révérence" dans la maison de Jean Védrunes, laïc, les y laissant la porte fermée, jetés à terre.
Ils avaient ensuite emporté les cloches de l'église ainsi que les fonds baptismaux, détruit l'autel où le "Corpus Christi" est sanctifié, et enfin démoli de fond en comble l'église bâtie en des temps très anciens, commettant ainsi un sacrilège très grave.
Les procureurs des habitants et le seigneur de Canilhac se soumirent à la sentence que prononça l'évêque et sollicitèrent l'indulgence.
La sentence fut celle-ci :
L'église devait être rebâtie et ornée de tout ce qui était alors nécessaire au service divin dans le délai d'un an. La première messe devait être prononcée en présence du délégué de l'évêque, le seigneur de Canilhac devait y assister en offrant en l'honneur de Dieu, des saints Pierre et Paul, un cierge de quatres livres de poids ; vingt hommes choisis par lui parmi ceux qui avaient pris part à la démolition de l'église, devaient également y assister avec une chandelle de cire de la valeur de dix tournois et ils devaient aller de l'entrée de l'église à l'autel "en tunique, sans capuce et sans ceinture, pieds nus et à genoux" à raison de l'offense faite à l'église. Au cours de cette première messe, le curé devait expliquer comment la faute avait été commise et les coupables devaient faire pénitence "en la forme habituelle". De plus comme ils avaient sciemment ignoré l'autorité de l'évêque en démolissant la chapelle de leur propre chef, ils durent payer 300 francs or à convertir en œuvres pies.
Grâce à l'intervention des deux cardinaux d'Arles et de Limoges, l'évêque leur accorda l'absolution de l'excommunication portée à leur encontre.
Les procureurs des habitants de la terre d'Aurelle ratifièrent la sentence. Parmi les témoins se trouvait Raymond, abbé de Bonneval et Aymeric de Mercato, official de Rodez. L'acte fut reçu dans la chambre de l'évêque, Bertrand de Raphin, le 11 juillet 1383, par Boyssonade, notaire épiscopal.
Il est intéressant de noter ici, que l'évêque en question, originaire de la Raphinie, près de Lédergues, avait longtemps séjourné auprès du dernier pape d'Avignon : Grégoire XI, de la maison de Beaufort, unie à celle des Canilhac, ce qui ne l'empêcha pas de faire preuve de fermeté à l'égard du seigneur de Canilhac qui avait encouru, par sa seule responsabilité, un très grave châtiment.
C'est ainsi que le 3 avril 1384, Jean Ségur, vicaire général, ordonna à Déodat Laurent, moine de Bonneval, de se transporter à Aurelle afin de faire édifier une nouvelle chapelle sur l'emplacement concédé par les co-seigneurs d'Aurelle et d'en dresser acte.
Celui-ci remplit sa mission le 14 avril 1384 en présence de Déodat Laurent Yverni, licencié en décrets, procureur de Pierre, Dom d'Aubrac, et de Guillaume de Trescas, procureur de Marquès de Beaufort. Après les explications des habitants des paroisses de Saint-Martin de Montbon, des Crouzets, de Lunet et de Verlac, les deux procureurs concédèrent à Aurelle un pré confrontant au midi avec un cazal du Gentilhomme Romiguière, chevalier, et en bas avec l'orme de la place d'Aurelle.
L'évêque approuva l'emplacement choisi, et le terrain où s'élevait auparavant l'ancienne église démolie, au sommet d'un rocher, fut entouré d'un mur pour éviter "qu'il ne se commette rien d'indécent dans ce lieu considéré comme consacré."
Ici s'achève la mésaventure de Marquès III de Canilhac, le seigneur d'Aurelle qui joua avec le feu anglais et la foudre divine, mais on peut cependant se demander comment se termina l'occupation anglaise en Rouergue.
La lutte contre l'anglais avait été incessante dans les domaines juridiques et diplomatiques pendant quatres ans, puis par les armes. C'est ainsi qu'en avril 1370 "le Rouergue était redevenu français", mais le combat continua longtemps encore contre les compagnies anglaises et leurs chefs : Ramonet de Sort, Bort (bâtard) de Garlenc, Chopin de Badefol et Mérigot Marquès.
Le Roi Charles VI s'émut de cette situation et délégua son chambellan : Jean de Blaisy pour mener à bien "le rachat des places encore occupées par des routiers, en exécution du traité de Mende" (1391).
C'est ainsi que les dernières bandes abandonnèrent leurs forteresses et suivirent finalement le Comte Jean III en Lombardie. Une page d'histoire de plus était tournée.
10/LE PARTAGE DE LA BARONNIE D'AURELLE EN 1516
Nous savons que la terre d'Aurelle était une co-seigneurie depuis que les Bénavent, Comtes de Rodez en avaient racheté la moitié aux Castelnau d'Aurelle en l'an 1200. De co-seigneurs en co-seigneurs cette Baronnie était arrivée aux mains des seigneurs de Canilhac et des Doms d'Aubrac.
Nous avons également vu que cette possession commune n'allait pas sans problème, notamment au cours de la guerre de cent ans.
C'est ainsi qu'eut lieu en 1516, le partage de la Baronnie d'Aurelle appartenant à ce moment là à Antoine d'Estaing, Dom d'Aubrac, et Jacques de Beaufort, seigneur de Canilhac.
Le 18 octobre 1516, Barthélémy Planhard, chef de la commanderie de Chirac (en Lozère), délégué du Dom d'Aubrac, procéda au partage "des cens, rentes, champarts et autres droits seigneuriaux de la terre d'Aurelle par paroisses villages ou tènements."
Ainsi les paroisses de Saint-Martin de Montbon, Naves et de Verlac furent affectées au fiefs des seigneurs de Canilhac ; celles de Lunet et des Crouzets aux fiefs du monastère d'Aubrac.
Cependant les co-seigneurs laissèrent provisoirement en commun trois montagnes : Alteteste, Lous Cats et Tournecoupe, ainsi que les bois qui en dépendaient.
Ce partage, bien que réduisant définitivement la terre d'Aurelle de moitié puisque la part des Doms faisait désormais partie des terres d'Aubrac, n'en était pas moins très nécessaire. Les co-seigneurs d'Aurelle mettaient ainsi fin à une rivalité de trois siècles, où chacun avait essayé d'étendre ses droits au détriments de l'autre et de lui imposer sa loi.
Ainsi la terre d'Aurelle, dont nous allons continuer de parler, ne comprendra plus que les paroisses de Naves, Verlac et de Saint-Martin de Montbon (Vieurals compris) c'est à dire les trois paroisses qui forment l'actuelle commune d'Aurelle-Verlac.
Il faut cependant noter que les Doms restèrent seigneurs de la partie qui leur revenait jusqu'à la Révolution, les Beaufort-Canilhac, eux, jusqu'en 1728 seulement.
11/JEAN ANSELME DE FAJOLE
MAIRE PERPETUEL DE SAINT-GENIEZ
ET BARON D'AURELLE DE 1731 à 1738
Armoiries : "d'azur, au frêne d'or,
Accosté de deux épées en pal"
Jean Claude Anselme de Fajole, sieur de la Ferrière, était non seulement maire perpétuel de Saint-Geniez d'Olt, mais aussi conseiller-secrétaire du Roi Louis XV, ce qui -nous le verrons- eut une importance pour la terre d'Aurelle. Il était également contrôleur à la Chancellerie de Toulouse par lettre patente du Roi du 3 janvier 1701.
Il avait épousé le 1er octobre 1700, Catherine de Balsac, fille d'André de Balsac, président de la cour des aides de Montauban, et de Marie de la Teule, dame du Claux et de Firmi. Sept enfants légitimes naquirent de cette union.
La lignée des Beaufort-Canilhac s'étant éteinte en un dernier mâle anormal, le maire de Saint-Geniez d'Olt devint adjudicataire de la Baronnie d'Aurelle vers 1728, mais il n'acheta vraiment la succession des Canilhac que le 26 octobre 1731.
La terre d'Aurelle ne tarda cependant pas à passer aux mains des Layrolle, en la personne de Gilles de Layrolle qui l'acheta dès 1738.
La tradition orale rapporte à ce sujet une histoire intéressante mais forcément omise dans les actes et traces écrites de toute sorte étant donné sa teneur. Elle nous apprend en effet que Jean de Fajole, maire de Saint-Geniez d'Olt, marié comme nous l'avons vu, aurait eu une maîtresse qui n'était autre que Catherine de Layrolle, mariée elle aussi et mère du futur baron d'Aurelle : Gilles de Layrolle.
Plus troublant encore, cette même Catherine de Layrolle aurait également été l'une des maîtresses de Louis XV, la plus célèbre demeurant bien sûr la marquise de Pompadour.
Et cette Catherine de Layrolle eut donc un fils : s'agissait-il d'un fils légitime de son mari Pierre-jean de Layrolle, d'un bâtard de Jean de Fajole ou de Louis XV ? Question insoluble, ces trois possibilité étant envisageables.
Quoiqu'il en soit, il semble que Gilles de Layrolle n'ait dû la Baronnie d'Aurelle qu'aux faveurs que sa noble mère avait accordées au Roi et au maire perpétuel de Saint-Geniez d'Olt, qui était aussi, ne l'oublions pas, conseiller-secrétaire de Louis XV.
Aux dires de certains, Jean de Fajole aurait, en effet, vendu la terre d'Aurelle au fils de Catherine de Layrolle pour un prix modique, assumant ainsi un éventuel devoir paternel.
D'autres vont jusqu'à affirmer que Louis XV aurait prié son secrétaire d'assumer ce rôle dans l'ombre (mariage oblige !) alors que ce Roi de France était bel et bien le père de l'enfant en question.
Sans aller jusque là, sans oser affirmer que ces rumeurs traduisent la réalité, il n'en demeure pas moins que c'est chose possible dans le contexte de l'époque et que l'histoire méritait d'être contée.
D'ailleurs, après un empereur romain bâtisseur du fort d'Aurelle, après la lignée des Beaufort-Canilhac, barons d'Aurelle, dont la parenté avec deux papes est indiscutable, après une Baronne d'Aurelle qui n'était autre que la propre fille de Jacques de Chabannes, seigneurs de la Palice, pourquoi pas un bâtard de Louis XV seigneur d'Aurelle ? Il ne déparerait guère dans la galerie seigneuriale de cette Baronnie.
En ce qui concerne la terre d'Aurelle, une saisie fut faite le 20 septembre 1738, sur la tête de Jean de Fajole, à la requête de Claude du Buisson, seigneur et marquis de Bournazel. Le document rédigé à cette occasion nous apprend que la Baronnie d'Aurelle comprenait alors : les paroisses de Saint-Martin de Montbon, de Verlac et de Naves, ainsi que le terroir et village des Ginestes ; qu'il s'y trouvait alors 10310 sétérées de terre "à semer en blé", que monsieur Fajole possédait, en outre, dans l'étendue de cette terre la montagne noble de Cazalets, contenant 3000 sétérées, un grand bois et forêt noble appelé "de Valerne", avec "droit d'aforestage à qui bon semble au seigneur, qui est de donner permission de prendre du bois moyennant ce qui en est convenu", contenant 1800 sétérées, et un autre bois et forêt noble de haute futaie appelé "del Cau" de même contenance. Soit 16910 sétérée de terre au total et, la sétérée de Rodez étant de deux hectares et demi, cela nous donne une étendue approximative de 42275 hectares pour la Baronnie d'Aurelle, ce qui, vous en conviendrez aisément, était loin d'être négligeable.
Pour conclure ce chapitre, je ne peux que conseiller aux nostalgiques et aux rêveurs de faire un petit détour par la rue de l'hôtel de ville à Saint-Geniez d'Olt. Ils y découvriront, en effet, au numéro 15, l'ancien hôtel de Fajole, face à l'église des pénitents. Il reste, en particulier, l'ancien portail en bois datant du XVIII ème siècle, une très belle porte cochère, elle aussi en bois, et un remarquable escalier intérieur. C'est là que Jean de Fajole, maire perpétuel de Saint-Geniez d'Olt, résidait quand il était en Rouergue.
12/GILLES ET PIERRE-JEAN DE LAYROLLE
BARONS D’AURELLE DE 1738 A 1788
Il semble que la famille des Layrolle soit originaire de Séverac le Château.
Pierre-Jean de Layrolle, l’époux légitime de Catherine de Layrolle, était secrétaire du Roi Louis XV en 1732.
Gilles de Layrolle, "son" fils, était viguier de Séverac et seigneur des Rogers, comme nous l'avons vu, il obtint donc la Baronnie et terre d'Aurelle de Jean de Fajole dès 1738.
Il épousa Marguerite de Rhodes de Castain, dont il eut dix enfants. Ce fut le huitième, Pierre-Jean de Layrolle, vicomte de la Rivaldie, président de la cour des comptes de Montpellier en 1784, qui hérita de la Baronnie d'Aurelle et devint à son tour Baron, seigneur haut et justicier d'Aurelle.
Ce Pierre-Jean de Layrolle se qualifie, dans un acte de 1784, de "chevalier, conseiller du Roy en ses conseils, président en la souveraine cour des comptes, aydes et finances de Montpellier, Baron d'Aurelle, Revens, Randal." Il résidait quelquefois à Marvejols, ce qui lui valait le surnom de "Monsieur d'Aurelle de Marvejouls"dans notre région.
Il déclara en 1784 les revenus et fonds nobles de la terre d'Aurelle, dont le terroir des Ginestes ne faisait plus partie. Voici ce qu'il déclara :
"Des bois, partie en taille et partie en haute futaie, servant au chauffage et aux outils aratoires de certains villages (les paysans de Moncan contestaient à Monsieur de Layrolle la propriété de ces bois devant le parlement de Toulouse) qui ne rapportait rien ; des censures portables à Saint-Geniez d'Olt qui produisait 109 setiers de seigle, 47 setiers 2 quartes d'avoine ; 70 poules ; 150 livres de fromage (à 5 sols la livre) ; 11 livres et demies de cire ; 166 livres 10 sols 90 deniers en argent ; une taille annuelle de 50 livres, 15 livres pour "droit de dépaissance, dans les communaux de ladite terre", 30 livres de droit de lods, des champarts querables, qu'on levait à raison de la huitièle gerbe, et qui produisaient, une année dans l'autre, 225 setiers de seigle, 60 setiers d'avoine et 40 setiers de blé sarrazin ; la montagne de Cazalets dont "l'herbage" était affermé 200 livres."
Le tout montait à une valeur totale de 3211 livres, 8 sols, 9 deniers dont il fallut lever 300 livres pour frais de levée des champarts et des censures.
Et nous voilà à la veille de la Révolution Française au cours de laquelle, Edouard de Layrolle, fils du dernier Baron d'Aurelle, émigra en Autriche.
Laissons donc les nobles à leur triste sort et essayons plutôt de voir rapidement quel était le lot des petites gens à la veille de ce bouleversement qui mis fin à l'existence de la Baronnie d'Aurelle, terre au passé si prestigieux.
13/LES EPIDEMIES QUI DEVASTERENT LA REGION
L'an 1000 fut marqué en Rouergue par une famine exceptionnelle, mais ce ne fut pas le seul fléau qui sévit au cours des siècles dans notre coin de France.
Ainsi plusieurs épidémies de peste, appelée ici la "mort negra", ravagèrent notre région. Je n'en citerai que deux dont celle de 1348 que l'évêque de Rodez, Vivian de Boyer décrivit en ces termes :
"les villes, les châteaux, les villages sont déserts… plusieurs maisons n'ont plus un seul habitant… les églises, les monastères sont sans ministres… personne pour les ensevelir, les cimetières publics ne peuvent suffire à contenir tous les cadavres."
Et, pendant cinq siècles, ce terrible fléau fit de nombreuses victimes. Il se déclara notamment à Marseille en 1720. La contagion ne put être évitée et la peste arriva jusqu'à Chanac en Gévaudan.
Des précautions avaient pourtant été prises ; les voyageurs devaient, en effet, être porteurs d'un passeport sanitaire prouvant qu'il n'y avait pas d'épidémie dans la ville d'où ils venaient. Ce document n'était en fait qu'un imprimé aux armes du Roi : trois fleurs de lys surmontées de la couronne, avec quelques lignes en blanc pour les mentions manuscrites, qui servait de visa à tous les postes de garde.
Ainsi à Saint-Geniez d'Olt en 1720 "conformément à l'ordonnance de l'intendant, la garde a été établie depuis le deux septembre dans toutes les avenues de la ville. Les gardes ont feu et chandelles la nuit. Ils sont chargés de vérifier les certificats de santé des voyageurs afins d'éviter la propagation de l'épidémie. On fait dire des prières et une messe en l'honneur de Saint Roch et à son autel dans la chappelle de Jouéry ; soir et matin à heures fixes, la grande cloche sonne pour servir de signal à tout le peuple pour qu'il dise à genoux un pater et un ave à même intention."
Mais la peste continue malgré tout son chemin. C'est ainsi que le 18 mai 1721 l'épidémie se propage à la Canourgue et arrive en août à Marvejols.
La Baronnie d'Aurelle, pour sa part, ne semble pas avoir été épargnée, au cours des siècles, par le terrible fléau. En effet d'après un acte de 1292, il y avait cinq hameaux, paroisse de Naves, du nom de : las Chibaldes, Cazalets, les Bouldoires, les Hermes et l'Hermitanie. Tous ont disparu, en 1846 on ne voyait déjà plus que les ruines des Hermes et la tradition orale rapportait alors que tous les habitants de ce village, à l'exception de deux avaient été emportés par la peste. Une histoire de même teneur nous apprend que la hameau des Cats, qui ne se nommait pas ainsi alors, fut lui aussi décimé par la peste. Un seul habitant survécu et quitta les lieux maudits pour s'installer 500 mètres plus haut avec ses chats, d'où le surnom du village "lous Cats" (les chats). Quand on sait les ravages que faisait "la mort negra", il n'y a rien là d'incroyable même s'il n'existe pas d'écrits à ce sujet.
De même l'ancien village de Born, dont on voyait encore les ruines au début du XXème siècle, se trouvait plus au nord, à trois cents mètres du suc ; au temps de la peste tous les habitants périrent excepté un seul qui vint s'établir à "la fontaine de Maloutio" (la fontaine de la maladie).
Mais la peste ne fut pas la seule maladie qui ravagea la Baronnie d'Aurelle. En effet le village des Crouzets, par exemple, eut sa part de malheur en 1719, ce qui provoqua un vœu en 1720 :
"L'an 1720 et le troisième jour du mois de février, furent assemblés les consuls et principaux habitants de la paroisse de Notre-Dame des Crouzets, pour délibérer des mesures qu'il fallait prendre pour arrêter le cours des maladies dont la paroisse était affligée depuis cinq ou six mois, car la dysenterie et le mal chaud avaient causé beaucoup de mortalité.
"Il fut convenu et arrêté unanimement que la paroisse faisait vœu de faire un jeûne toutes les années à perpétuité la veille de la purification de Notre-Dame, et que le jour de la Saint Blaise on ferait une procession en chantant les litanies des Saints Sacrements, qu'on irait à l'oratoire et, les litanies finies, étant de retour à l'église, on chanterait une grand messe en l'honneur de Saint Blaise et de Saint Roch à la chapelle du rosaire. Laquelle messe, je, Jean Costes, prêtre et prieur desdits Crouzets, fonde et établi sur le pré du rosaire."
Les registres indiquent, en effet, 11 décès pour 1719, c'est cette grande mortalité (est-ce la typhoïde?) qui incita les paroissiens à faire ce vœu en 1720, et non la peste qui sévit à Chanac en 1721 après celle de Marseille en 1720.
La paroisse de Naves fut, elle, ravagée par une mystérieuse maladie contagieuse, connue sous le nom de "malandre", qui emporta 30 adultes et 12 enfants au dessous de 10 ans du 3 septembre 1774 au 8 octobre 1775. Aujourd'hui, inconnue des campagnes françaises, elle n'en reste pas moins présente dans les toponymes: la Maladrerie, la Maladrie, La Maladière, lieux-dits disséminés sur tout le territoire, qui prouvent bien l'universalité de ses ravages.
On peut également noter que le 8 février 1817, lors d'une discussion sur les nouveaux cadastres et les limites de la commune d'Aurelle, il fut décidé que celles-ci seraient "fonction des lieux où l'on voit des traces de bâtiments et de Montjoyes, ou pierres très longues plantées lors du cordon sanitaire contre la peste qui affligea le Gévaudan en 1721."
Une autre épidémie mystérieuse se déclara en 1850 et sévit dans tout l'Aubrac. Les prêtres enterraient alors à la sauvette pour ne pas effrayer les populations. C'est ainsi que des cimetières furent entièrement transférés à cette époque là.
Et, plus près de nous, citons pour terminer, la terrible épidémie de typhoïde qui toucha bien des familles à Corbières, aux Escoudats, à Saint-Martin de Montbon et à Aurelle à la fin du XIXème siècle.
14/LA VIE RELIGIEUSE AVANT 1789
Cette brève étude de la vie religieuse avant 1789, va comporter deux éléments essentiels : d'une part les sources de revenus des ecclésiastiques et, d'autre part, la description de quelques antiques monuments religieux de la Baronnie d'Aurelle.
Une des principales sources où j'ai puisé la plupart des renseignements concernant la situation des ecclésiastiques doit être citée. Il s'agit de la "visite pastorale de 1739" effectuée par Monseigneur Laumière, évêque de Rodez, au cours de laquelle il rédigea un procés-verbal pour chacune des paroisses qu'il visita. Ces actes, manuscrits sont parvenus jusqu'à nous et ils méritent d'être cités en partie.
Comme nous l'avons vu, après le partage de la Baronnie d'Aurelle en 1516 entre les co-seigneurs, la part revenant aux Beaufort-Canilhac comprenait trois paroisses : celle de Naves d'Aubrac, celle de Verlac et celle de Saint-Martin de Montbon qui comprenait alors l'actuelle paroisse de Vieurals. Ces trois paroisses étant celles qui composent l'actuelle commune d'Aurelle-Verlac, c'est donc sur elles que va porter cette étude.
1/ paroisse de Naves d'Aubrac :
A l'origine Naves était un prieuré-cure, fondé en 1326 par Hugues Bonnafous, prêtre originaire de ce lieu. Par son testament, celui-ci fit des dons considérables à cette église : soit en vases sacrés, ornements et livres, soit en biens-fonds, à conditions toutefois :
1. que ce bénéfice serait occupé par un prêtre de sa famille quand il y en aurait .
2. que le curé de Saint-Geniez d'Olt en serait collateur. Mais ce dernier fut dépouillé de ce droit, car ce bénéfice était à la collation de l'évêque de Rodez.
C'est par contre à la première clause qu'il faut attribuer la succession des prieurs tous parents qui dirigèrent cette paroisse de 1650 à la fin du XIXème siècle.
Il faut également remarquer que le prieur de Naves jouissait du privilège d'installer le curé de Saint-Geniez d'Olt et vice-versa quand le cas se présentait.
En ce qui concerne les revenus du curé en 1739, voici ce qui ressort de la visite pastorale de Monseigneur Laumière :
"Le curé est seul gros décimateur. On recueille à la disme, années communes, 160 setiers de seigle, les menus grains peuvent aller à une trentaine de setiers et le carnelage à 30 agneaux et à un quintal et demi ou deux quintaux de laine. Le curé jouit, outre cela, de deux pièces de terre qui peuvent lui donner chaque année une demie charretée de seigle, quitte au travail, et de quatres prés qui peuvent rapporter aussi une douzaine de charretées de foin. Ce qui peut revenir au total, non compris les obits et le casuel, à au moins 900 livres."
Le lieu sacré de la paroisse était alors l'ancienne église Sainte-Marie de Naves, dont voici la description :
Son abside était rectangulaire, à voûte d'arête avec nervure saillante. Il y avait une petite rose à la clef de voûte, plus basse que la nef de deux mètres environ. L'arc d'ouverture de l'abside, de style byzantin de transition, retombait sur des colonnes demi-cylindriques avec chapiteaux à feuille de vigne.
La nef, également de style byzantin, était partagée en trois travées par deux arcs doubleaux expirant à la naissance de la voûte et reposant sur des culs de lampes enclavés dans une large corniche qui surmontait les murs latéraux.
Trois chapelles avaient été construites postérieurement à l'ensemble. Celle de Notre-Dame datait de 1688. A cette chapelle et au maître-autel il y avait un bas relief en bois représentant : à la première, les mystères du rosaire ; et au second, Marie couronnée par les trois personnages de la trinité.
Le portail ogival était en grès, la nef et l'abside en tuf.
Sur le devant du portail se trouvait un porche qui supportait le clocher. Celui-ci était une tour, carré oblong, construite vers le milieu du XVIIIème siècle, percée au midi et au nord de deux arcades géminées à plein-cintre. Un peu au dessous de ces arcades, sur le devant du clocher, on trouvait deux autres petites arcades à plein-cintre ; et au dessous de celles-ci, une petite niche ; alors qu'à l'est et à l'ouest on ne trouvait qu'une seule arcade.
Quant à l'actuelle église Sainte-Marie de Naves, il faut savoir que la première pierre en fut posée en mai 1882, et que la consécration de ce nouvel édifice religieux eut lieu le 26 juillet 1884.
2/ Paroisse de Verlac :
l'église Saint-Jacques de Verlac avait été donnée à l'Abbaye de la Chaise-Dieu en Auvergne. Voici ce qui en est dit dans le procès-verbal de la visite pastorale de 1739 :
"les bénédictins de la Chaise-Dieu, sont prieurs de cette paroisse, laquelle est un membre de leur prieuré de Cabrespines. Ils afferment la disme 540 livres qu'on doit leur porter à la Chaise-Dieu et cela quitte de tous les cas fortuits, et de la pension du curé qui consiste en 55 setiers de seigle, mesure de Rodez, et 100 livres d'argent. Le fermier est encore obligé de payer, outre cela, à la décharge desdits religieux, 190 livres à compte de décimes du susdit prieuré de Cabrespines. Le curé jouit d'un temporel qui consiste en un pré environ 8 charretées de foin, et les prémices peuvent lui rapporter 4 ou 5 setiers de blé."
Bien que l'église appartienne à l'Abbaye de la Chaise-Dieu, monsieur de Grimaldi, évêque de Rodez, y établit un vicariat par ordonnace du 10 juillet 1751, qui fut signifiée aux religieux de l'abbaye en question le 21 juillet de cette même année. Le traitement du vicaire, d'abord fixé à 150 livres atteint par la suite 200 livres. Bien entendu, le vicaire n'était pas, comme le curé, à la nomination du chapître de la Chaise-Dieu.
Il y avait également dans cette église de Verlac une chappelennie dite de Saint-Blaise datant du XVème siècle.
Cette église, actuellement classée monument historique, appartient au style roman. L'élégance de ses colonnettes, de leurs chapiteaux, des modillons qui soutiennent les combles, la rend vraiment remarquable.
Deux chapelles ogivales, ajoutées postérieurement, forment le transept et donnent à l'édifice la forme d'un croix latine.
Le clocher, ce carré oblong avec arcades à plein-cintre, a été construit au XVIIIème siècle, par le même maçon qui construisit ceux des églises de Naves et de Lunet.
On peut également noter que cette paroisse était membre de la confrérie de la Bonne-Mort à la fin du XIXème siècle.
3/ paroisse de Saint-Martin de Montbon :
Notons tout d'abord que prieuré et cure valaient 100 livres aux titulaires en 1515.
Voici ce que notait Mgr Laumière en 1739 en ce qui concerne cette paroisse :
3/ Il y a deux chapelles rurales, l'une au village de Vieurals, distante de l'église paroissiale de cinq quarts d'heure de chemin, où l'on dit la messe avec permission ; l'autre est au village d'Aurelle, éloigné de ce lieu d'environ une heure de chemin. On dit que c'était autrefois une annexe de cette paroisse; l'usage est d'y aller dire la messe seulement deux fois l'année, savoir le jour de Saint-Pierre et Saint-Paul et la quatrième férie des Rogations.
Celle de Vieurals est fondée. (…) Il y a dans la chappelle des Saints-Innocents du village de Vieurals, une fondation de 7 livres 10 sols faite par le sieur Alexandre, curé de Marnhac, pour faire le catéchisme dimanches et fêtes. Les paroissiens se cotisent entre eux pour faire un honoraire de 50 écus au chapellain. Ils ont déjà fait deux prés qu'ils afferment 60 livres et ils travaillent à en faire deux autres pour payer son entiers honoraire au moyen de ce revenu. Ils doivent aussi lui bâtir une maison.
Le village de Vieurals est composé de 15 familles, celui de Rieusens, qui vient à la messe à cette chapelle, en est éloigné de demi quart de lieue et est composé de 4 familles."
Je ne posséde malheureusement aucune note architecturale concernant l'église paroissiale de Saint-Martin de Montbon ou la chapelle des Saints-Innocents de Vieurals. Je peux, par contre, donner une brève description de la chapelle Saint-Pierre d'Aurelle, dont nous avons vu dans quelles conditions elle fut érigée à la fin de la guerre de cent ans.
Cette chapelle s'élève sur un tertre, au milieu d'un désert rocailleux, de difficile abord, coupé par des collines granitiques sur l'une desquelles on trouve une vaste nappe de basalte; quelques maisons groupées autour de ce monument constituent tout le village, dominé par des rochers qui forment le pic de cette colline, contre lequel était construit le château de la Baronnie.
Cette chapelle, dédiée aux Saints Pierre et Paul, mesure 14 mètres de longueur sur 4 mètres de largeur. Elle est du style byzantin de transition avec abside semi-circulaire.
La nef est partagée en trois travées par des arcs doubleaux retombant sur des colonnes demi-cylindriques avec chapiteaux sans ornements. L'arc doubleau de la troisième travée repose sur des pilastres d'une construction postérieure.
Un cordon se profile en saillie tout autour de l'édifice, à partir du chapiteau des colonnes.
Trois baies éclairent le bâtiment, elles sont encadrées, à l'extérieur, dans une arcade simulée à plein-cintre.
Deux colonnes semi-cylindriques, avec cable pour chapiteau, partagent en trois compartiments l'extérieur de l'abside, construite en grès de moyen appareil.
Une corniche supportée par des modillons unis, fait le tour des combles et de l'abside.
La nef est flanquée de cinq contreforts en moëllons épais et carrés.
La porte ogivale est ornée de deux tores formant retraite l'un sur l'autre et s'unissant à la naissance de l'ogive. Il y avait à l'origine, une figure grimaçante sur le pignon, mais elle est très abîmée.
Le clocher est en bâtière sur la jonction de la nef avec l'abside, il s'y trouvait autrefois une très belle cloche particulièrement chère aux habitants du hameau.
L'appareil de la nef en schiste avec encoignures en grès, gros sable avec pouzzolane.
A peu de distance de la porte de la chapelle, à l'intérieur, se trouvait autrefois une petite croix en grès blanc dont l'arbre cylindrique avait 55 centimètres de hauteur, le croisillon 40 et le socle 18 centimètres de diamètre. Au milieu se trouvait le Christ, et, sur le derrière, la Vierge couronnée de deux anges, à demi-corsage, tenant dans leur main une banderolle.
Notons également que la paroisse de Saint-Martin de Montbon, dont Aurelle faisait partie, fut jadis un prieuré commendataire possédé en 1772 par l'abbé Grimaldi, chanoine de Rodez et cousin germain de l'évêque du même nom.
En plus de payer leurs honoraires aux curés, ou aux vicaires, en plus de leur construire des logements, en plus de travailler des champs pour eux, il fallait aussi participer à la construction puis à l'entretien des monuments religieux. Il faut donc remarquer, pour terminer, que le seigneur n'était pas le seul à saigner les pauvres gens par l’impôt et la corvée, même si c'était alors chose courante dans toutes les paroisses.
15/VIE LOCALE AVANT 1789
Toute vie commence par la naissance, commençons donc nous aussi par jeter un rapide regard sur les coutumes qui entourent la naissance d'un enfant dans la Baronnie d'Aurelle avant 1789. Pour ce faire, nous avons la chance de disposer d'un "registre des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de Verlac" couvrant les années 1674 à 1792, qui a été déposé aux archives départementales de l'Aveyron.
En ce qui concerne le baptême d'un nouveau-né, on choisit uniquement une marraine pour une fille et uniquement un parrain pour un garçon, il y a quelques exceptions mais elles sont cependant très rares.
Si un enfant naissant a trop peu de chances de survivre, la sage-femme peut le baptiser, elle en a même le devoir. Ainsi "l'an 1785 et le huitième jour du mois d'octobre, le corps d'un enfant né hier du légitime mariage de Jean Juéry, brassier du village du Minier, paroisse de Verlac, et de Marie-Jeanne Mercadier son épouse baptisé à la maison par la sage-femme et décédé tout de suite dans cette paroisse a été inhumé."
Le prêtre, lui-aussi, se déplace pour baptiser à domicile un enfant en danger de mort. Ainsi, "l'an 1785 et le vingt troisième jour du mois de septembre, le corps de Thomas Mercadier, né du légitime mariage d'Antoine Mercadier, brassier du village de Mazes, paroisse de Verlac, et de Justine Estival son épouse, décédé hier dans cette paroisse environ une heure après que je lui ai suppléé les cérémonies du baptême et même baptisé sous condition, ayant été baptisé à la maison en danger de mort, a été inhumé par moi, curé soussigné."
Et, à la limite, n'importe qui peut baptiser un enfant en danger. Ainsi, "l'an 1785 et le seizième jour du mois de septembre, le corps d'un enfant né du légitime mariage de Jean Portalier, brassier du village de Mazes et de Catherine Vieillescazes son épouse, baptisé à la maison par un homme bien instruit et décédé environ une demi heure après son baptême, a été inhumé."
D'ailleurs étant donné le taux de mortalité infantile, à cette époque là, tous les nouveaux-nés sont baptisé le jour même de leur naissance ou, au plus tard, le lendemain s'ils sont en parfaite santé.
Le deuxième événement essentiel de la vie d'un homme est, bien sûr, le mariage. Il n'y a rien de très particulier à noter dans ce domaine si ce n'est qu'il faut quatre témoins à cette époque là.
Autre événement important dans la vie de ces gens, bien que nettement moins fréquent, le remariage des veufs qui donnait lieu à une manifestation qui peut aujourd'hui nous paraître étrange voire cruelle, si nous ne la replaçons pas dans le contexte de l'époque.
Il faut dire, tout de même, que les conditions imposées pour le mariage étaient plus rigoureuses que de nos jours, en particulier pour la consanguinité, mesure de prudence étant donné qu'on se mariait le plus souvent entre voisins. Outre les bans du mariage publiés au prône de la messe paroissiale pendant trois dimanches consécutifs pour vérifier s'il n'y avait aucun empêchement, il fallait présenter un billet de confession au prêtre.
Ainsi, on trouve dans le registre paroissial de Verlac un billet de confession accordé par Villard, jésuite de Rodez, le 13 juin 1760 à Pierre Andrieu de Soulayrac, veuf de la paroisse de Vors. Celui-ci se remaria le 26 juin de la même année avec Marie Canitrot de la paroisse de Naves.
Si Pierre Andrieu est allé se confesser à un jésuite de Rodez, c'est sans doute qu'il tenait le plus possible à éviter la publicité car, selon la coutume traditionnelle, les veufs et veuves qui se remariaient étaient passibles du charrivari. C'était un grand "chahut" organisé un soir par les gens du village, surtout les jeunes, munis de casseroles, pelles et autres instruments bruyants, et qui ne cessait que quand le ou la "coupable" avait versé une obole ou offert à boire.
Le sens de cette coutume, qui était encore en vigueur dans notre région dans la première moitié du XXème siècle, était, dans l'ancienne division sociale par catégories d'âge, de donner une compensation au groupe de jeunes à qui les vieux, plus riches, pouvaient enlever leurs meilleurs éléments.
Et nous en arrivons bien sûr après le baptême, le mariage, voire le remariage, à la dernière étape de toute vie : la mort. Pour un enterrement deux témoins suffisaient, ils habitaient généralement le même village que le mort, mais ne faisaient pas partie de sa famille.
Ainsi, "l'an 1775 et le vingt sixième jour du mois de décembre, le corps de Denis Laporte, pauvre du village de Rieusens, paroisse de Verlac, âgé d'environ 80 ans, a été inhumé par moi, vicaire soussigné, en présence de Jean-Pierre Bessière et de Pierre Mas, dudit Rieusens, qui ont déclaré ne savoir signer de ce interpellés."
Mais il y a dans ce registre de la paroisse de Verlac un certificat de décès assez surprenant qu'il me paraît intéressant de citer ne serait-ce que pour l'anecdote :
"l'an 1776 et le vingt quatrième jour du mois de novembre, le corps d'un mendiant qui se disait de Carquessonne, vendeur de cirage et d'amidon, décédé hier dans cette paroisse, âgé d'environ 80 ans, a été inhumé par moi, curé soussigné, en présence de Jean Ayral et de Jean Bessière, travailleurs dudit Verlac, qui requis de signer ont dit ne savoir." Que faisait donc là ce mendiant "qui se disait" de Carcassonne? Question insoluble.
On peut noter pour terminer, en ce qui concerne les décès, que les corps sont inhumés le jour même de la mort ou, au plus tard le lendemain.
Il faut également remarquer, en ce qui concerne le degré d'instruction, que la plupart des témoins requis de signer déclarent ne pas savoir le faire. Il y a de rares exceptions, mais parmi les hommes uniquement. Les femmes ne sont d'ailleurs presque jamais témoins sauf lors de baptême lorsqu'elle sont marraines. Mais ce manque d'instruction n'empêchait nullement ces hommes d'être fort entreprenant à l'occasion. Ainsi, Pierre Pons, de Vieillevigne, fermier qui ne savait même pas signer, afferma l'entier domaine et seigneurie du Bournhou pour 500 livres à Mr Victor de Frézal de Vabres, Marquis de Beaufort, demeurant à Toulouse, ce en 1701.
Cependant, la situation sociale de cette population n'était guère brillante. Dans ce registre paroissial de Verlac, la plupart des hommes sont qualifiés de "travailleurs" ou de "brassiers", c'est à dire de petits artisans, du village où ils habitent, quand ils ne sont pas carrément appelés "pauvres" ou "mendiants" de ce lieu.
Il existe d'ailleurs un document qui va nous permettre de mieux cerner la position sociale de ces pauvres gens habitants la terre d'Aurelle. Il s'agit d'une enquête menée par le diocèse de Rodez en 1771 et publiée par Mr Louis Lempereur, archiviste, au début du XXème siècle. Quelques unes des réponses à ce questionnaire sont particulièrement intéressantes et précises.
Nous y apprenons ainsi qu'en 1771 la paroisse de Naves se composait de neuf villages et comprenait 410 habitants au total, dont 82 à Naves même.
La paroisse de Saint-Martin de Montbon (dont Vieurals) se composait, elle, de treize villages et comprenait 335 habitants au total, dont 30 à Saint-Martin de Montbon même.
Quand à la paroisse de Verlac, elle se composait de dix villages et comprenait 356 habitants dont 77 à Verlac même. Dans cet article, plus précis que les précédents, est également indiquée la population des neuf autres villages qui composaient cette paroisse :
- Moncan : 31 habitants
- Bernier : 13 habitants
- Rieusins : 23 habitants
- Mazes : 69 habitants
- Verlaguet : 34 habitants
- Crespiac : 21 habitants
- Les Bénézèches : 16 habitants
- Le Minier : 54 habitants
- Les Fessouyres : 18 habitants
On apprend également dans ce document quelles étaient les professions exercées dans les trois paroisses :
- Paroisse de Naves :
Sur 410 habitants, il y avait 298 pauvres dont 74 invalides seulement, et 224 invalides et mendiants.
En ce qui concerne l'artisanat, il n'y avait que 5 hommes qui fabriquaient des cadix en hiver, et quelques femmes qui filaient la laine.
Il n'y avait aucun commerce sur la paroisse et "les hommes allaient chercher ailleurs à gagner leur pain", est-il dit.
- Paroisse de Saint-Martin de Montbon :
Sur 305 habitants, il y avait 45 pauvres et 14 mendiants de profession.
Dans le domaine artisanal, il n'y avait que 3 ou 4 tisserand et des femmes qui tissaient la laine.
Aucun commerce ici non plus.
- Paroisse de Verlac :
Sur 356 habitants, il y avait 106 pauvres dont 40 (les vieux, les infirmes et les enfants) avaient besoin d'être entièrement secourus, les 66 autres pouvant travailler.
Il n'y avait pas de mendiants de profession est-il dit, ce qui est démenti par le registre paroissial précédemment cité.
En ce qui concerne l'artisanat, il y avait encore un foulon, un tailleur et deux couvreurs qui étaient les plus pauvres de la paroisse. La filature de la laine était introduite dans la paroisse l'hiver.
Il n'y avait pas de commerce là encore.
Il n'y avait sur l'ensemble des trois paroisses en 1771, aucun hôpital, aucun fonds destinés au bouillon des pauvres, sauf 7 setiers de seigle pour le soulagement des pauvres dans la paroisse de Verlac, aucun maître ni maîtresse d'école et aucune sage-femme.
En ce qui concerne les cultures et l'élevage, les réponses au questionnaire sont, là encore assez précises :
- Paroisse de Naves :
Les principaux grains qu'on cueillait étaient du blé seigle, petite avoine et blé sarrazin sans millet noir.
Il n'y avait pas de froment.
Il y avait des pâturages pour l'entretien de 1111 bêtes à laine et 78 bêtes à cornes, dont 6 paires de bœufs employés au labour.
La récolte d'une année commune était loin d'être suffisante pour nourrir les paroissiens d'une année à l'autre.
En cas d'insuffisance de la récolte dans la paroisse, les autres ressources étaient "d'aller chercher en Gévaudan où à la pierre-foiral de Saint-Geniez d'Olt, quand il y en arrivait d'étranger."
- Paroisse de Saint-Martin de Montbon :
Les principaux grains qu'on cueillait dans la paroisse étaient du seigle. On y cueillait encore quelque peu de froment, d'avoine, d'orge, de blé sarrazin, de pois.
Il y avait beaucoup de pâturages en certains endroits de la paroisse et assez de bestiaux. Il restait très peu de terres en friche.
Il y avait 27 paires de bœufs employés au labour.
La récolte d'une années commune suffisait, est-il dit, pour nourrir les paroissiens d'une moisson à l'autre pourvu que les grains que l'on cueillait dans la paroisse y restent. Lorsque la récolte était insuffisante on avait recours à Saint-Geniez d'Olt.
- Paroisse de Verlac :
On cueillait ici du seigle d'hiver et de mars, et fort peu d'avoine et de blé noir.
Il y avait beaucoup de pâturages, mais le malheur de cette paroisse était que la misère leur ait fait vendre à leurs voisins les meilleurs fonds : les paroisses voisines prenaient de Verlac plus de 400 charretées de foin sans parler des regains qu'ils fauchaient ou faisaient manger.
Les pâturages des bêtes à laine avaient subit le même sort, de sorte qu'on voyait dans bien des pâturages des troupeaux étrangers.
Il n'y avait pas de terres en friche.
Le haut de la paroisse était composé de bois dans la montagne, d'où il n'y avait aucune espérance de tirer récolte, et dans le bas et le midi on ne trouvait que "des précipices affreux, des rochers escarpés" où de temps en temps des bestiaux de toutes espèces se tuaient. Les gens étaient donc "obligés d'ensemencer leurs grains en partie avec la pioche, de porter les fumiers sur la tête par les champs, d'en sortir de même les gerbes, les foins, de porter la fougère ou des genêts pour le brûler dans les champs, les bœufs ne pouvant aller dans ces précipices."
Il y avait 18 paires de bœufs employés au labour.
La disme et les droits seigneuriaux payés, le blé d'une année commune qui restait, n'était pas suffisant pour nourrir les paroissiens d'une moisson à l'autre.
Voici la solution qui était proposée pour parer à cette misère : "le remède à cette insuffisance serait que le blé de la dîme et des seigneurs ne sortit pas de la paroisse mais s'y vendit. Cependant comme les fermiers sont des étrangers, ils emportent le blé. Il serait digne du zèle d'une personne charitable de faire bailler à ferme la dîme et les seigneuries aux paroissiens même de Verlac, et il y en a en état de faire les levées et de payer ; ceux là enfermeraient le blé dans leurs greniers et le bailleraient aux paroissiens quand ils en auraient besoin."
Voilà dans quel monde allait arriver la révolution de 1789 : un monde de misère en ce qui concerne la Baronnie d'Aurelle.
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DEUXIEME PARTIE : Liberté, Egalité, Propriété
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16/REVOLUTIONS DE 1789 – 1792 : BOULEVERSEMENT POLITIQUE ADMINISTRATIF ET RELIGIEUX
Les causes de la révolution de 1789 furent multiples. Les principales furent d'abord la forme du gouvernement : la royauté absolue, les abus dans les dépenses et l'établissement d'impôts qui accablaient le peuple puisque les notables et le clergé échappaient en grande partie à la taille royale, la gabelle, la dîme, aux redevances seigneuriales, aux banalités (four, moulin, pressoir, etc…). De plus, il n'y avait aucune liberté individuelle, ni liberté religieuse, ni liberté d'expression, ni liberté politique. Autant de choses qui provoquèrent la convocation des Etats-Géneraux, prologue à la Révolution, événement qui jeta la Nation dans le chaos et les passions
.
L'objet de ce chapître n'est certes pas de vous relater, une fois de plus, la prise de la Bastille ou la révolte du pain, mais plutôt d'essayer de voir quelles furent les plus importantes répercussions de cette grande et longue secousse politique dans nos montagnes.
Tout commença le 2 août 1789, lorsqu'eut lieu l'alarme générale, alarme qui laissa une telle impression que 1789 fut appelée dans nos contrées, "l'onnado de la pouo" (l'année de la peur). Le bruit courut que des bandes de brigands, chômeurs affamés et nombreux mendiants, arrivaient de partout "animés des plus sinistres projets, et qu'il était urgent de préparer la résistance." Les paysans effrayés par de telles rumeurs, s'armèrent pour se défendre et la révolution agraire s'accéléra dès lors.
Bientôt l'Assemblée Nationale, qui s'était proclamée Assemblée Constituante le 9 juillet 1789, commença à prendre des décisions administratives concernant l'ensemble de l'Etat. Ainsi changea-t-on, au cours des années qui suivirent, les noms de paroisses, de provinces, et exigea-t-on bientôt que les ecclésiastiques prêtent serment de fidélité à la nation, à la loi et au Roi, première mesure suivie ensuite d'une terreur religieuse qui prit la forme d'une déchristianisation.
Les paroisses furent donc conservées sous le nom de "communauté de campagne". Quant aux terres qui dépendaient des nobles, il fut décidé, le 11 novembre 1789 que "toutes les municipalités du royaume étant de même nature et sur la même lignée dans l'ordre de la Constitution, porteraient désormais le titre commun de Municipalité". Les Assemblées Municipales étaient formées de conseillers auxquels on adjoignait des notables quand elles se réunissaient en Conseil-Général.
Par décret du 15 janvier 1790, le territoire français fut divisé en 83 départements: celui de l'Aveyron comprenait exactement l'ancienne province du Rouergue, partagée en 9 districts et le discrict en 9 cantons. Dans les 81 cantons aveyronnais, il y avait 684 communes correspondant sensiblement au nombre des paroisses.
Les paroisses de Lunet et des Crouzets firent d'abord partie de la commune d'Aurelle, comme sous l'ancien régime, le chef-lieu en était Lunet. C'est ainsi que le 29 mars 1791 "la municipalité de la paroisse des Crouzets, membre d'Aurelle" se réunit sous la présidence de Monsieur Alazard, maire, Jean Auguy, officier municipal, assistés de Joseph Villaret et Antoine Privat, notables, de Antoine Gral et Raphaël Bonald, adjoints, pour faire la division de la commune en quatre sections :
1/ celle du Bru
2/ celle du Vialaret
3/ celles de Crouzets
4/ celle de Cham Lata (Camblatte)
en application du décret de l'assemblée constituante du 23 novembre 1790.
Le 25 novembre 1792, dans l'église paroissiale de Saint-Geniez d'Olt, les électeurs prièrent le vicaire de venir chanter "Veni creator". Lors de cette assemblée eut lieu l'élection des curé affectés aux cures vacantes. C'est à cette occasion que Ruols, d'Espalion, demeurant alors en Haute-Garonne, obtint 42 voix et devint le nouveau curé de Lunet, dans la commune d'Aurelle.
Révolution rimait alors avec oppression, mais la réaction violente ne se fit pas attendre longtemps. Les causes des différentes tentatives de contre-révolution peuvent se résumer en une date : 1792. Cette année là fut avant tout, pour les royalistes, la mort tragique de Louis XVI, la levée de 300 000 hommes décrétée par la Convention et le serment de fidélité imposé aux prêtres. Autant de mesures qui irritèrent les esprits des conservateurs qui, plutôt que de partir loin de leurs villages pour défendre une République détestée, préférèrent prendre les armes pour la combattre.
17/LES PRETRES REFRACTAIRES
Certains prêtres, dits réfractaires, refusèrent de prêter serment et s'attirèrent ainsi les foudres de la loi et de la police. Cette persécution inexorable dura jusqu'au consulat, ce qui n'empêcha pas les ecclésiastiques de braver l'autorité en disant la messe lors de rassemblements nocturnes dans les bois d'Aubrac, malgré l'interdiction formelle formulée à leur encontre. Ce fut le cas de l'abbé Alazard, alors curé de Vieurals.
En ce qui concerne Aurelle, on peut également parler du "Ranc del Salt" (la falaise du saut) ainsi baptisé, rapporte la tradition orale, parce qu'une prêtre fut précipité du haut de cette masse rocheuse durant les troubles révolutionnaires. S'agissait-il d'un prêtre réfractaire ou, au contraire, d'une prêtre jureur? L'histoire ne le dit pas mais on peut supposer, sans grands risques d'erreur, que la victime en question était plutôt un prêtre jureur étant donné que les habitants du village d'Aurelle étaient alors de fervents monarchistes effrayés par la Révolution.
A Verlac, réfractaire de la première heure, le curé Desmazes fomenta des troubles qui aboutirent à l'assassinat d'un patriote, il ne craignait pas de dire la messe de jour, deux pistolets à la ceinture, il parcourait les paroisses environnantes incitant à la révolte. Il était originaire de Surguière, hameau qui appartient à la paroisse de Gaillac d'Aveyron et à la commune de Buzeins. Il avait un frère, prêtre comme lui et comme lui fugitif depuis que s'était déchaîné le régime de la Terreur. Obligés de quitter l'un et l'autre les paroisses qu'ils desservaient, ils trouvèrent asile durant plusieurs semaines, tantôt à Buzeins chez la famille Truel, tantôt à Surguière même, chez leurs parents qui leur avaient ménagé une cachette sûre.
Un jour à Buzeins, ils durent leur salut à la présence d'esprit de la dame Truel.
Celle-ci rencontrant, un matin, sur sa porte les municipaux qui venaient pratiquer des recherches, sous prétexte d'inventaire de subsistance :
" Ah ! citoyens, leur dit-elle, ma sœur vient d'emporter la clé de la farinière, veuillez commencer par le voisin, je vais la chercher !"
Ce moment de répit suffit aux deux abbés pour se sauver par une porte dérobée.
Vers le milieu de décembre 1793, nous retrouvons Antoine Desmazes, vicaire de Verlac, descendant un soir, à l'entrée de la nuit, du hameau de Surguières vers Gaillac et traversant bientôt une passerelle jetée sur l'Aveyron pour les communications de ce dernier village avec la rive gauche.
Gaillac était occupé à cette date par un détachement de soldats appartenant au bataillon de Montblanc et qui avaient pour mission de surveiller tous les environs, spécialement de capturer les prêtres insermentés.
L'abbé Desmazes n'ignorait pas ce détail, aussi prit-il toutes les précautions possibles pour n'être pas aperçu, s'arrêtant presque à chaque pas, écoutant attentivement si nul indice ne révélait un danger. Il put passer la rivière sans encombres et gagner un village voisin, Saint Amans de Varès, croit-on, pour porter à un malade les secours de son ministère.
Cependant, malgré toute la prudence qu'il avait déployé, malgré les ténèbres de la nuit auxquelles s'ajoutait une brume épaisse, des yeux ennemis l'avaient reconnu. Un paysan de Gaillac, séduit par la prime de cent francs promise à quiconque livrait un prêtre au bourreau, s'empressa d'aller prévenir le chef du détachement et de lui dire : "je sais qu'il y a un malade ici tout près ; l'abbé Desmazes est très probablement allé le voir, il ne tardera pas beaucoup à revenir, surveillez…"
L'avertissement ne fut pas perdu. Un peu plus tard, une escouade de volontaires alla occuper les abords de la passerelle et s'y tint en embuscade. Avant minuit, vers le bout opposé de l'étroit ponceau, les soldats distinguèrent une ombre qui avançait doucement et sans bruit, c'était l'abbé Desmazes qui s'y engageait avec les plus grandes précautions.
A l'instant où il touchait la rive droite, dix mains s'abattirent à la fois sur lui, lui rendant toute résistance impossible. Il fut conduit au poste militaire, où on le retint jusqu'au jour. Le lendemain on le conduisit, enchaîné comme le pire des malfaiteurs au chef lieu du département.
Dès son arrivée, les deux commissaires civils Cléophas Périé et Lagarde, firent subir un interrogatoire au prisonnier. Ils en dressèrent le procès-verbal qu'ils transmirent immédiatement à l'accusateur public Arsaud avec plusieurs pièces à convictions :
1/ une chanson contre-révolutionnaire
2/ deux sacrés-chœurs
3/ des fragments d'hosties
4/ un rabat
5/ une montre en argent avec une déclaration du porteur attribuant la propriété de cette montre à un dénommé Niel.
Le procès-verbal se termine par la phrase suivante : "ce prêtre rebelle ayant été arrêté après l'expiration de la décade fixée par le décret concernant les prêtres réfractaires, il est incontestable que cette tête coupable doit tomber sous le glaive de la loi, et la commission le livre à la justice du tribunal criminel qui s'empressera de le condamner au supplice qu'il a si bien mérité."
L'abbé Desmazes fut finalement condamné à mort par l'accusateur public et les juges.
Dans la paroisse de Naves, l'abbé Jacques Gervais Roumiguier secondait les efforts de son digne curé, l'abbé Pierre Niel, lorsque les agents de la Révolution firent fermer les églises.
Malgré les dangers qu'il courait, l'abbé Roumiguier continua de célébrer les Saints-Mystères jusqu'au mois de janvier 1793. Mais, la persécution devenant alors plus vive, le vieux curé, plein de sollicitude pour son jeune vicaire, lui conseilla de s'abriter de la tempête et de se retirer dans la famille. L'abbé Roumiguier partit, pas pour longtemps…
Ayant appris, vers la fin février 1793, que le vénérable M. Niel, gravement malade, ne pouvait plus aller au secours de ses paroissiens, il revint à Naves et visita pendant la nuit les fidèles habitants de la paroisse, afin de les préparer au devoir pascal.
Cependant l'état du curé s'aggravait de jour en jour et ce pasteur, désirant communier en Viatique, son vicaire résolut de célébrer la messe dans sa chambre, pendant la nuit du samedi au dimanche de la passion. Tout ce qu'on put lui dire sur le danger qu'il courait, ne parvint pas à le détourner de remplir ce pieux devoir.
A peine le jeune prêtre avait-il récité l'offertoire que le presbytère fut cerné par une cinquantaine de gardes nationaux, envoyés par la municipalité de Saint-Geniez d'Olt.
Lorsqu'ils eurent pénétré dans la chambre transformée en sanctuaire, le chef de la garde, par une sorte de pudeur, rare à cette époque, ne voulut pas qu'on interrompit le célébrant, et remplit lui-même les fonctions de clerc jusquà la fin de la messe. Mais un de ses sbires crut devoir se livrer à une manifestation aussi vaine qu'inintelligente et brutale en plaçant un pistolet sur chaque côté de l'autel.
La messe terminée, les soldats, après avoir dévasté la maison, se retirèrent, emmenant enchaîné comme une malfaiteur l'abbé Roumiguier, et emportant pour preuve de son flagrant délit le calice et les ornements dont ils l'avaient vu se servir. Ce jeune confesseur de la foi, à peine âgé de 29 ans, fut trainé à Rodez et enfermé le 26 mars 1793 au couvent de l'annonciade transformé en prison.
Un an après, le 6 mars 1794, il fit partie de ces nombreux convois de prêtres qu'on dirigea vers Bordeaux. Comme beaucoup de ses infortunés confrères, il mourut à l'hôpital Saint-André de cette ville, le 25 février 1795, des privations et des mauvais traitements qu'on lui avait fait subir. Il était originaire de Saint Grégoire, commune de Lavernhe, canton de Séverac le Château.
18/CONTRE-REVOLUTION ET REPRESSION
Dans notre région, la plus marquante des ripostes royaliste fut sans aucun doute celle du rassemblement surnommé un peu pompeusement "l'Armée de Charrier", recrutée en Lozère (Nasbinals, Rieutort…) et dans l'Aveyron (Mandailles, Castelnau, le Cambon, St Chély, Prades, Aurelle, St Geniez, etc…)
Marc-Antoine Charrier, notaire Royal, était né à Nasbinals en 1755. Membre de la Constituante, il refusa de voter la constitution civile du clergé, rentra à Nasbinals et rassembla dans les montagnes de l'Aubrac un corps de partisans qui devait, théoriquement, se porter au secours des Chouans. Ils attendirent un général, annoncé à Lyon, qui devait prendre la tête de l'insurrection, mais un contrordre ayant été envoyé celui-ci ne vint pas. Cela n'arrêta pas, malgré tout, l'élan des troupes assemblées : il fallait un chef ? Soit ! Le notaire nasbinalais, député aux Etats-Généraux du Tiers-Etat, fut donc proclamé commandant en chef de cette légion, ses prises de position dans les débats politiques ayant démontré à tous sa fidélité au Roi.
Ce fut une folle équipée, folle en ce sens qu'elle avait germé trop vite dans une sorte d'enthousiasme, de délire, mais sans préparation suffisante, sans méthode et surtout sans plan précis, autant de lacunes qui la vouaient à un échec quasi-total, mis à part ses premiers succès qui ne furent dû qu'à l'effet de surprise dont furent victimes les troupes révolutionnaires.
C'est ainsi qu'en mai 1793, eut lieu un rassemblement à Nasbinals et, en quelques jours, la cohorte, grossie continuellement par de nouvelles recrues et notamment de déserteurs de l'armée républicaine, enleva Rieutort le 25 mai, Marvejols le lendemain et Mende le 27 mai.
Les insurgés n'étaient alors que trois ou quatre mille seulement, mais la rumeur publique les évaluaient à douze mille et parfois même davantage. Dans une lettre du 29 mai envoyée aux administrateurs du Cantal par les commissaires, il fut avancé le chiffre de huit mille hommes.
Mieux encore, le fils Aldias écrivit de Lassout à son père, procureur du Syndic, et fit porter par exprès la lettre dans laquelle il lui signalait que trois personnes étaient venues à une heure du matin annoncer qu'une réquisition avait eu lieu "à Mandailles pour se rendre du côté d'Aubrac et de Saint-Chély où il devait y avoir un rassemblement de cinquante mille hommes." Les autorités, émues par de telles nouvelles qui affluaient, mobilisèrent toutes les légions de l'Aveyron et des départements voisins contre les insurgés.
Charrier l'apprenant redouta d'être bloqué dans Mende, il préféra évacuer la ville et se diriger vers Chanac où eut lieu un violent combat. Les royalistes avaient emmené avec eux deux canons de bois cerclés de fer, mais c'était des armes dérisoires face à l'artillerie républicaine. Cependant, certains contre-révolutionnaires, excellents tireurs, parvinrent à se glisser à petite portée des pièces ennemies et tuèrent les artilleurs. A l'issue de cette terrible bataille, il y eut 120 morts du côté des républicains, contre 45 seulement du côté des chouans. Dès lors, Charrier aurait sûrement pu exploiter sa demi victoire à son avantage, mais il n'avait rien d'un grand stratège et il prit peur. C'est ainsi qu'après avoir enterré leurs morts, ses bandes se dispersèrent dans les montagnes et les forêts avoisinantes.
Le 4 juin 1793, le lieutenant Montmouton et ses gendarmes découvrirent la retraite de Charrier qui s'était réfugié dans une sorte de caveau creusé dans une grange de sa ferme de Prégrand. Ils l'arrêtèrent avec son épouse. Celle-ci fut traitée avec humanité et ne fut pas poursuivie. Il n'en fut pas de même pour l'infortuné chef royaliste qui, après une détention de 40 jours dans la tour de l'évêché et un jugement impitoyable, pour l'exemple, marcha courageusement vers l'échafaud, revêtu de son uniforme, le 17 juillet 1793 à Rodez. Il n'avait que 38 ans.
L'autre chef royaliste de notre région fut Plombat, le contre-révolutionnaire de Saint-Geniez d'Olt, qui s'opposa chaque fois qu'il le put à Chabot le républicain célèbre qui importa la Révolution dans notre canton. Louis Fontanié dans son ouvrage sur "l'époque révolutionnaire à Saint-Geniez d'Olt" et sur Plombat surtout, nous dit ceci : "il emploie tous ses talents et toute son activité à recruter des adhérents au parti royaliste et à la contre-révolution. La méthode employée par Charrier, en 1793, parmi les habitants de la montagne d'Aubrac et dans la Lozère, fut d'abord suivie par Plombat, parmi les ouvriers de Saint-Geniez d'Olt, mais avec moins de succés."
Et, en effet, Plombat fit de nombreuses tentatives de soulèvements durant l'année 1791, mais elles n'aboutirent pas à grand chose. Ce monarchiste convaincu ne s'en trouvait pas moins à Mende avec le nasbinalais lors du rassemblement armé qui y eut lieu. De même, on le vit au mois d'octobre 1792 à St Chély d'Aubrac avec Charrier. Il ne connut pourtant jamais le succès de son homologue lozérien, à Saint-Geniez d'Olt et dut donc rejoindre les troupes du nasbinalais. Il participa notamment au combat de Chanac le 29 mai 1793. A partir de ce moment là on perd sa trace. Etait-il mort, en fuite ? On ne le sut jamais.
Toujours est-il qu'après les diverses tentatives contre-révolutionnaires de ces deux portes drapeaux du royalisme, les autorités, inquiètes, organisèrent une répression féroce dans la région. Ce fut la porte ouverte à bien des exactions. Des commissaires furent nommés pour désarmer les suspects et la Garde Nationale dut prêter main-forte. Les opérations commencèrent fin mai 1793 dans la région de Saint-Geniez d'Olt. Des violences de toute sorte s'exercèrent sontre une centaine de personnes, parmi elles se trouvaient François Bessière et Jean Ayral de Verlac, ils furent brutalisés à coup de poings et de bâtons. Bach de Moncan fut, lui, conduit au District et mis au cachot avec des menottes et des fers aux pieds. Au couvent de Lunet, la sœur Madeleine Méric, 55 ans, refusa de répondre à une question d'un républicain lui demandant qui était sa maîtresse. Ce dernier, furieux, déclara alors que les sœurs étaient des coquines, des fripones, qu'elles avaient spolié l'Eglise et qu'elles n'étaient pas dignes de posséder tous les tableaux qui se trouvaient là. Il descendit ensuite un crucifix en bois et le jeta sur le plancher en s'exclamant "voilà un joli merle !" il menaça, enfin, la sœur de lui couper la tête, lui leva les jupes et lui donna quelques coups " de telle manière que depuis ce temps là, elle se ressentit plus d'une douleur qu'elle avait à la cuisse et fut obligée, le lendemain de prendre un bâton pour se soutenir…" Il l'accusa encore de soutenir les émigrés, les prêtres pour dire la messe en cachette et il agit même à l'encontre d'Anne Mercadier, une autre sœur, agée, elle, de 47 ans.
Apprenant quelle était la manière d'opérer de leurs commissaires et quels abus ils multipliaient, les autorités républicaines ordonnèrent une enquête qui conduisit la plupart des exacteurs en prison, en juillet 1793. Certains d'entre eux finirent sur l'échafaud, d'autres libérés grâce à leurs relations furent victimes des pauvres gens qu'ils avaient terrorisés, d'autres encore, surent se faire oublier, ce qui les sauva.
Voici le portrait peu flatteur mais exact de l'un de ces républicains sans scrupules, il s'agit de Guillaume Serre, l'homme de confiance de Chabot :
"Bel exemple de patriote, concussionnaire, brutal, sorte de demi sauvage cassant portes et fenêtres, battant ses victimes, fouetteur de femmes, sale…"
Comment s'étonner dès lors que la République ait rencontré des opposants dans notre région, représentée comme elle l'était par de tels hommes de main ?…
Le mouvement contre-révolutionnaire ne disparut pas, avec la mort de Charrier son principal chef local. De nombreuses bandes de brigands sillonnèrent les montagnes, elles étaient composées de débris de l'armée de Charrier : les rescapés de la première et éphémère épopée se réunirent à nouveau sous les ordres des principaux lieutenants du nasbinalais et ils entreprirent une guerre de guérilla dès le 2 fructidor de l'an II (19 août 1794). Cette résistance se prolongea jusqu'à l'avènement de Bonaparte, c'est à dire plus de sept ans.
Ils se voulaient chouans mais leurs rangs ne comptaient que peu de royalistes convaincus, justiciers improvisés sous couleur de royalisme ils donnaient plutôt l'image de bandes de pillards, de tueurs, eux aussi sans scrupules.
Au cours de cette période (1791-1801) ce furent de continuelles randonnées de cavalerie, de fantassins, de gendarmes et de commissaires, chargés de mettre hors d'état de nuire, voire de décimer les fauteurs de troubles "ennemis de la République".
Exactions républicaines ou exactions royalistes ? Il n'était sûrement pas facile pour les hommes dignes de ce nom de choisir leur camp…
19/LE MEURTRE DE JACQUES GALDEMAR
ANCIEN NOTAIRE DE LA BARONNIE D'AURELLE
SECRETAIRE-GREFFIER DE LA COMMUNAUTE D'AURELLE
En ce qui concerne Aurelle, certains de ces héritiers spirituels de Charrier se rendirent coupables d'une affaire qui indigna la population. Ils s'en prirent à Jacques Galdemar, l'ancien notaire de la Baronnie d'Aurelle devenu par la suite secrétaire-greffier de la communauté du même nom. Son cadavre fut retrouvé près du hameau de Combebillères le 19 prairial an IV (le 7 juin 1796) tué de trois coups de fusils, dont deux à un bras et un autre sur le côté lui ayant donné le coup de grâce.
Claude Galdemar, officier de santé à St Chély, fut alors appelé pour constater le décès de son cousin, avec Dezarn du Grès, agent municipal de cette commune.
Comme dans la plupart des cas d'assassinats, les circonstances de celui-ci furent d'abord assez étranges. Il manquait à la victime les souliers, les bas, son mouchoir de poche, son chapeau et son couteau. On lui avait aussi volé l'argent qu'il pouvait avoir sur lui, puisqu'il ne lui restait pas un sou alors qu'il venait de passer un acte et portait au moins 3000 livres, selon la tradition. Les témoins n'avaient pas reconnu les assaillants qui étaient probablement masqués.
La stupeur se répandit dans toute la contrée où la victime était honorablement connue. L'émotion fut grande tant dans la commune de Prades que dans celle d'Aurelle. Dans un rapport de l'époque, le disparu est qualifié de "l'un des plus honnêtes citoyens de la contrée." Cette exécution sommaire a "révolté tous les habitants", est-il dit. Mais s'agissait-il seulement d'un meurtre crapuleux, dont le seul mobile était de dévaliser le malheureux fonctionnaire, ou plutôt d'un meurtre politique ? Il était alors difficile de le déterminer et l'affaire aurait pu en rester là si le fils de Jacques Galdemar n'avait pas eu de très graves soupçons sur l'identité des assassins. C'est ainsi que le 7 thermidor de la même année (le 25 juillet 1796), Joseph Galdemar se trouva face à François Gral dit Piquet, l'un des assaillants présumé de son père. Pour venger sa mort, il n'hésita pas à tirer sur l'homme, qui réussit cependant à prendre la fuite.
Antoine Rouquayrol, commissaire du directoire exécutif près l'administration municipale du canton, commença à redouter de nouvelles représailles, c'est pourquoi il partit l'après-midi même vers le Vialaret, où résidait la famille Galdemar, escorté de 18 hommes armés.
Chez l'aubergiste Laguiole à Lunet, ils virent une femme qui prenait du vin dans un petit baril destiné soi disant à des moissonneurs, alors qu'il n'était pas d'usage d'en donner aux ouvriers à cette époque là. Ils arrêtèrent la femme.
Peu après ils entrèrent chez Pichautel qui buvait avec Viala des Escures, on les arrêta également.
La troupe arriva enfin au Vialaret, vers onze heure du soir, là les enquêteurs apprirent que le brigand, blessé par le fils de Jacques Galdemar, s'était réfugié à la Vayssière et, en effet, ils le découvrirent dans ce village, caché dans l'écurie d'un certain Serre.
Comme les républicains l'avaient appris auparavant, il n'était que légèrement blessé. Le groupe le laissa sous bonne garde et repartit.
A Lunet, ils arrêtèrent encore un brigand évadé de prison, caché dans un galetas, et l'attachèrent.
A la Bastide qu'ils cernèrent, ils ne firent aucune capture : le jour s'était levé depuis longtemps et les habitants étaient déjà partis travailler dans les champs ou ailleurs.
La petite troupe décida alors de reprendre le chemin de Saint-Geniez d'Olt en emmenant les divers prisonniers pour les interroger. Cet interrogatoire, très long et très serré, fournit beaucoup de renseignements dont la police dut tirer le plus grand parti.
Le dénommé Piquet reconnu s'appeler en réalité François Gral, avoir 21 ans et être vagabond. Il affirma ne pas connaître celui qui lui avait tiré dessus l'atteignant à la tête chez "Ramelou" à la Vayssière. La tradition orale rapporte que Piquet étant entré à l'auberge Ramel où se trouvait alors Galdemar fils, celui-ci se serait alors écrié : "Voilà l'un des assassins de mon père ! " et décrochant un fusil pendu au manteau de la cheminée, il fit feu. Piquet reconnu également avoir été quelques temps auparavant domestique chez un certain Grail qu'il avait quitté pendant la semaine sainte pour partir avec quatre brigands. Il avoua aussi des pillages nombreux.
En ce qui concerne l'affaire Galdemar, il indiqua le nom de ses complices et admis enfin qu'il était parmi ceux qui avaient tiré sur le secrétaire-greffier de la communauté d'Aurelle "qu'il y avait Trapet et Jany de Saint-Geniez d'Olt, Fonté de Prades et Noyer, dit Mestret de Castelnau, que Mestret lui tira deux coups de fusil et Trapet un, mais qu'il garda lui même son fusil chargé."
Dès lors les coupables étaient identifiés, mais restait à découvrir les mobiles du crime. Piquet déclara, à ce sujet que le complot avait été ourdi "parce que Jacques Galdemar avait acheté un Domaine National alors qu'il les dénonçait."
On lui demanda ensuite s'il n'avait pas fouillé la victime pour avoir son argent. A cela il répondit que "les autres voulaient bien qu'ils le fouille, mais que lorsqu'il avait levé la tête et qu'il s'était aperçu de la grande quantité de sang que vomissait Galdemar, il s'était retiré, disant aux autres de le fouiller, que pour sa part, il ne voulait pas le faire, attendu qu'il n'était pas tout à fait mort et qu'il lui inspirait de la frayeur."
Piquet expliqua aussi qu'après cet attentat, ses acolytes s'étaient tout d'abord retirés dans les bois des Fouilloux, puis séparés. Il avoua cependant avoir revu ensuite ses complices dans un petit bois près du Puech de Barry. Ils s'étaient alors réfugiés dans une grotte sous Vieurals où ils se ravitaillaient. Il ajouta même qu'ils étaient prévenus des mouvements de la troupe par les enfants du village.
On interrogea ensuite Guillaumet Viala des Escures, âgé de 30 ans, évadé des prisons du Cayla alors qu'on le conduisait à Toulon en vertu d'un jugement de 1791 qui le condamnaient à 5 ans de fers.
Vint ensuite le tour de Pichoutel, 50 ans, du Four des Mas, puis de Périé, 30 ans de Lunet, évadé des prisons de Rodez avec 36 autres détenus qui avaient percé le mur.
Piquet fut à nouveau interrogé sur l'affaire Galdemar. Il avoua alors que le complot prévoyait en fait de massacrer toute la famille Galdemar, d'égorger ou d'empoisonner tous ses bestiaux et d'incendier leur maison et leur grange. Le plan avait été tramé dans la basse-cour de Bach dit Ramel, à Born, et il avait été décidé de faire appel à la bande de Mercié : "la famille Galdemar étant la seule à leur faire la guerre". Piquet en avait été informé par Mestret, Fonté, Pons, Mathat, Trapet, etc…
Les autorités redoublèrent de zèle et de sévérité en connaissance de l'abominable projet et surtout en égard à l'indignation publique.
C'est ainsi que le 9 thermidor an IV (27 juillet 1796), un détachement du deuxième bataillon de la 29ème demi-brigade d'infanterie légère, commandée par la lieutenant Amerdheil, emmena les trois brigands vers Rodez. "Au bois de Galinière, Piquet voulant user de ruse pour s'echapper, demanda à s'arrêter pour ses besoins. Cela lui fut accordé et le détachement le vit tout à coup s'enfuir. Lui ayant crié de s'arrêter en vain, les soldats lui décochèrent plusieurs coups de fusils qui le tuèrent." Le général Bonnet en informa le département en précisant que les deux autres prisonniers étaient, eux, arrivés à bon port à la prison des capucins.
Quant à Trapet, l'un des assassins de Jacques Galdemar, ayant tiré un coup de fusil, il fut mortellement blessé à Caplong, près de Mandailles, par la Garde-Nationale de Saint-Geniez d'Olt. On lui permit de se confesser à l'abbé Pélissier, appelé sur sa demande et il mourut sur une charrette pendant le trajet qui aurait du le conduire à l'échafaud, le 17 décembre 1796.
Mestret, le second homme à avoir tiré sur le secrétaire-greffier de la communauté d'Aurelle, périt, lui, dans une tentative d'évasion qu'il avait provoquée aux prisons de Rodez, le 4 thermidor an V (le 22 juillet 1797), après une bagarre sanglante avec la troupe appelée d'urgence.
Ainsi donc les deux assassins étaient morts, accompagnant au-delà de la vie leur ami royaliste Piquet, le seul des trois qui à ses dires ait été innocent dans cette lamentable histoire.
On racontait à l'époque que sa mère était très fière de lui, qu'elle le trouvait vraiment admirable dans ses prouesses de chouan et qu'elle déclarait à qui voulait bien l'écouter "troubas pas que l'efon es un boun houme desempiei qu'es din la componio de Jesus ?" (ne trouvez-vous pas que le fils est un vaillant depuis qu'il est dans la compagnie de Jésus ?)
Peut-être était-ce vrai, mais cela n'empêcha pas le jeune homme de mourir tragiquement alors qu'il avait seulement 21 ans.
20/CONSTITUTION DE LA PAROISSE DE VIEURALS (1803)
ET EDIFICATION DE LA NOUVELLE EGLISE (1827)
Comme nous l'avons vu précédemment, le village de Vieurals fit partie durant des siècles de la paroisse de Saint-Martin de Montbon, ce qui donna d'ailleurs lieu à un vif démêlé avec deux des curés de Sainte-Eulalie d'Olt.
En effet, Antoine Colrat, prieur-curé de Sainte-Eulalie en 1540, et Jean Bès, prieur-curé de ce même lieu en 1567, s'en prirent au curé de Saint-Martin de Montbon, Messine d'Ampare, au sujet de certaines rentes qu'ils voulaient percevoir sur quelques terres de Vieurals. Les ecclésiastiques "Encoulats" justifièrent leur requête en affirmant que "de temps immémorial ces rentes avaient appartenu au prieuré de Sainte-Eulalie."
Le débat ne cessa que grâce à l'intervention des autorités ecclésiastiques qui condamnèrent le prieur de Saint-Martin de Montbon à payer, annuellement, dix setiers de seigle ou d'avoine aux prieurs "actuels et à venir" de Sainte-Eulalie. Ils l'autorisèrent en contre partie à percevoir les rentes en question.
Que les terres de Vieurals dépendent de Sainte-Eulalie n'était, certes, guère logique, mais qu'elles dépendent de Saint-Martin de Montbon n'était pas non plus idéal les deux villages étant, sommes toutes, assez éloignés l'un de l'autre. Pourtant Vieurals fit partie de cette paroisse jusqu'au 15 juin 1701. A cette date l'évêque de Rodez autorisa tout de même la construction d'une chapelle à Vieurals, à la requête des habitants. Sa construction fut achevée le 12 octobre 1702 et ce furent les vicaires de Saint-Martin de Montbon qui vinrent y dire la messe.
Il fallut, en fait, attendre le XIXème siècle pour que Vieurals devienne enfin une paroisse à part entière le 12 janvier 1803.
C'est ainsi que, le 20 mai 1803, monsieur Antoine Alazard, vicaire de Vieurals, qui s'était caché dans un bois près du village, avec son frère, pendant la tourmente révolutionnaire et avait prodigué au péril de sa vie les secours de la religion aux habitants des paroisses voisines, fut nommé premier recteur de la nouvelle succursale de Vieurals par une ordonnance de Monseigneur l'Evêque de Cahors.
Il y eut une autre ordonnance, le 15 février 1809, émanant celle-là de Guillaume Balthazard, cousin de Grainville, Evêque de Cahors, qui concernait, elle, la circonscription exacte des paroisses et succursales de son Diocèse.
Celle de Vieurals comprenait alors : Le Trap, Alte-Teste, une partie de la montagne d'Aubrac (c'est à dire le bois de Vieurals, le "Puech de los egos", et "lo plo de Finet"), Groupatage, Rieuzens et Moncan. Elle comprit, par la suite, Beau-Regard dit "la Barraque", la maison neuve dite "l'Ascessat", et la Ferrière, trois hameaux qui n'étaient pas compris dans la circonscription de 1809 car ils n'existaient pas alors, mais qui sont bien enclavés sur le territoire de Vieurals.
Que Vieurals soit érigé en paroisse ne pouvait être qu'une bonne chose, mais un problème se posa cependant : l'ancienne chapelle de ce lieu était désormais trop petite pour accueillir les anciens et les nouveaux paroissiens. Elle fut donc démolie, en 1827, et l'on en construisit une nouvelle sur son emplacement et sur l'emplacement d'une grange que l'on détruisit également. Cette seconde église fut bénite le 3 juin 1828 par Bonnaterre, curé de Sainte-Eulalie d'Olt et dédiée à Saint-Pierre qu'elle prit pour patron.
En 1919, l'église menaçait ruine et il fut décidé d'en construire une nouvelle à l'entrée du village. Elle fut terminée le 25 juillet 1921 et c'est elle qui y trône encore.
21/POUR UN SON DE CLOCHE
1817
Tout le monde comprend la voix des cloches et nos aïeux, qui vivaient plus près d'elles et menaient une vie moins agitée que la notre, la comprenaient sûrement bien mieux que nous, aussi leur témoignaient-ils une affection sans détour.
Pendant la révolution de 1789, ils s'ingènièrent, ayant recours à la force et à la ruse, à les soustraire aux réquisitions des comités révolutionnaires désireux de s'en emparer pour les convertir en monnaie ou en pièces d'artillerie.
Plus tard, lorsque pour l'application de concordat passé, le 15 juillet 1801, entre le Pape Pie VII et Bonaparte, il fut question d'attribuer aux fabriques d'autres églises les cloches appartenant aux paroisses supprimées, les habitants de ces dernières s'opposèrent farouchement à ces transfert, allant jusqu'à se révolter, les armes à la main, contre l'exécution des décisions du Pouvoir Central. C'est que qui arriva à Aurelle.
Comme nous l'avons vu, Aurelle, était autrefois une annexe de la paroisse de Saint-Martin de Montbon, celle-ci fut supprimée, en vertu du concordat de 1801, et rattachée à celle de Verlac, village situé sur le rebord du plateau, au dessus de la vallée, sur la rive droite de la Boralde de Naves : le Mardon.
L'église d'Aurelle, mal entretenue, fut, au bout de quelques années, reconnue impropre au culte, ce qui incita les membres du conseil de fabrique de Verlac à demander le transfert dans le clocher de leur église de la cloche d'Aurelle.
Par arrêté du 30 décembre 1816, le préfet de l'époque : le Comte d'Estourmel, fit droit à cette requête en vertu des dispositions des décrets des 30 mai et 31 juillet 1806, et invita le Sous-Préfet d'Espalion : le Vicomte de l'Astre, à en assurer la réalisation. Le Sous-Préfet délégua ses pouvoirs au maire de Pomayrols : Antoine Niel, Aurelle faisant alors partie de cette commune. C'est ainsi que, le 23 janvier 1817, celui-ci se rendit au village d'Aurelle avec une petite escorte de la Garde Nationale. Arrivé sur les lieux, il fit convoquer par le garde-champêtre tous les propriétaires et leur donna connaissance de l'autorisation dont il était porteur pour transporter la cloche d'Aurelle à l'église succursale de Verlac. Il rendit compte de sa mission au Sous-Préfet, le 29 janvier, écrivant que l'opération n'avait donné lieu à aucun tumulte, "sauf quelques criailleries de femmes."
Le 30 janvier au matin, de très bonne heure, Antoine Mercadier des Escoudats, district d'Aurelle, se présenta chez le curé de Verlac, l'abbé Rigal, et lui demanda les clefs de l'église et du clocher. Invité à prouver qu'il avait des ordres dans ce sens, il répondit brutalement qu'il n'en avait nul besoin et qu'il venait seulement reprendre son propre bien. Le curé, refusant de lui remettre les clefs en question avant l'arrivée du maire qu'il envoya chercher, Mercadier décida de passer outre coûte que coûte et immédiatement.
D'après les témoignages de J.B. Tessié de Verlaguet, Blaise Cayzac, Pierre Bernier, Francois Ayral, Antoine Fau, Martin Rigal, tous de Verlac, le 30 janvier, à sept heure du matin, une troupe de 80 hommes, armés de fusils, de sabres, de pistolets et de haches, se plaça au pied du clocher de Verlac. Presque tous leur étaient connus, notamment Antoine Mercadier des Escoudats, Mercadier cadet, son frère marié à Corbières ; Aldebert père et fils de la Pomarède, Verlaguet aîné de Rascouals ; Cayzac aîné de Corbières, Auguy cadet de la Vayssière, dit Ramel. Ils avaient avec eux "une charrette attelée à une paire de vaches, appartenant et conduite par Rocanières, fils d'Aurelle."
La porte de l'église leur restant fermée, ils ne voulurent cependant pas l'enfoncer, craignant sans doute de commettre un sacrilège''. Auguy, cadet de la Vayssière, et le berger Aldebert de la Pomarède, escaladèrent alors le clocher dont ils firent voler en éclats l'une des baies et ses abat-sons. La cloche fut alors descendue sur la toiture de l'église et, de là, placée sur le char qui l'attendait pour la ramener à Aurelle où elle retrouva sa loge dans le clocher.
Informé de l'incident par le maire de Pomayrols, le Sous-Préfet d'Espalion en fit un compte-rendu très détaillé qu'il fit porter par "ordonnance", c'est à dire par une estafette de la gendarmerie. Tout en ne manquant pas de blâmer le maire de Pomayrols de s'être fait escorter par un détachement de la Garde Nationale lors du transfert de la cloche, ce qui ne pouvait avoir que l'allure d'un défi et même d'une provocation, il exprimait l'avis qu'il serait important de faire preuve d'une certaine mansuétude et en faisait la proposition dans ces termes.
"Cette affaire est très grave et présente quelques difficultés : il faut que le délit soit puni et réparé, mais il faut calculer d'avance les résultats des mesures qui seront jugées nécessaires. Les habitants de cette partie de la montagne sont pleins d'énergie, ils en ont donné la preuve pendant la Révolution : c'est chez eux qu'ont eu les premiers rassemblements de Charrier. Cette énergie pourrait être utilisé pour le service de l'Etat, il serait bon de lui donner une autre direction."
Il envoyait en même temps, une proclamation, datée du 31 janvier 1817, aux habitants d'Aurelle, dans laquelle après leur avoir exposé toute la gravité de leur cas, il les incitait à réparer la faute qu'ils avaient commise en rapportant à Verlac la cloche "volée". Le ton était quelque peu grandiloquent : "si vous croyez disait-il, avoir des réclamations fondées à présenter, adressez-les moi. Sous le règne des Bourbons nulle plainte n'est repoussée sans examen et la justice gouverne tous les actes de ce gouvernement paternel ; d'ailleurs les affaires de l'église de France vont être terminées à Rome, nous ignorons s'il y aura de nouvelles circonscriptions de paroisses… Je dois compter sur l'obéissance d'une commune connue de tous temps pour son dévouement au Roi."
En possession du compte-rendu du maire de Pomayrols et du rapport du Sous-Préfet d'Espalion, le Préfet prit un nouvel arrêté, le 1er février 1817, pour confirmer le premier et par lequel il nomma monsieur Rogery, maire de Saint-Geniez d'Olt, chargé d'assurer l'exécution de cette ultime décision visant à ce que la cloche soit remise "dans la position même d'où elle avait été arrachée."
Tout en mettant à sa disposition les Brigades de Gendarmeries de Saint-Geniez d'Olt et de Séverac, ainsi que les détachements de la Garde Nationale dont il croirait avoir besoin, le Préfet recommandait à monsieur Rogery d'agir surtout par persuasion et de ne pas brusquer la population tout en lui donnant l'impression que cette modération n'était pas faiblesse. Le maire de Saint-Geniez d'Olt reçut ces ordres le dimanche 2 février à 3 heures du matin et se mit en mesure, le jour même, de remplir la mission qui lui était confiée.
Ayant appris que le maire de Pomayrols devait se rendre à Saint-Martin de Montbon, chef-lieu de la succursale d'Aurelle, pour publier à l'issue de la messe paroissiale la proclamation du Sous-Préfet d'Espalion, il y accourut mais trouva le village à peu près désert et les portes de l'église et des maisons toutes closes. Au presbytère, la bonne lui expliqua que sur les instance des paroissiens, monsieur le succursal (prêtre gérant d'une paroisse succursale) avait dit la messe de paroisse au point du jour, et qu'il devait se trouver auprès d'un malade à Aurelle. Bien que très outré par la "condescendance imprudente de monsieur le Succursal" qui avait changé les heures des messes dominicales sans en informer les autorités civiles, monsieur Rogery résolut de ne pas perdre sa journée et de se présenter successivement au domicile "de chacun des individus désignés dans le procés-verbal du maire de Pomayrols comme ayant pris part, le 30 janvier, à l'enlèvement de la cloche à Verlac."
Il alla d'abord aux Escoudats chez Mercadier qui paraissait être "le chef de l'entreprise". Celui-ci était absent, mais son épouse, après avoir reçu communication de l'arrêté préfectoral, donna l'impression "d'une prompte obéïssance". Quant à Rocanières, du village d'Aurelle, qui avait fourni son "char à vaches" pour enlever la cloche de Verlac, il fut "touché jusqu'aux larmes" et promis de rapporter, le lendemain, la cloche où il l'avait prise "dans le char qui avait servi à l'enlèvement".
Le maire de Saint-Geniez d'Olt alla ensuite voir monsieur le succursal, qui se trouvait effectivement à Aurelle, et lui fit des remontrances respectueuses "sur l'impudence du changement qu'il s'était permis dans l'heure fixée pour la célébration de l'office divin". L'ecclésiastique reconnut ses torts, s'en excusa et proposa à monsieur Rogery, commissaire délégué du Préfet, de l'accompagner chez tous les paroissiens qu'il fallait ramener à l'obéïssance.
Après une journée qui dut être assez fatiguante, monsieur Rogery rentra chez lui, à Saint-Geniez d'Olt, avec la promesse que la cloche serait transportée le lendemain à dix heures au clocher de Verlac, où il devait se trouver avec le maire de Pomayrols pour la recevoir.
Le lundi trois février 1817, il se trouva donc à l'heure fixée à Verlac, mais ni la cloche, ni le maire de Pomayrols ne firent leur apparition. Excédé, il décida de se rendre chez Mercadier aux Escoudats, persuadé sûrement que c'était encore ce dernier qui s'était opposé à la réalisation des promesses faites par sa femme et ses amis. En passant à Aurelle, il appris que la cloche avait été enlevée durant la nuit et que toutes les recherches faites pour la retrouver étaient restées vaines. Il ordonna de les poursuivre, mais n'obtint aucun résultat. Comprenant qu'il avait été berné, il prévint les habitants d'Aurelle qu'il allait se trouver "dans l'obligation de recourir aux voies de rigueur qui lui étaient prescrites".
Revenu à Verlac, il y trouva le maire de Pomayrols. D'un commun accord, ils se rendirent à Saint-Martin de Montbon où, "après avoir réunis les habitants du village, au nombre de quatre ou cinq individus", il donna lecture de la proclamation du Sous-Préfet. Cette visite devait avoir de très heureuses conséquences pour le commissaire du Préfet. En effet, il trouva là monsieur le succursal qui lui promit de se rendre immédiatement au village d'Aurelle et d'y passer la nuit " pour présider aux recherches et au départ de la cloche".
Effectivement, le quatre février, au point du jour, Rocanières d'Aurelle et Aldebert fils, de la Pomarède, allèrent prévenir le maire de Saint-Geniez que la cloche avait été rapportée dans la nuit à la porte de Rocanières, qu'ils l'avaient chargée à quatre heures du matin sur le même char à vaches qui l'avait enlevée de Verlac et qu'il la retrouverait aux portes de ce village.
C'était bien la vérité! A la demande de monsieur Rogery, Rocanières et Aldebert conduisirent la cloche au pied du clocher de Verlac et ils l'auraient, sûrement, eux-mêmes remise en place si, dans un mouvement spontané, les habitants de ce village ne s'étaient empressés de s'en charger. Le tout se passa sans aucune animosité de part et d'autre.
Le cinq février 1817, le maire de Saint-Geniez d'Olt s'empressa de rendre compte au Préfet du succés qu'il venait d'obtenir sans avoir eu besoin de recourir à la force armée. Dans son rapport, il ne négligea aucun détail, fit preuve d'une grande pondération et surtout d'une très rare connaissance psychologique du caractère et de l'âme des hommes de ce rude coin de l'Aubrac. Il estimait ainsi que le retour de la cloche d'Aurelle à Verlac n'était pas une solution valable, que le problème restait entier et qu'il fallait le résoudre en restituant aux habitants d'Aurelle LEUR cloche qui serait alors remplacée à Verlac par une autre de même poids achetée à frais communs. Cette partie du rapport mérite d'être citée tant elle dépeint à la perfection une mentalité et un tempérament très particuliers, propres à tous les habitants de l'Aubrac. De plus, elle dénote de la part de monsieur Rogery d’un rare et profond civisme, d’un grand souci de justice. Voici donc ce qu'il écrivait au Préfet :
"/…/ Il reste encore à éteindre dans le cœur des habitants d'Aurelle le ressentiment profond de l'humiliation méritée à laquelle les a conduits leur inconduite. Habitants des montagnes, fiers de leurs forces physiques et de leur courage indomptable, naturellement irrascibles, mais assez éclairés pour apprécier la bonté dont vous avez usée envers eux, ils déversent sur leurs voisins de Verlac tout l'odieux de leur mésaventure. Ils croient avoir à leur reprocher l'enlèvement d'une cloche qui existait dans leur commune depuis plusieurs siècles; par une circonstance fâcheuse, les principaux propriétaires de cette commune sont tous de jeunes irréfléchis, incapables de se modérer et, si l'on ne parvient à calmer par quelques concessions leur amour-propre offensé, il est à craindre que le moindre prétexte ne donne lieu à des rixes sanglantes entre eux et leurs voisins, dans les foires ou les fêtes patronnales de paroisses.
"La commune d'Aurelle conserve encore un orgueilleux souvenir de la suprématie qu'elle a longtemps possédé sur les sept paroisses qui portaient son nom et qui forment aujourd'hui la mairie de Pomayrols. Ils entretiennent avec quelques soins leur ancienne église qui, dans plusieurs circonstances, leur sert encore à la célébration des saints offices dans la saison rigoureuse. La cloche dont ils viennent d'être privés est la seule qu'on puisse entendre dans sept à huit villages ou hameaux. Pendant une longue suite de siècles, elle a appelé leurs ancêtres à la prière du matin, à celle de midi, à celle du soir. Ils ont vieilli dans l'habitude de l'entendre et ce son religieux est le seul qui réjouit leurs oreilles au milieu de leurs rochers et de leurs précipices où ils vivent isolés de toute société humaine. Pendant la mauvaise saison, elle rallie durant les jours brumeux les étrangers égarés que le hasard ou leurs affaires amènent dans cette contrée si mal traitée par la nature.
"Un préjugé respectable, fondé sur une heureuse expérience, les a convaincus que les vibrations de leur cloche, vouée à Saint-Pierre, leur protecteur spécial, écarte constamment de leurs récoltes les ravages de la grêle.
"Vous savez, monsieur le Préfet, combien les habitants des Montagnes tiennent aux habitudes et aux idées de leur enfance. Si, sans violer la loi et sans compromettre l'autorité, il vous est possible de ne pas les réduire au désespoir en condamnant à un silence éternel les échos de leurs gorges escarpées, vous vous empresserez de condescendre à leurs vœux en leur rendant une cloche, la plus chérie de leurs propriétés, qu'il sauvèrent au péril de leur vie pendant la Révolution, et qu'ils ne s'attendaient pas à perdre sous le règne paternel des enfants de Saint-Louis./…/
"J'ai pensé que vous jugeriez peut-être convenable de permettre qu'une cloche, d'un poids égal à celui de la cloche contestée, soit achetée à frais communs par les habitants d'Aurelle et de Verlac, en remplacement de celle qui serait alors rendue à son antique destination./…/
"Je dois ajouter que les habitants d'Aurelle, comme ceux de Verlac, sont sincèrement dévoués à la dynastie légitime et que sous ce rapport la mairie de Pomayrols est l'une des mairies du Département les plus irréprochables."
Appuyée par le Sous-Préfet d'Espalion, la requête du maire de Saint-Geniez d'Olt obtint un plein succès et, malgré une protestation du conseil de fabrique de Verlac, portant les signatures de : Mas, Simon, Teyssié, Thédénat et Rigal, recteur, la cloche fit son retour à Aurelle le deux mars 1817.
Les conflits de l'espèce durent être assez nombreux. Il existe par exemple un extrait des arrêtés de l'Administration Centrale de l'Aveyron, en date du 15 germinal An V de la république (5 avril 1797), où il est fait droit à une pétition des habitants de la paroisse de Naves d'Aubrac demandant que leur soit restituée la cloche "qu'ils avaient destinée pour timbre d'horloge et pour rappeler les égarés, laquelle avait été transportée à Saint-Geniez pour servir de timbre au couvent".
Pour en revenir à Aurelle et à sa belle cloche, particulièrement chère aux habitants, il faut préciser qu'elle porte une inscription, tout autour, en lettres demies-gothiques, caractères qui annoncent le XIVème siècle: "AVE MARIA GRA PLENA DNUS TECUM" et que cette cloche, fondue en fait au XVème siècle, a été depuis lors classée Monument Historique.
Quant à sa soit-disant vertu à dissiper la grêle, il faut savoir que c'était alors une superstition classique de la mentalité populaire qui attribuait aux cloches le pouvoir d'éloigner les orages et les grêles, destructeurs des récoltes. Le premier devoir du sonneur était justement de se rendre au clocher et de tirer sur les cordes à toutes volées dès que l'orage menaçait. Bien-sûr, il était souvent frappé par la foudre, victime de sa périlleuse mission.
Remarquons également qu'en 1731, Monseigneur de la Voye de Tourouvre, Evêque de Rodez, considérait lui-aussi cet usage comme normal…
Le Parlement de Toulouse, rendu plus instruit par les découvertes de Franklin, rendit le 4 juillet 1786, "au nom de l'expérience", un arrêt interdisant ces sonneries.
L'Administration Centrale de l'Aveyron fit de même le 31 août 1798, tout aussi inutilement puisque cet usage persista dans nos campagnes jusqu'à la moitié du XXème siècle.
22/CONSTITUTION DE LA MAIRIE D'AURELLE :
1790 – 1844
54 ANS D'ERREMENTS ADMINISTRATIFS
Par décret du 15 janvier 1790, 684 communes furent donc créées dans l'Aveyron. La section de Prades d'Aubrac, la section de Pomayrols et la section d'Aurelle formèrent alors une seule et même mairie. Les Crouzets, Lunet et Born, firent partie de la section d'Aurelle comme sous l'ancien régime.
Le grand problème posé par un tel découpage administratif fut, bien sûr, l'étendue de la circonscription, trop vaste. Il est intéressant de noter ici que l'actuelle commune d'Aurelle-Verlac totalise, en effet 5468 hectares, celle de Prades : 4664 hectares et celle de Pomayrols 2310 hectares, soit, au total, 12 442 hectares pour l'ensemble.
Le 22 octobre 1808, en vertu de l'arrêté du Préfet Sainthoren, le conseil municipal de la mairie de Pomayrols se réunit pour donner son avis sur la division de cette commune :
- Alazard de Lunet émit le vœu de "la laisser subsister en l'état qu'elle est".
- Fournié de Pomayrols, Plagnard de Prades et Serres de la Borie voulaient, eux, "que chacune des trois communes de Prades, Pomayrols et Aurelle, forment une mairie."
- Vezins du Monteil, Mercadier des Escoudats, Roux du Minié - Bas et Jean Bach de Born, le maire, "que Pomayrols et Aurelle restent unies et que Prades seul forme une seconde mairie."
Quelle solution adopter, alors que les membres même de ce conseil municipal défendaient des avis différents ?
Il fut cependant décidé, le 25 mai 1811, de faire un budget séparé pour chaque section mais le problème posé par l'étendue de la circonscription demeurait entier.
En 1814 le Sous-Préfet d'Espalion proposa une autre répartition de commune dont le chef lieu serait Born.
En ce qui concerne la section d'Aurelle, rappelons qu'il fut question, le 25 août 1817, des nouveaux cadastres et des limites de cette commune "aux lieux où l'on voit des traces de bâtiments et de Montjoyes", ou pierres très longues plantées lors du cordon sanitaire contre la peste qui affligeait le Gévaudan en 1721.
Le problème de l'étendue de la circonscription de Pomayrols (Pomayrols + Prades + Aurelle) fut à nouveau évoqué par le conseil municipal, le 8 août 1835. Raynal, le maire, donna ce jour-là lecture d'une pétition des habitants de Born, les Crouzets et Lunet. Ils y exprimaient le désir d'être réunis à la section de Prades, plutôt qu'à celle d'Aurelle, et le maire était d'avis que cette requête devait être prise en considération. Il émit également l'idée que les trois communes composant la mairie de Pomayrols devraient être partagées en deux.
- la section de Pomayrols comprenait alors les paroisses de Pomayrols et Laboulesq, totalisant ainsi 846 habitants.
- La section de Prades totalisait, elle, 716 habitants.
- Celle d'Aurelle, composée alors des paroisses de Born, Lunet, Les Crouzets, Vieurals, Verlac, Naves et Saint-Martin de Montbon, atteignait, elle 2019 habitants.
Il fut surtout souligné lors de cette réunion du conseil municipal qu'un "homme en quatre jours, pourrait à peine visiter les principaux villages de la circonscription, que l'administrateur le plus dévoué était dans l'impossibilité de satisfaire aux besoins de toutes les localités." Un membre d'Aurelle émis l'idée de la diviser en trois mairies indépendantes l'une de l'autre.
Le 13 mai 1836, le Secrétaire d'Etat au Ministère de l'Intérieur rappela au Préfet de l'Aveyron qu"il devait lui adresser les propositions au sujet de la division en deux de la mairie de Pomayrols, comme l'avait demandé le conseil général.
Le 9 juin suivant, le Secrétaire d'Etat envoya une dépêche au Préfet Rozet, accusant ainsi réception de ses lettres des 4 avril et 19 mai dernier avec une légère ironie. Voici ce qu'il lui écrivait alors :
"Je craignais, je l'avouerai, d'après les explications contenues dans votre lettre du 4 avril, que les difficultés de l'opération ne vous eussent amené à penser qu'elle devait être ajournée d'une manière indéfinie, puisque vous paraissiez chercher à atténuer les inconvénients des circonscriptions communales actuelles, et que vous laissiez pour ainsi dire au temps le soin de les faire peu à peu disparaître. Mais les explications nouvelles que vous me donnez dans votre lettre du 19 mai, au sujet des votes du Conseil Général sur divers changements, me rassurent à cet égard et je vois avec plaisir que vous vous occupez activement à préparer un travail d'ensemble, dont le résultat serait de remédier aux vices nombreux que présente la circonscription créée par l'arrêté de Messidor an VIII /…/"
Il lui recommandait également de mener ce travail à terme le plus rapidement possible et "de suivre la marche tracée par l'instruction ministérielle du 9 mars 1829."
Une autre dépêche ministérielle informa le Préfet que le comité de l'Intérieur travaillait à un projet d'ordonnance, opérant cette réorganisation conformément aux vœux et aux intêrets des habitants.
Le 3 juillet 1837, une ordonnance royale délimita 70 nouvelles communes dans l'Aveyron. C'est alors que la commune de Prades fut distraite de la mairie de Pomayrols. Celle d'Aurelle fut divisée et "jointe partie à celle de Pomayrols et partie à celle de Prades", un ruisseau : le Merdanson, forma à l'est les limites de la section d'Aurelle et la sépara de la commune de Prades d'Aubrac." Ainsi, Born, Lunet et les Crouzets furent-ils rattachés définitivement à cette nouvelle mairie.
Mais cela ne pouvait suffire aux élus de la commune Pomayrols-Aurelle, et le conseil municipal émis, le 4 mars 1840, le vœu que la circonscription de Pomayrols soit encore divisée en deux, la section d'Aurelle pouvant former une commune à part entière.
Les conseillers municipaux renouvelèrent ce souhait le 4 mars 1841, argumentant alors que la mairie de Pomayrols était encore étendue "de façon énorme et monstrueuse".
Ce n'est pourtant que par ordonnance du 6 avril 1844 que la section d'Aurelle fut définitivement distraite de la circonscription de Pomayrols, formant enfin une commune à part entière dans les limites que nous lui connnaissons aujourd'hui, ses 5468 hectares lui valant encore d'être la commune la plus étendue du canton de Saint-Geniez d'Olt. Il fallut donc 54 ans, deux générations pour que la commune d'Aurelle voit enfin le jour ! Aurelle en fut le chef lieu jusqu'en 1845, à cette date Verlac lui succéda et la commune pris dès lors le nom d'Aurelle-Verlac.
23/LES ANNEES TERRIBLES : 1844-45
Plus que son relief, c'est son climat rigoureux qui confère à l'Aubrac son caractère montagnard. Il neige jusqu'en avril ou mai, et dès octobre ou novembre; on voit parfois même voltiger des flocons en juin ou juillet mais cela demeure, heureusement, exceptionnel. La neige demeure de longs mois coupant pour plusieurs jours les routes, isolant fermes et hameaux. L'hiver, le vent se conjugue avec elle : c'est "l'écir" que décrivait ainsi l'abbé Deltour :
"malheur au voyageur qui traverse alors le pays, aveuglé par des tourbillons de neige, ne voyant plus au delà d'une distance de trois pas, il perd la trace du chemin effacé… Si la nuit le surprend dans cette horrible situation, il est perdu… Que d'infortunés ont ainsi péri!"
Aux endroits les plus exposés, en plein cœur de l'Aubrac, de hautes bornes de granit servaient autrefois de repères lorsque le plateau revêtait son glacial manteau blanc, et jusqu'à la Révolution, l'abbaye d'Aubrac eut sa "cloche des perdus" qu'un moine sonnait à toute volée les jours de tourmente pour guider les égarés vers le village, Aurelle et Naves d'Aubrac gardèrent la leur bien au delà. Malgré cela, les exemples tragiques ne manquent pas.
On peut ainsi citer l'hiver 1408 qui fut le plus rude de tout le Moyen-âge. C'est cette année là, en ce qui concerne la Baronnie d'Aurelle, que l'ancien village de Vieurals fut décimé. En effet, bien que l'Evêque ait fait distribuer du pain, les habitants de ce village moururent tous de faim et de froid au cours de la mauvaise saison. Il faut dire que fin novembre la température y était de 46 degrés en dessous de zéro. Ce hameau, dont on trouve trace dès 1373 était alors bâti à l'emplacement appelé aujourd'hui "la placette". Il fut rebâti vers 1473 à l'endroit où il se trouve encore.
On peut également mentionner l'hiver 1709 qui fut tout d'abord exceptionnellement clément. En effet le 1er janvier 1709 les cerisiers étaient déjà en fleurs. Mais cela ne dura pas. Le 5 janvier, la neige commença à tomber en abondance pour ce cesser que six semaines plus tard!
Et nous en arrivons aux années 1844-1845 qui furent particulièrement meurtrières dans la région.
Ainsi, le 26 mars 1844, Baptiste Charrié de Born, père de deux enfants en bas âge, accompagne un marchand de toile de Marchastel. Le temps était calme mais il y avait de la neige et des fondrières… L'homme ne revint pas… Jacques Mercadier découvrit son corps le 20 avril suivant. On le déposa au cimetière où il fut inhumé, après la visite d'un docteur et un procès-verbal de la gendarmerie, le 23 avril.
Le 20 janvier 1845, par un ciel sans nuages, on entendit un roulement de tonnerre qui dura plusieurs minutes et la neige tomba après pendant un mois, sans discontinuer, à Born. Les portes et les fenêtres ayant été vite obstruées, on creusa une galerie sous la neige, d'une longueur de 60 mètre, pour accéder à la fontaine du village. La neige gela et les chars purent passer sur cette voûte sans l'ébranler.
A cette même époque se déroula sur la commune d'Aurelle une tragédie dont les anciens parlent encore de nos jours, l'ayant entendu raconter par leurs parents ou grands parents : il s'agit de l'avalanche de la Molière.
Le samedi 1er février 1845, le vent du nord-ouest, soufflant avec violence, avait apporté toute la neige du plateau des Cats sur une pente raide et sur un pré arrosé par les eaux de plusieurs fontaines aux pieds desquels se trouve situé le hameau de la Molière.
Vers les deux heures de l'après-midi, la neige amoncelée sur ce terrain humide glissa, entraînant avec elle une partie du pré, et emporta quatre maisons du village, qui s'écroulèrent à, peu de distance ensevelissant leurs habitants sous une énorme quantité de décombres.
Le premier moment de stupeur passé, les autres habitants se mirent à l'œuvre avec courage et, au bout d"une demi heure ils purent arracher à la mort une fille et sa mère, madame Sanhet que l'on trouva pourtant ensevelies jusqu'au cou.
Ce succès redoubla l'ardeur de tous, mais ces sauveteurs improvisés étaient trop peu nombreux et par le temps qu'il faisait, la neige tombant en abondance et rendant tous les chemins impraticables, il n'y avait pas de secours immédiat à espérer, cependant des gémissements prolongés se firent bientôt entendre et les travaux prirent alors une meilleure direction. La voix devint ensuite plus distincte, c'était celle d'Antoine Malrieu, qui s'efforçait de diriger et d'encourager les travailleurs. Mais leurs forces commençaient à s'épuiser et les difficultés devenaient telles qu'il y eut un moment d'hésitation. Quelqu'un proposa même de renoncer à une entreprise impossible… Malrieu put entendre cette proposition, et il y répondit par un dernier cri de détresse. Ce cri déchirant, ce cri d'angoisse ranima le courage des moins entreprenants, et l'on parvint, enfin, après des efforts inouïs, à retirer Malrieu du milieu des ruines, aux alentours de minuit.
La fatigue et le mauvais temps forcèrent alors les travailleurs à prendre un peu de repos. Le point du jour arrivant, un exprès fut envoyé à Naves pour y annoncer le triste événement et y demander du secours. Monsieur l'abbé Niel, le vicaire, allait commencer sa messe. Ils s'empressa d'annoncer aux fidèles rassemblés dans l'église que l'office divin n'aurait pas lieu, que son devoir l'obligeait à se rendre au village de la Molière ; et il engagea tous les hommes valides à le suivre pour aller porter secours aux victimes de cette terrible catastrophe. Sa voix fut entendue, et il arriva sur les lieux suivi de nombreux travailleurs qu'il ne cessa de diriger pendant deux jours et deux nuits, les encourageant de la voix, les aidant de son bras robuste et de son sang-froid intelligent, et leur faisant même distribuer, à ses frais, de copieuses rations de vin et de liqueur pour rétablir leurs forces.
Ce dévouement fut en partie récompensée : vers midi, on parvint à extraire des ruines deux enfants encore vivants : Paul et Marie Gardes, ils avaient passé 24 heures accroupis sur la pierre d'un foyer, Paul avait un poignet écrasé et l'on fut obligé de l'amputer de la main, ce qui lui valut plus tard le surnom de "lo débrassat" : le manchot.
Sur seize personnes ensevelies, on avait déjà eu le bonheur d'en sauver cinq, on espérait encore, mais on ne retira que le cadavre des autres. Non loin de Pierre Sanhet, un vieillard de 75 ans, on trouva une jeune mère : Sophie Malrieu, née Romiguier, tenant un petit berceau sur ses genoux, la bouche de son enfant, Sophie, encore entr'ouverte : la mort l'avait surpris sur le sein maternel.
A peine cette désolante nouvelle parvint-elle à Saint-Geniez d'Olt que les docteurs Vezins et Sahut accoururent au secours des malheureux habitants de la Molière, malgré un temps affreux. Les blessés furent donc l'objet de leur soins, il n'en resta pas moins onze victimes.
Sensibles à l'infortune des survivants de cette catastrophe, les habitants de Saint-Geniez d'Olt voulurent l'adoucir et la voix de leur prêtre vint seconder le désir de leur cœur. A la sortie de l'église, le 9 février, l'abbé Bessières et le maire de Saint-Geniez d'Olt organisèrent une quête qui rapporta six cents francs. Ce premier don fut reçu avec reconnaissance par le curé et le vicaire de Naves, au nom des malheureux.
L'exemple de Saint-Geniez d'Olt fut suivi par le diocèse : une souscription fut ouverte au secrétariat de l'évêché et Monseigneur l'Evêque s'inscrivit le premier, pour une somme de cent francs.
Les cadavres des onzes victimes furent déposés dans une fosse commune et le prêtre de la paroisse fit graver sur la pierre tombale "ci-gisent les onze victimes de l'affreuse catastrophe qui eut lieu à la Molière, le 1er février 1845. Requiescant in pace."
Voici la liste des victimes de cette catastrophe qui endeuilla quatre familles :
- Amans Gardes, 39 ans
- Anne Bernard, femme d'Amans Gardes, 35 ans.
- Rosalie Gardes, leur fille, agée de 18 mois.
- Pierre Sanhet, 75 ans
- Pierre Sanhet fils, 45 ans
- Sophie Sanhet, fille de ce dernier, 5 ans
- Joseph Trousselier, 34 ans
- Marie Noyer, sa femme, 35 ans
- Sophie Romiguier, femme d'Antoine Malrieu, agée de 28 ans.
- Antoine Malrieu, leur fils, 3 ans.
- Sophie Malrieu, leur fille, que la mort avait surprise sur le sein de sa mère.
On peut encore citer, pour conclure ce chapitre sur les calamités climatiques, quatre hivers terribles : celui de 1870 ; celui de 1890 : l'année où la neige tint du 4 décembre au 1er mars, isolant les hommes et les animaux du reste du monde ; celui de 1955-56 qui fit date dans la mémoire des anciens ; et, tout près de nous, l'hiver 1984-85 où les températures atteignirent 24 degrés au dessous de zéro. Sans oublier ce fameux lundi 6 mai 1985 où l'Aveyron s'éveilla sous une épaisse pellicule de neige inattendue pour la saison.
24/LE GENERAL D'AURELLE DE PALADINES
DANS LA GUERRE DE 1871
Mon but n'est certes pas de vous raconter une fois de plus la guerre de 1871, mais simplement de mentionner une anecdote qui eut son importance à l'époque pour les habitants d'Aurelle.
En effet, le général d'Aurelle de Paladines n'avait pas hésité à reprendre du service à la déclaration de guerre quoiqu'il fut à la retraite, ayant alors 66 ans.
Le 11 octobre 1871, il fut placé à la tête des 15ème et 16ème corps d'armée de la Loire, avec lequel il obtint la victoire de Coulmiers, qui se déroula le 9 novembre.
Cet homme était un officier ferme et résolu, comme le montre la déclaration qu'il avait faite à l'armée de la Loire :
" Je vous demande avant tout la discipline et la fermeté. Je suis parfaitement décidé à faire passer par les armes tout soldat qui hésiterait devant l'ennemi et si, par hasard, moi-même, je ne fais pas mon devoir, je vous ordonne de me fusiller."
Mais, qui était-il vraiment, et surtout d'où venait-il ce général d'Aurelle de Paladines dont une rue de Marvejols porte encore le nom aujourd'hui, où étaient ses racines ? Voilà qui n'est pas encore vraiment établi, et l'on peut encore se demander si ce général était ou non d'origine rouergate.
Certains historiens ont, en effet, prétendu que la famille du vainqueur de Coulmiers serait venu du château d'Aurelle, siège de la Baronnie qui nous intéresse ici, et qu'une branche de cette noble famille se serait fixée à Paladines, commune de Chauliac, canton du Malzieu, arrondissement de Marvejols, en Lozère.
Mais ainsi que le fait remarquer Monsieur André Ancourt : "les auteurs ne sont pas d'accord pour ce qui est de l'identification du lieu d'origine des Aurelle de Paladines, dont le patronyme est tiré des noms de deux fiefs distinctifs. La localisation du premier semble n'avoir pas été indiscutablement établi…"
En ce qui concerne les historiens : pas de certitudes, donc. Les journaux de l'époque prirent, cependant, position d'une façon catégorique et sans faux détours. Le général d'Aurelle de Paladines y est en effet qualifié de :
- "notre compatriote!"
- "notre compatriote aveyronnais !"
- "l'un de nos plus éminents compatriotes"
ou bien encore de
- "notre compatriote et brave général aveyronnais!"
Alors le général Aurelle de Paladines avait-il réellement dans les veines le sang de "nos" Aurelle ? On ne le saura jamais à moins de reconstituer son arbre généalogique, cependant n'oublions pas que la lignée des Seigneurs d'Aurelle qui avait pris le nom de cette terre s'est éteinte depuis longtemps. Mais qu'importe dans le fond?… Ce qui comptait en 1871, c'était sûrement plus de tirer les lauriers à soi et de se faire, éventuellement offrir un verre par les gens de Saint-Geniez d'Olt, en tant qu'enfant d'Aurelle, que d'établir une vérité historique.
Et je ne peux m'empêcher de penser que si ce brave général d'Aurelle de Paladines avait été un vaincu au lieu d'un vainqueur, il n'aurait sûrement été revendiqué par aucune des deux localités dont il portait le nom, au contraire.
Mais l'anecdote méritait, tout de même, d'être contée.
25/1884 : LE TEMPS DES EMIGRANTS
L'année 1884 fut celle de l'immigration Aveyronnaise vers l'Argentine. Ce fort courant migratoire est du au premier installateur du téléphone argentin : Clément Cabanettes, originaire d'Ambec près de St Côme d'Olt. Sa mission terminée en Argentine, il décida, en effet de s'y installer et de fonder une colonie française sur 27000 hectares de terrains achetés à un certain Casey.
Ceci fait, Cabanettes revint dans l'Aveyron pour motiver d'éventuel candidat à l'émigration ; il reçut en cela l'aide de François Gay, de Ceyrac. Leur propagande commune porta ses fruits puisque, le 24 octobre 1884, une quarantaine de famille : 180 personnes dont 40 enfants, s'embarquèrent à bord du "Belgrano", à Bordeaux, en direction de la terre promise. Le voyage dura 38 jours et les colons arrivèrent, le 4 décembre 1884, date demeurée historique à Pigüe, ville que fondèrent nos compatriotes aveyronnais dans la Pampa du sud.
Mais qu'allaient donc chercher ces colons improvisés à 15 000 kilomètres de leur terre natale?… Ils allaient "faire l'Amérique", le mirage d'une "Argentine argentée" avait repris couleur, et, après trois siècles d'interruption, ils enchaînaient sur le vieux rêve de la conquête!… Et, surtout, ils fuyaient les mauvaises terres et la misère.
A leur arrivée on les surnomma "los recienvenidos" (les nouveaux venus) mais il n'étaient pas les seuls "recienvenidos", il y eut aussi des Italiens, des Espagnols, des Polonais et des Allemands qui émigrèrent à diverses époques vers cette lointaine contrée. A la différence des Etats-Unis, il n'y eut pas immédiatement de "melting pot" (mélange des races) et, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les différentes races d'émigrants ne fusionnèrent pas rapidement. Face à une population méfiante et à des conditions de vie souvent moins faciles qu'elle ne l'avaient imaginé, chaque colonie eut longtemps tendance à se replier sur elle-même, organisant ses écoles, ses mutuelles, célébrant les fêtes de la "Mère- Patrie"plutôt que celles d'une nation à l'histoire de laquelle ils n'avaient pas participé. C'est qu'il ne s'agissait plus d'une émigration presque exclusivement masculine, comme ç'avait été le cas jusqu'alors, mais de familles entières qui, grâce à la navigation à vapeur et aux billets quasi-gratuits mis à leur disposition, rejoignirent assez vite l'homme envoyé en éclaireur et débarquèrent avec leurs coutumes, leur langue, leurs enfants, et une immense soif de réussite.
En ce qui concerne les Aveyronnais, chacune des familles faisant partie de la première vague d'émigration, celle de 1884 donc, reçut à son arrivée 100 à 200 hectares de terres à des conditions exceptionnellement avantageuses, si avantageuses qu'elles valurent à Clément Cabanettes d'être traité d'imbécile par le gouverneur de la province de Buenos-Aires.
Malgré cela les débuts des colons Aveyronnais ne furent guère brillants. En effet les années 1885 et 1886 se soldèrent par de très mauvaises récoltes et, un siècle après, on trouve encore des "Pigüenses" qui n'hésitent pas à s'attaquer à la légende dorée, et à avouer que l'entreprise se trouva alors au bord de la faillite. Mais les récoltes s'améliorant par la suite, Pigüe prit peu à peu son essor.
Parmi les premiers émigrants se trouvaient notamment :
- Louis Calmels d'Aurelle (1870-1900), qui épousa, le 19 décembre 1895, Joséphine Issaly, originaire de Saint-Geniez d'Olt. Ils eurent deux enfants: Luis-José en 1896 et Angel –Emilio en 1900.
- Jean Baptiste Calmels d'Aurelle (1873-?) qui épousa Marie Vergnes originaire de Rodez, le 7 avril 1896. Ils eurent 11 enfants: Maria-Angela, Luisa, Juan-Batista, José-Noël, Mateo, Cecilio, Sadi-Eduardo, Armando, Luis, Micaela, René, nés de 1898 à 1917.
L'un deux : Sadi-Eduardo, fut président du conseil d'administration du journal argentin : "el progresso" de 1924 à 1938, il était encore membre de ce conseil d'administration en 1974.
- un autre Louis Calmels d'Aurelle, qui épousa Rosalie Clarion originaire de Saint-Geniez d'Olt.
- Augustin Roumec de Naves d'Aubrac, qui épousa Louise Clergue originaire de Gramond ; ils eurent 7 enfants nés à Pigüe.
- Baptiste Roumec de Naves d'Aubrac, qui épousa Eugénie Clergue originaire de Gramond. Ils eurent 10 enfants nés à Pigüe.
- Alexandre Bras de Verlac, qui partit avec sa femme Emilie et ses six enfants, nés en France, Léon, Alexandre, Berthe, Julie, Emilie et Denis.
Soit, six couples d'émigrants pour la seule commune d'Aurelle-Verlac, six couples en moins parents de 36 enfants au total ! Et cette liste n'est peut-être pas exhaustive…
Parmi les noms que je viens de donner, il y en a un qui marqua tout particullièrement la mémoire des émigrants, c'est celui de la Verlaguaise Emilie Bras.
Au cours de la traversée sur le "Belgrano", la jeune fille fut l'héroïne d'une aventure peu commune. Comme elle était sage et sérieuse, M. l'abbé Domergue, chef spirituel du groupe, la chargea de veiller au transport de la pierre sacrée qu'ils avaient apportée de Lassouts et qui serait indispensable pour célébrer la Sainte-Messe dès l'arrivée.
Ce fut chose facile durant la traversée, ce le fut moins à l'arrivée à Buenos-Aires où l'accomplissement des diverses formailtés douanières, sanitaires et administratives, imposèrent aux émigrants des embarquements et des débarquements successifs de côtés et d'autres. Il fallait chaque fois transporter les bagages et colis encombrants auxquels s'ajoutait pour la jeune Emilie, l'embarras et le poids de la lourde pierre.
De jeunes et joyeux compagnons décidèrent de la débarrasser de cette corvée "te fa rabala aquel roc, bésés pas que lou curat se truffo de tu" (te faire traîner cette pierre, tu ne vois pas que le curé se moque de toi!)… Un coup de coude au bon moment, une petite bousculade, et la pierre sacrée glissa des mains d'Emilie et tomba dans l'eau…
Ah! Monsieur l'Abbé Domergue ne fut pas content ! En des paroles vengeresses, il stigmatisa et jeta l'anathème sur les jeunes inconscients responsables de ce grave sacrilège. Beaucoup d'émigrants partagèrent d'ailleurs l'indignation du prêtre : ils pensaient pouvoir bénéficier de la messe dès leur arrivée… Il leur fallut attendre vingt jours, et c'est seulement dans la nuit du 24 décembre 1884 que les premières prières chrétiennes purent s'élever solennellement vers le ciel de la Pampa, jointes – il est vrai – aux chants joyeux et nostalgiques des vieux noëls patois Aveyronnais.
C'est ainsi que, depuis lors, une pierre sacrée de l'église de Lassouts gît sous les flots limoneux du Rio de la Plata, à quelques dizaines de mètres des gratte-ciels de Buenos-Aires.
Mais ce n'est certes pas la petite mésaventure de la pierre sacrée qui valut à Emilie Bras de voir sa mémoire honorée à Pigüe par ses compatriotes… Les émigrants amenés en Argentines par Cabanettes, avaient quitté l'Aveyron sans envisager d'y revenir, du moins avant plusieurs années. Ils étaient donc partis par familles entières : grand-pères, grand-mères et enfants en bas âge accompagnant les adultes. Et ces enfants, il fallait bien les instruire… C'est à cette tâche que se consacra Emilie Bras, elle le fit avec un dévouement que nul là-bas n'a oublié. Elle continua sa mission éducative même après son mariage avec un compatriote, monsieur Servières, et c'est ce nom là qui figure désormais sur les plaques commémoratives apposées en 1964, l'une dans l'école où elle enseigna, les autres aux angles d'une rue de Pigüe désormais baptisée à son nom.
Bien sûr, dans toutes les villes du monde les municipalités ont l'habitude d'honorer les citoyens illustres en donnant leur nom à une artère de la cité, mais cet honneur – il faut bien le reconnaître – est presque toujours réservé aux représentants du sexe fort, et les noms de femmes restent rares sur les plaques de rue… Soyons donc heureux qu'une exception ait été faite en faveur d'une de modeste compatriote qui est née et à passé toute son enfance sur notre Aubrac.
Les mois, puis les années passèrent… Les colons travaillaient avec acharnement et, petit à petit, leurs conditions matérielles s'amélioraient. Ils écrivaient parfois à leur famille restée en France et quelques uns purent même faire un voyage "au pays". On y parlait alors de Pigüe, ce qui décidait de temps en temps quelques nouveaux Aveyronnais à aller rejoindre les premiers émigrants.
Voici ce que raconta l'un d'eux, il y a quelques années. Il s'agit de monsieur Baptiste Gardes, dernier né d'une famille nombreuse installée sur l'Aubrac, que son père avait placé comme petit berger dans une ferme de la commune de Saint-Saturnin de Lenne en 1895. Il émigra vers 1900.
- "Je suis né à la Molière, commune d'Aurelle-Verlac. Nous n'étions pas riches, et dès l'âge de 10 ans mon père m'envoya comme petit berger sur le causse au domaine des Crozes.
Mon patron, Chayriguès, m'autorisa un jour à aller voir mon père à la foire à Saint-Geniez d'Olt. Nous y rencontrâmes Monsieur Grégoire venu de Pigüe passer quelques semaines en France pour affaire de famille.
- Combien gagnes ton petit, dit-il à mon père ?
- 175 francs par an
- Eh bien si tu le laissais venir avec moi à Pigüe, ce n'est pas 175 francs par an qu'il gagnerait, mais 175 francs par mois !
Bien sûr mon père haussa les épaules. Pourtant, il revit Grégoire, et un jour je le vis arriver aux Crozes…
- je viens te chercher, petit, me dit-il, nous partons tous les deux en Amérique ; si ça marche, dans quelques mois nous ferons venir ta mère et tes frères et sœurs.
- Saiques sios bengut fat ! (tu es dans doute devenu fou !) dit Chayriguès… et comme il était content de mes services, il proposa une augmentation de salaire de cinq francs, alla même jusqu'à dix francs.
Mais la décision de mon père était définitive, et trois mois plus tard nous étions installés dans une laiterie proche de Pigüe. C'est moi qui allait vendre le lait en ville. Le soir mon père comptait les pesos que j'avais rapportés, il les convertissait en francs et me disait :
- Grégoire ne nous a pas trompés, tu les gagnes, mon petit, tes 175 francs par mois, et même davantage.
Cinquante ans plus tard, monsieur Baptiste Gardes, ancien petit berger des Crozes, était propriétaire de plusieurs vastes domaines dans la région de Pigüe. Il avait fait construire une belle maison avec escalier de marbre, mosaïques, rampes en fer forgé et «bow-window», l'une des très rares maison de la ville à un étage, la plus belle, sans doute, puisqu'elle figurait alors à la place d'honneur sur le tract de propagande touristique de la ville de Pigüe.
Il me semble aussi intéressant de vous raconter comment cet émigrant organisa ses vacances en 1964, la réalisation de ce programme pouvant vous éclairer sur la situation et les possibilités de certains de nos compatriotes Argentins. Toute la famille Gardes vint en avion de Buenos-Aires à Lisbonne. Là, elle loua une auto particulière pour rallier l’Andorre en passant par Séville, Cordoue, Tolède et Madrid, un crochet de plusieurs centaines de kilomètres !… Une autre auto particulière les porta d'Andorre à Rodez, et c'est encore une voiture louée qui les conduisit à l'étape suivante : Lyon. De cette ville, le voyage se poursuivit par Paris, Amsterdam, Francfort-sur-le-Main, Vienne, la Suisse, Milan, Rome et Naples où un paquebot Italien ramena ces amateurs de belles et longues vacances en Argentine.
Bien sûr, tous les colons Aveyronnais ne réussirent certainement pas aussi bien… Quoiqu'il en soit, au lendemain du centenaire de la fondation de la ville de Pigüe, nous voilà fixés sur le sort de trois de nos compatriotes que tout Pigüe connaît : Sadi-Eduardo Calmels, Emilie Bras de Servières, et Baptiste Gardes.
Quant à nous, descendants d'ancêtres moins audacieux, il nous reste toujours la possibilité de rêver à l'éventuel héritage d'un "tonton d'Amérique" !
26/VIE LOCALE A LA FIN DU XIXeme SIECLE
Le XIXème siècle fut surtout marqué, dans la commune d'Aurelle, par un très grand nombre de procès. Ils opposaient le plus souvent un petit propriétaire à un autre, comme ce fut le cas le 20 juillet 1866.
Ce jour-là, comparut devant le tribunal de première instance d'Espalion, en audience publique et séance correctionnelle, le dénommé Antoine Jarousse, cultivateur, alors âgé de trente ans, domicilié à la Rive, commune d'Aurelle, jugé pour coups et blessures volontaires.
En effet, le 3 juin 1866, Antoine Vaylet[1] de Mazes prévenu, par on ne sait qui, que Jarousse faisait habituellement paître son troupeau dans le pré dit "la Millaire", appartenant à Vaylet, celui-ci y alla et y trouva effectivement Jarousse avec ses brebis. Vaylet commença aussitôt à faire sortir le troupeau de son champs, mais il fut pris à partie par Jarousse qui lui lança des pierres dont plusieurs l'atteignirent et une entre autre lui enfonça une côte, comme ce fut constaté dans un rapport médico-légal.
Lors du procès, Jarousse contesta cette version des faits, vainement d'ailleurs puisqu'elle fut corroborée par celle d'un témoin : Marie Alibert. Celle-ci déclara, en effet, avoir vu le prévenu lancer des pierres à Vaylet et avoir également vu Vaylet se retirer immédiatement en boitant.
Jarousse fut donc reconnu coupable "d'avoir, sans motif ni provocation, volontairement porté des coups et fait deux blessures au nommé Vaylet, sans qu'il en soit toutefois résulté un maladie ou une incapacité de travail personnel de plus de vingt jours. Il fut condamné à six jours de prison et aux frais liquidés à 25 francs, 5 centimes, y compris le timbre et l'enregistrement du jugement.
Bien sûr ce genre d'incidents, dus au mauvais voisinage, peut faire sourire. Pourtant, la vie des gens en était véritablement parsemée, ils vivaient alors – et parfois encore – au rythme des accords et des désaccords, des jalousies et des provocations, des procès et des tentatives de conciliations, dus le plus souvent à un très grand sens de la propriété.
On peut noter pour l'anecdote que cet Antoine Vaylet dont il était question dans ce procès, demandait toujours une copie des actes qui le concernaient, et les gardait précieusement, alors qu'il ne savait qu'à peine signer. C'était d'ailleurs le cas de la plupart de ses contemporains qui parfois même l'oubliaient avec l'âge. Ainsi, le 20 février 1876, lors de l'achat d'une maison à Mazes, "ledit monsieur Vaylet requit de signer déclara avoir autrefois signé, mais ne pouvoir le faire en ce moment, l'ayant complètement oublié."
Il y eut également des procès qui devinrent l'affaire de tout un village, voire de la commune entière. Ce fut le cas lors du partage des Costes de Mazes puisque tous les habitants du hameau furent concernés et que l'on dut également prier le maire d'intervenir.
Cette affaire prend ses sources dans un acte du 1er juillet 1512, de maître Argentier, notaire à Campagnac, qui fut mentionné maintes fois au cours de la procédure. Voici ce qu'en disait maître Palangier le 29 mai 1863 :
" de la mairie d'Aurelle dépend le village de Mazes et, aux appartenances de ce village, il existe un vaste tènement appelé "les Costes", tenant de tout côté avec des propriétés particulières, dont les trois quarts appartiennent par indivis aux représentants des treize familles qui existaient dans ce village au XVIème siècle, et le quart restant à la famille Grégoire et Jarousse (dont les descendants s'étaient mariés entre eux) du hameau des Rives, suivant un acte du 1er juillet 1512, d'Argentier, notaire à Campagnac."
Tout commença vraiment le 14 mars 1846, jour où Antoine Teyssié, cultivateur domicilié à Verlac, et descendant de l'une des treize souche du XVIème siècle, demanda le partage des Costes de Mazes en quatre lots, soutenu en cela par quelques autres propriétaires. L'un de ces lots devait revenir, d'après lui, à la famille Grégoire à laquelle appartenait ¼ de ce terrain. Les trois lots restant devaient, eux, être encore divisés en treize lots. Qu'il ne restait plus alors qu'à attribuer aux autres habitants de Mazes qui y avaient des droits. Cela semblait facile, trop facile sûrement…
Un jugement de défaut, du 8 avril 1846, accueillit la demande d'Antoine Teyssié et un expert fut aussitôt nommé par le tribunal pour établit un premier procès-verbal de partage. Mais au moment même où son rapport allait être homologué la plupart des habitants de Mazes formèrent opposition au jugement et soutinrent que "le terrain des Costes constituait une propriété communale et ne pouvait donc être partagé, du moins sans l'intervention de l'autorité administrative et sans y admettre tous les habitants actuels du village de Mazes." Le tribunal fut donc appelé à statuer sur cette opposition…
Un nouveau jugement intervint donc, le 22 novembre 1849, qui, avant de statuer, ordonna la mise en cause préalable du maire d'Aurelle en ces termes : "la contestation qui divise les parties consiste à savoir si ce terrain dont les parties ont demandé et fait ordonner le partage, est indivis ou commun entre eux. Quelle que soit la décision à prendre, il importe d'ordonner l'intervention du maire de la commune d'Aurelle dans laquelle est situé le terrain en litige." Mais le temps passa sans qu'il fut donné suite à cette requête.
Ce n'est finalement que le 29 mai 1863, qu'en conformité avec le jugement de 1849, maître Palangier, huissier du tribunal civil d'Espalion, résidant à Saint-Geniez d'Olt, pria monsieur Alazard, maire d'Aurelle, de comparaître sous huitaine devant le tribunal civil d'Espalion afin d'y venir déclarer "que le terrain des Costes n'est pas une propriété communale, mais bien un indivis entre le requérant et les autres membres des treize souches du XVIème siècle pour les trois quart et la famille Grégoire, alliée à la famille Jarousse, pour le dernier quart."
Il s'agissait donc là de déclarer la commune sans aucun droit sur ce terrain et de mettre le maire hors d'instance, avec dépens contre ceux à cause de qui il avait été cité à comparaître. Le maire de l'époque, Alazard, ne répondit pas à cette convocation : il était démissionnaire, et cela incomba donc à son adjoint Monnié.
Dans cette affaire commencée dès 1846 et encore en cours en 1863, le temps eut, bien sûr son rôle à jouer… C'est ainsi que le 21 décembre 1863, Maître Palangier fit savoir aux différentes parties que l'instance était "venue hors de droit", à cause du décès de plusieurs des personnes concernées, du veuvage de leur conjoint, du mariage ou du remariage de quelques autres, et en particulier, de la démission de l'avocat des partisan de la thèse du terrain communal : Maître Bastide.
Le procès-verbal de partage et tirage au sort des lots, dressé par monsieur Julien, expert-géomètre, le 18 août 1846, enregistré, fut finalement appliqué. C'est ainsi que, bon gré, mal gré, les descendants des treize familles vivant à Mazes en 1512, furent convoqués et tirèrent ces lots au sort, comme prévu, puisqu'il s'agissait bien là d'un indivis entre eux et non d'un terrain communal comme ils l'avaient prétendu, préférant peut-être continuer à bénéficier de l'ensemble de ce terrain même en commun, plutôt que de ne pouvoir en exploiter qu'une petite parcelle même privée. Sans doute espéraient-ils également que la famille Grégoire n'obtiendrait pas le quart qui lui revenait, et que celui-ci serait donc divisé en parts égales entre l'ensemble des habitants du village.
On découvre également, au fil des procès de ce XIXème siècle mouvementé, un personnage assez inattendu. Je veux parler-là de la Comtesse de Ricard, née Clémence Rouvelet, qui résidait au château de Varès, près de Laissac. Elle possédait, en particulier, le domaine du Bournhou, commune d'Aurelle, et toutes les terres qui en dépendaient. Les anciens ont encore parfois quelques bribes de souvenirs, dus le plus souvent à ce que leur ont dit leurs parents, sur ce personnage qui perpétua à sa façon la longue tradition seigneuriale dans notre région. La tradition orale rapporte ainsi que les terres de la Comtesse s'étendaient d'Aurelle à Varès, voire, peut-être même jusqu'à Laissac.
Comme je l'ai déjà dit, cette noble personne ne résidait pas sur la commune d'Aurelle, se contentant de confier son domaine à un fermier. Elle ne venait, en fait, dans la région qu'une fois l'an pour constater l'état de ses possessions. Cette visite annuelle était un événement d'importance qui rompait momentanément la monotonie de la vie de nos grands-parents.
Que se passait-il donc d'aussi exceptionnel ? Pas grand chose en fait, madame la Comtesse se contentait simplement de faire, à cette occasion, le tour de sa propriété… A dos de mulet !
Ah! Il était célèbre l'âne de la Comtesse, et il le fut plus encore lorsqu'il mourut… La Comtesse fit, en effet, enterrer ce fidèle compagnon, ce qui n'aurait pas grand-chose d'exceptionnel si elle n'avait exigé de tous les valets et servantes du château de Varès qu'ils assistent à la mise en terre dans leurs plus beaux habits du dimanche ! Est-il utile de dire que ses contemporains en rirent longtemps ?… Ils en rirent d'autant plus que la Comtesse n'était guère appréciée des petites gens, peut-être d'abord à cause de la particule, sans doute ensuite pour son aisance, et enfin et surtout à cause des procès qui l'opposèrent à eux qu'elle gagna trop souvent.
Je ne citerai en exemple que celui du 5 décembre 1885, qui l'opposa à Laurent Auguy, Augustin Ladet, Antoine Glandy, Jean-Pierre Auguy, Antoine Marcillac, tous de Moncan, et à Antoine Gardes et Jean-Baptiste Falq de Bernier.
Ces gens-là avaient eu le grand tort de passer avec des chars attelés sur la pâture de montagne appelée "Puech de Bessière", qui dépendait alors du domaine du Bournhou et qui appartenait donc à la Comtesse de Ricard. Ils avancèrent pour leur défense qu'ils avaient "le droit de passer sur le dit tènement pour aboutir, en partant du village de Bernier, au chemin de Saint-Geniez ou aux montagnes" et ils invoquèrent "leur possession plus qu'annale sans trouble avant la contravention ou le procès-verbal dressé contre eux."
Mais, évidemment, la Comtesse l’entendait d’une autre oreille… Elle adressa une longue lettre de protestation au juge de paix du canton de Saint-Geniez d’Olt dans laquelle elle déclarait que ses propriétés étaient « libres de toutes servitudes », que les prévenus ne pouvaient « produire un titre leur donnant le droit de passer sur le Puech de la Bessière », qu’ils n’étaient pas non plus en mesure « d’invoquer le droit d’enclave qui leur donnerait le droit de réclamer le droit de passage sur le Puech de Bessière, équivalent à un titre, et qui leur permettrait, malgré le caractère discontinu de la servitude, d’invoquer la possession annale ».
Elle expliquait ensuite par écrit que « le Puech de Bessière était longé de deux côtés et entouré pour ainsi dire de deux chemins : l’un de Mazes à Moncan, et l’autre de Saint-Geniez aux montagnes », que les prévenus « qui étaient tous habitants des villages de Bernier et Moncan, aboutissaient directement aux dits chemins, que le trajet sur ces chemins, au moins sur l’un d’eux : de Moncan à Mazes, était à peine plus long » et, qu’elle même qui possédait « des prairies de grande étendue aux appartenances du village de Moncan, n’usait jamais du passage au travers du Puech de la Bessière pour le transport du foin au Bournhou, mais bien du chemin de Moncan à Mazes » ; ce qui prouvait bien, d’après la Comtesse, que l’enclave n’existait pas puisque si tel était le cas elle aurait été « la première à user du passage sur son propre fonds lorsqu’il fallait aller de Moncan au Bournhou. »
Elle allait jusqu’à préciser dans sa lettre que le « chemin de Mazes était parfaitement praticable », et terminait son argumentation en rappelant au juge « qu’il avait été déjà reconnu et jugé en possessoire, /…/ sur une instance entre elle et les habitants de Mazes, qu’aucun chemin en longueur n’existait sur la dite montagne et que, par suite, ceux ci n’avaient aucun droit de passage à invoquer ; qu’elle avait le droit d’invoquer cette décision qui devait être la même, à son avis, dans ce procès là. »
Le juge lui donna raison et condamna les habitants de Bernier et Moncan, déjà cités, « aux dépens liquidés à 97 francs, 10 centimes, plus les frais de ce jugement, cela solidairement et conjointement. »
On peut bien sûr se demander quel était le tort exact fait à la Comtesse de Ricard dans cette affaire. Selon les propres termes de l’acte cité ici : « ladite montagne avait été sillonnée par les charrettes qui y étaient passées », entraînant « le tassement de la partie qu’elles avaient suivie et l’empreinte des ornières des roues ». Cela valait-il un procès, voilà la question ?…
Pour conclure ce chapitre je ne peux que soumettre à votre appréciation la question que je me suis moi-même posée : fallait-il donner plus de détails sur ce XIXème siècle, assez proche de nous finalement, et surtout fallait-il consacrer un vaste chapitre au XXème siècle ? Ma réponse fut non. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette période a déjà été reconstituée en grande partie par plusieurs auteurs contemporains comme Henry Jurquet et Marie Rouannet dans leur livre : « APOLLONIE, reine au cœur du Monde » ; des auteurs contemporains comme Christian-Pierre Bedel et sa collection « AL CANTON » et plus particulièrement sur le canton de Saint-Geniez d’Olt et d’autres ouvrages auxquels peuvent se référer ceux qu’intéresse cette période. Pour ma part, je vais me contenter de fermer la boucle en en revenant au village d’Aurelle.
27/VOIR AURELLE MOURIR
Aurelle est resté dans la mémoire des historiens Rouergats surtout grâce à la foi de ses paroissiens pleins d’énergie, qui n’hésitèrent pas à prendre les armes, en 1817, pour défendre leur bien le plus précieux, en l’occurrence la cloche de leur église, fondue au XVème siècle, et symbole de la suprématie passée de la communauté sur les sept paroisses avoisinantes.
Hormis ce haut fait d’armes, les paroissiens d’Aurelle ne se signalèrent plus à l’attention des autorités. Mais doit-on aujourd’hui s’en réjouir, sachant que ce calme de la vie publique devient trop souvent dans nos hameaux le symptôme d’une lente agonie ?…
Les décennies s’écoulant, les habitants d’Aurelle devinrent de moins en moins nombreux : 50 en 1820, 39 en 1866, 37 en 1876, 18 en 1896, 13 en 1926, 7 en 1946…
En bordure de la boralde de Born, Aurelle n’est plus aujourd’hui qu’un village abandonné. Même le méchant chemin obstrué de branches d’arbres, disparaissant ici sous les feuilles mortes, sautant plus loin un petit torrent et s’accrochant finalement à la montagne pour franchir le dernier col, qui autorisait autrefois l’accès au hameau depuis la ferme des Escoudats, ne se retrouve plus. Il s’est perdu de broussailles en rocaille et on ne peut aujourd’hui que passer par la ferme du Bournhou ou par le sentier des bois, entre Corbières et les Escoudats, pour rejoindre le village en ruines. Voyage d’un autre siècle que la dernière habitante d’Aurelle, madame Ladet, a effectué une ultime fois en 1950 pour descendre à Sainte-Eulalie d’Olt chez sa fille. Peut-être se souvint elle alors de ces étrangers qui, traversant autrefois la montagne d’Aubrac, guidaient leurs pas sur l’appel de cette cloche célèbre?
Jadis havre de repos, Aurelle a donc vu s’éteindre en 1950 son dernier souffle de vie. Le vent qui fait encore battre les volets des chaumières abandonnées et s’engouffre par la porte béante de la chapelle, semble repousser le visiteur curieux qui s’est aventuré jusque là. Comme si Aurelle voulait conserver, presque enfoui sous les ruines, le secret de son passé. Mais depuis 1986, une association des « amis d’Aurelle » œuvre et a notamment déjà rénové la chapelle.
Sûrement ai-je voulu moi aussi apporter ma pierre à l’édifice en rassemblant ces parcelles de notre histoire. Mais il m’a fallu parfois me contenter de vagues souvenirs voire de légendes puisque les archives du château d’Aurelle nous font défaut. Ont-elles été conservées par quelque descendant des derniers seigneurs, ou furent-elles détruites, ainsi que le supposait monsieur Foulquier, ancien maire, par un de ces nombreux incendies qui ravagèrent la région ? Ce pays de boraldes n’a, en effet, été épargné par aucun de ces fléaux que furent le feu, la peste et l’émigration.
Ainsi, les départs massifs de jeunes ont saigné à blanc des villages comme Aurelle où la population était surtout constituée de journaliers qui partaient travailler dans les fermes du plateau, ou les burons de l’Aubrac. Parce qu’ils ne possédaient que leur force de travail, ils n’hésitèrent pas à s’exiler, à Pigüe par exemple. D’ailleurs, proportionnellement à sa population de l’époque, Aurelle est sans doute l’un des villages qui ont payé le plus cher la création de cette colonie Rouergate. Un tribut trop lourd qui a sonné prématurément le glas de ses espérances en l’avenir.
Cette révolte pour une cloche mérite donc mieux qu’un regard amusé car, replacée dans son contexte, elle témoigne chez les protagonistes d’un esprit de décision et d’une volonté qui se traduisirent plus tard, pour ces Hommes de l’Aubrac, par la réussite, mais en exil.
Et lorsque la mémoire des Hommes s’évanouit dans le néant, le souvenir de la vie ne se réfugie plus que dans les dossiers d’archives et l’histoire locale ne se reconstruit plus que par lambeaux de parchemins. Ainsi avons nous pu savoir ce qu’était cette église encore menacée par les herbes folles il y a moins de vingt ans, avant l’intervention de l’association des « Amis d’Aurelle ».
Désaffectée depuis des décennies, cette bâtisse n’en recelait pas moins quelques curiosités artistiques fort dignes d’intérêt. C’est ainsi qu’en 1965, monsieur l’abbé Gilhodes, alors curé de la paroisse de Verlac, aidé d’un ou deux paroissiens, fouilla de ses propres mains l’église d’Aurelle. Il y découvrit une belle dalle sculptée, une statue de pierre du XIVème siècle encore en bon état représentant un évêque, ainsi qu’une antique vierge romane en bois semblant dater du XIIème siècle. Quant à la vénérable cloche, il était dit qu’elle serait condamnée à l’exil. Définitivement, puisqu’elle est aujourd’hui revenue à Verlac où aucun paroissien d’Aurelle déserté ne viendra la réclamer.
Ainsi, délestée de son maigre trésor, six cent ans après sa reconstruction l’église Saint-Pierre d’Aurelle, inscrite à l’inventaire des monuments historiques en 1975, attend et espère des jours meilleurs.
Et je voudrais conclure ce chapitre en donnant la parole aux poètes qu’Aurelle a inspiré au fil des ans…
MATINEE A AURELLE
Aux sources de l’or, le van des orpailleurs scintille,
Les paillettes et les gouttes d’eau ont des reflets vivants,
Les cailloux gris sont dans la main des pépites,
Les truites ont des tâches de soleil et d’éternité.
Pierres verdies des chapelles au clocher de feuillage,
Bijou de dentelle par le ciseau sur le ciel découpé,
Le chef-d’œuvre roman, modeste et impérissable,
Se baigne en contre-jour dans l’eau précieuse.
Trois noyers verts et laqués sont dans le pré,
Leurs noix inutiles et noircies pourrissent sur le sol,
Trois maisons vides se dessèchent sous le ciel,
Le moulin ne chante plus dans les cascades.
Habité de gisants sur le granit des pierres,
Vêtu par les fougères et par les ronces en arabesques,
Aurelle au nom doré venant du fond des âges,
Village abandonné que désagrège le soleil.
HENRI SABATIER
(Poème paru dans « la Revue du Rouergue » en 1972.)
ROCAILLE
Brûler ma peau
A l'ombre de ton chœur
Etancher ma soif de toi
D'une larme de basalte
Chapelle aux abois
Grandeur en lambeaux
Belle d'une beauté sauvage
Avec pour seule parure
Buissons et genêts
Couper les ailes
De ton Saint déserteur
Flambeau de l'espoir urbain
Eclaireur du sillon vide
Nature païenne papesse
Volcan de tendresse
Aurelle, village lové
Au creux de l'abandon.
JOËLLE FALQ
Nasbinals, le 17 mai 1984.
Aurelle,
Je ne sais de toi que ton nom
Et les herbes qui courent sur les toits désolés
De tes maisons béantes.
On dit que ton joyau est ta chapelle,
Victorieuse des herbes tentant de l’envahir
Elle n’a donné que son toit
Il fallait bien céder quelque chose
A cette nature envahissante…
Aurelle,
Tu m’évoques l’or, mais ta chapelle n’est elle pas
La plus belle pépite,
Enfouie dans l’écrin vert du printemps ?
Aurelle,
Ce serait un prénom à donner
A un enfant calme et blond,
Qui le transmettrait à travers les âges.
Ainsi lorsque la verdoyance
Aurait couvert, tes pierres et tapis, d’herbe et de mousse
Le moindre de tes recoins,
Tu vivrais encore quelque part
Qui sait ?…
Entre la baie d’Along et la mer de Barentz.
Un fou pourrait vouloir te raser,
Tu survivrais dans le cœur de l’enfant blond
Lorsqu’il rechercherait d’où lui vient cet étrange prénom
Tu survivrais aussi dans mon cœur
Parce que je ne te connais pas
Et que c’est peut-être ainsi
Que naissent les grandes histoires d’amour
Entre la pierre et l’Homme.
SOPHIE DELPECH
Rodez, Juin 1990.
AURELLE
Loin et perdue dans la forêt
rétablie en sa souveraine sauvagerie
les Hommes, retirés de ce lieu
ont laissés s’enfoncer dans les flots de fougères
et de ronces
les épaves aux membrures apparentes
de leur hameau complet
Chassés semble-t-il par quelque malédiction
ils ont abandonné église, foyers, four à pain
leurs puits, leurs marmites
leurs pommiers et leurs saints
ils sont partis avec chiens, chats, coqs et lapins
Leurs chemins et leurs toits, désormais
s’embroussaillent.
Le berceau et la nef de leur église morte
surgissent comme une étrave rouge
d’une mer végétale couleur de jade
Eglise naine, sans transept
vidée de mouvement mais non pas de silence…
JACQUES SENESSE, juillet 1992
(Extrait de « Ballade en Ruténie »)
28/AURELLE, PASSE OU AVENIR ?
Je n’ai pas la prétention d’apporter ici une quelconque réponse aux problèmes qui se posent actuellement aux confins de l’Aubrac. Non, cet ouvrage n’apporte aucune réponse, son but n’est pas non plus de formuler des questions quant à l’avenir d’Aurelle-Verlac, petite commune rurale du nord-est Aveyron. Il y en a pourtant une à laquelle je n’ai pu me dérober : Aurelle, passé ou avenir ?
« Aurelle au nom doré venant du fond des âges … » Mais ce nom survivra-t-il encore longtemps ? Il m’arrive d’en douter : la Baronnie d’Aurelle est devenue, au fil des temps, commune d’Aurelle, puis, peu à peu, commune d’Aurelle-Verlac et, déjà, certains ne l’appellent plus que commune de Verlac. La page est presque tournée semble-t-il…
Aurelle ! Tout un symbole qui tend à disparaître, envahi par la végétation : ici, la nature reprend ses droits ! Et, de tous les hameaux de la commune des fils s’en vont, ils quittent cette terre accidentée, trop difficile à cultiver, ils ne sont d’ailleurs plus agriculteurs en majorité.
Les écoles de la commune ont, elles, fermé leurs portes les unes après les autres… La dernière génération s’en va donc elle aussi, emportant ses rires et ses jeux vers Saint-Geniez d’Olt, ou plus loin… Oui, l’exode rural mine encore cette montagne.
Alors, bien sûr, Aurelle est un village fantôme… Mais qui sait si, plus tôt qu’on ne le croit, on ne parlera pas d’Aurelle-Verlac commune fantôme ?… Ce ne serait malheureusement pas la première qui, n’ayant pas su s’adapter, serait condamnée à n’être plus peuplée que de résidences secondaires. Et ce n’est certes pas l’étude, même rapide, de l’évolution de la population au cours des derniers siècles qui peut me rassurer.
Ainsi :
- En 1771, les paroisses de Naves d’Aubrac, Saint-Martin de Montbon (Vieurals compris) et Verlac, totalisaient 1071 habitants.
- En 1846, ces mêmes paroisses comptaient 1130 habitants.
- En 1868, Jean-Louis Dardé dans son « dictionnaire des lieux habités », donnait le chiffre de 1075 habitants au total en ce qui concerne cette commune.
Une légère baisse s’était déjà amorcée annonçant l’avenir puisque :
- En 1962, la commune d’Aurelle-Verlac ne comptait plus que 435 habitants.
- En 1968, la baisse s’était encore accentuée avec seulement 380 habitants.
- En 1975, aucune amélioration : 333 habitants seulement.
- Et, en 1982 il ne restait que 270 habitants…
-
De 1968 à 1975, la commune d’Aurelle-Verlac a donc accusé une baisse de population de 1,9% par an.
De 1975 à 1982, cette baisse s’est encore accentuée atteignant une moyenne annuelle de 3% !
La superficie de la commune d’Aurelle-Verlac étant de 5468 hectares, nous obtenons pour 1975 une densité de six habitants par km2 et pour 1982 une densité de seulement cinq habitant par km2. La commune d’Aurelle-Verlac avait ainsi la densité la plus faible de tout le canton de Saint-Geniez d’Olt ! Peut-être me rétorquerez vous qu’avec ses 5468 hectares la commune d’Aurelle-Verlac est aussi la plus étendue du canton… Je ne l’oublie pas, mais quand on sait que le seuil de désertification d’une commune est fixé à quatre habitants par km2, il y a de quoi s’inquiéter !
Alors, Aurelle : passé ou avenir ? Revoilà la question. Une question que je préfère finalement laisser sans réponse : les ans à venir y répondront eux mêmes plus sûrement que moi.
Quant à cet ouvrage, je n’ai pas la prétention d’y avoir fait œuvre d’auteur, non : je n’ai en fait que le mérite d’y avoir compilé des documents épars, qui existaient déjà, au sujet de la région et d’avoir essayé d’en faire une synthèse que j’espère agréable à lire. Je crois qu’il était en effet nécessaire de renouer avec un passé trop oublié, ou trop méconnu. Ce n’est donc qu’une façon de retrouver les racines, nos racines, chose importante pour chacun de nous, mais qui le sera sûrement bien davantage pour nos descendants, probables exilés volontaires ou involontaires de ce coin perdu d’Aveyron.
Qui leur dira sa beauté sauvage, la tendresse rugueuse de ses habitants, rudes : c’est vrai, mais fidèles à cette terre de générations en générations ; qui leur dira cet exil saisonnier dans les burons de l’Aubrac à la belle saison, et l’amour d’un métier qui remplit tous les instants d’une vie ? Mais peut-on dire ces choses là, ne faut-il pas les vivre, ou tout au moins les côtoyer, pour les comprendre ?
EN GUISE DE CONCLUSION : LA FILLE AUX LOUPS
Voici l’histoire de la fille aux loups, une fille sauvage que l'on vit plusieurs fois en compagnie de loups dans les bois d'Aurelle (village abandonné par ses derniers habitants en 1950).
Les parents de la fille aux loups s'appelaient Albert Cayzal et Simone Cayzal née Aussillon.
Leur famille habitait en Afrique Noire, Simone et Albert étaient nés dans des tribus noires sur les bords du lac Kivu au Rwanda vers 1917, ces tribus émanaient de la tribu Twas (de type pygmoïde vivant de pêche, chasse et cueillette).
Leurs pères, tous deux d'origine Belge, se connaissaient même s'ils faisaient partie de deux tribus différentes, mais proches géographiquement.
Albert Cayzal dont le nom au Rwanda était Hamahaa était le seul enfant blanc de sa tribu. Son père vivait dans cette tribu où il avait rencontré sa femme, botaniste et exploratrice, leurs familles étaient d'origine Belge.
Simone Aussillon dont le nom au Rwanda était Ahunimée était une métisse, son père était d'origine Belge, le grand-père maternel de sa mère se prénommait Houmida, c'était un chef de tribu noir qui avait épousé une blanche.
Simone et Albert s'étaient mariés à l'âge de douze ans et avaient eut huit enfants au Rwanda qui étaient tous morts. C'est ce drame de la mortalité infantile qui poussa les parents à venir en France.
Ils y vinrent en 1940 avec un de leurs amis et vécurent quelque temps chez lui à Mende en Lozère. Cet ami se prénommait Henri Calmé, il était né en Lozère vers 1880 et y revint donc à l'âge de la retraite en 1940 (sa femme noire et ses enfants restèrent au Rwanda). Le reste de la famille d'Albert et de Simone habitait alors le Centre de la France.
Simone et Albert prirent ensuite des terres en fermage à CORBIERES (commune d'Aurelle-Verlac), où ils eurent deux garçons morts en bas âge et la fille aux loups. Lorsqu'elle naquit, le 25 décembre 1947, ils pensèrent que le même sort que ses frères l'attendait et ils ne prirent pas la peine de la déclarer à l'état civil, ni de lui donner le moindre prénom.
Au début du printemps 1952, alors qu'il se rendait à une foire, le père fut attaqué par un imitateur du fameux brigand connu sous le nom de Masque Rouge. Il voulut se défendre mais tomba la tête la première sur une pierre et mourut sur le coup. On ne retrouva jamais son corps. Sa tête par contre fut jetée la nuit suivante à travers une fenêtre de sa maison de Corbières…
Sa femme paniqua et le faux Masque Rouge s'introduisit dans la maison et pendit la métisse. Il se débarrassa de son corps et de la tête de son mari en les donnant à manger à leurs propres cochons. Il ne lui restait plus qu'à s'approprier le bétail et la ferme du couple, la petite fille de quatre ans lui ayant échappé après avoir assisté à ces horreurs.
Le nouveau maître des lieux raconta que cette famille lui avait vendu tous ses biens avant de quitter le pays. Albert et Simone avaient, en effet, l'intention de retourner en Afrique, ce qui explique que personne ne se soit ému de leur disparition en 1952 date de leur mort.
La fillette de quatre ans se réfugia dans les bois d'Aurelle où elle survécut en mangeant des châtaignes, des glands, des champignons et des baies diverses… Elle fit aussi de la farine de glands et se faisait cuire des galettes. La nuit elle rentrait dans les étables pour voler du lait et de la ficelle avec laquelle elle faisait des collets pour se nourrir. C’est Eugène de Crespiac qui lui avait appris l’art du braconnage. Un jour, elle prit un louveteau dans un de ses collets, elle le libéra et il resta avec elle. Plus tard, ce loup qu’elle avait appelé Thomas comme son apôtre préféré, devint le chef d'une meute c'est pourquoi tous ces loups respectèrent celle dont le seul nom connu par ses contemporains fut la fille aux loups.
Dans les années qui suivirent, la fille aux loups tenta à deux reprises de revenir à Corbières mais le faux Masque Rouge et les siens la chassèrent à coup de pierres, l'obligeant ainsi à retourner dans la forêt où ils espéraient bien qu'elle mourrait bientôt.
En 1964, à 16 ans, la fille au loups accoucha d'un enfant, le premier avril à 23h00, dans l'église d'Aurelle aidée par une religieuse qui lui amenait régulièrement de la nourriture. Elle appela le bébé Magnolia parce qu’elle trouvait que l’arbre du même nom caché dans les bois d’Aurelle était la plus belle chose au monde.
Un ours : Mako, de passage à Aurelle, chassa une louve solitaire qui voulait s'en prendre au bébé, les autres loups tuèrent alors cette louve avant qu'elle ne puisse nuire à quiconque.
A la demande de la fille aux loups, influencée par la religieuse qui lui conseillait de donner à son enfant la chance qu'elle n'avait pas eut, la religieuse emmena le bébé, une petite fille, sept jours après sa naissance, et l'abandonna à Mazes sur le perron d'une maison, celle de Marie M. qui trouva le "couffin" et son contenu le 7 avril 1964. Ce bébé c'était moi. Je suis donc le dernier bébé né à Aurelle…En 1999 j'ai publié un ouvrage intitulé : CE QUE JE SAIS. Biens des lecteurs ont vu là une œuvre autobiographique alors qu'il ne s'agissait que d'un roman. Il était donc temps de parler enfin de mes origines familiales afin de dissiper ce regrettable malentendu
Le 7 avril 1964, Marie M. me trouva donc abandonnée devant sa porte. J'étais âgée d'à peine sept jours. Elle me confia le jour même à mes nouveaux parents.
Ainsi tout le monde fut désormais persuadé que je faisais bien partie de cette famille qui avait déclaré ma naissance en mairie à une fausse date le 3 avril 1964 avant mon arrivée à Mazes le sept, avec la complicité du maire et du médecin qui savait forcément reconnaître un bébé naissant d’un enfant âgé d’une semaine déjà. Le docteur d’ailleurs refusa qu’on lui paie sa visite à domicile et le dimanche suivant mon nouveau père lui livra un kilo de truites fraîchement péchées par ses soins afin de le dédommager.
A compter de ce jour, la fille aux loups se cacha plusieurs fois sur la route qui mène de Saint Geniez d'Olt à Vieurals afin de me voir passer avec ma nouvelle mère qui allait rendre visite à pieds à ses sœurs ou ses parents.
La fille aux loups mourut des suites d’une pneumonie dans les bois suite à un hiver particulièrement rigoureux, le 7 juin 1970, à 22 ans, malgré les peaux de loups morts dont elle se vêtait et ses tentatives de faire du feu que la neige éteignait aussitôt. Se couchèrent près d'elle et se laissèrent mourir son loup Thomas (l'apôtre préféré de la jeune femme), et l'ours d'Aurelle Mako arrivé trop tard cette nuit là pour pouvoir la réchauffer.
Gaspard-Jules Des Cazes d'Aubais, mon père, berger à la belle saison au Bournhou, se laissa lui aussi mourir de chagrin après la mort de la Fille aux Loups qu'il appelait son "rouge-gorge"parce qu’elle imitait à la perfection le chant des oiseaux et qu’elle avait un don pour communiquer avec les animaux. Ainsi se termina la lignée des Des Cazes d'Aubais originaires de la haute bourgeoisie ruinée du Grand Duché du Luxembourg. Gaspard-Jules, jeune vicomte, résidait à l'hiver dans le nord de la Lozère.
Il avait 17 ans lorsqu'il avait rencontré la Fille aux Loups et en était tombé passionnément amoureux. Lorsqu’elle mourut, il ne savait pas que j'existais et rien ne le retenant plus à la vie le chagrin l’emporta donc.
Le 9 juin 2003.
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Née à Corbières
Le 25 décembre 1947
-A ma vraie et seule mère-
"Qui suis-je?
Montrant les dents, le cœur léger,
Je suis la fille unique de LA FILLE AU LOUP,
Ce loup prénommé THOMAS (*)
Apôtre du doute qui vous étreint.
"Je suis la fille unique de LA FILLE AU LOUP,
La sauvageonne brune aux yeux verts,
Orpheline de père et de mère,
Chassée de son village désormais sans soleil
Par des voisins vautours.
"Au promeneur qui lui demande son nom
Elle répond : "AURELLE"…
Non, AURELLE n'est pas qu'un tas de ruines,
Mais la femme, la déesse,
Ma mère accouchant dans l'église abandonnée.
"C'est depuis l'impossible oubli de son sang
Pour la fée du Volcan,
L'impossible oubli de la chapelle maternelle
Pour qui ma mémoire se damne
Depuis bientôt quarante ans…"
MAGNOLIA DES CAZES D’AUBAIS
Onet le château, le 16/09/2002
(*) prononcer le S.
ANNEXE : A VOIR SUR LA COMMUNE D’AURELLE-VERLAC
- A Aurelle (10 km de Saint-Geniez) : la plus petite église romane de France, inscrite à l’inventaire des Monuments Historiques en 1975.
- A Corbières (8 km de Saint-Geniez) : la coulée de lave.
- A Verlac (7 km de Saint-Geniez) : l’église romane classée monument historique, dans laquelle se trouve une statue de St-Blaise datant du XVème siècle, et les prismes basaltiques. On peut également visiter les églises de Naves d’Aubrac, Saint-Martin de Montbon et Vieurals.
- Près de Vieurals : Les Cazalets qui sont le point culminant du département de l’Aveyron avec 1463 mètres, situé presque en face de son équivalent Lozérien : le signal de Mailhe-Buau, qui lui atteint allègrement les 1469 mètres et reste le point culminant de tout l’Aubrac. A voir également : le Puech d’Alte-Teste (1448 mètres) et le signal du Suc (1353 mètres).
- A Lacessat : la cascade en aval du pont. Ce pont constitue la limite entre les communes d’Aurelle-Verlac et de Prades d’Aubrac.
- Après les Ginestes : une croix qui signale le Puech de Bessière à 1113 mètres, que l’on a longtemps considéré à tort comme le point culminant de la commune d’Aurelle-Verlac.
- Sur la limite Aveyron-Lozère : la Croix de la Rhode qui est l’ancienne borne du Rouergue et du Gévaudan.
- Les vallons du ruisseau du Merdanson, du Mardonesque et du ruisseau de Bonance.
A VOIR DANS LA REGION A PROPOS DE L’HISTOIRE D’AURELLE
- A Saint-Geniez d’Olt : face à l’église des Pénitents, au numéro 15 de la rue de l’Hôtel de Ville : l’ancien portail en bois de l’hôtel de Fajole (du XVIIIème), un remarquable escalier intérieur et une très belle porte cochère.
- A la Canourgue (en Lozère) : le porche de l’église Saint-Martin où sont gravées les armoiries des seigneurs de Canilhac.
- A Langogne (en Lozère) : la place du presbytère où se trouve un écusson avec croquis de St-André, datant du XVIème siècle.
PRINCIPALES SOURCES :
· SOURCES MANUSCRITES :
(La plupart de ces documents se trouvent aux Archives Départementales de l’Aveyron à Rodez.)
- « Registre des baptèmes, mariages et sépultures de la paroisse de Verlac » 1674 à 1792.
- « Procès-verbal de la visite pastorale de 1739 » Tome 5, rédigé par Mgr Laumière.
- « Procès-verbal de saisie de la Baronnie d’Aurelle en 1738 ».
- « Etat du dioscèse en 1771 » inventaire de Louis Lempeureur (Archiviste).
- « Déclaration des revenus et fonds nobles de la terre d’Aurelle en 1784.
- Registres de Jacques Galdemar, notaire d’Aurelle (3 registres).
- A cet ensemble sont venus s’ajouter des actes familliaux du XIX ème siècle.
· SOURCES IMPRIMEES :
(La plupart de ces ouvrages se trouvent à la Médiathèque de Rodez.)
- « La maison de Curières de Castelnau », Patrick de Gmeline, 1975.
- « Documents historiques et généalogiques sur les familles et les Hommes remarquables du Rouergue dans les temps anciens et modernes » (4 tomes), Hippolyte de Barrau, 1848.
- « Documents historiques sur le Rouergue », Baron de Gaujal.
- « Bibliographie historique du Rouergue », A. Couderc, 1931-1952.
- « Mémoires de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron. »
- « Documents sur l’histoire de Prades d’Aubrac », Ernest Plagnard, 1960.
- « Le cartulaire de l’Aubrac » (2 tomes), L. Rigal et P.A. Verlaguet.
- « Histoire de la cathédrale de Rodez », Bion de Marlavagne, 1875.
- « Généalogie de la famille d’Aurelle en Rouergue, Auvergne, Velay, Gévaudan », Durandard d’Aurelle, 1906. (Bibliothèque de la Revue Héraldique).
- « Dictionnaire des lieux habités », Jean-Louis Dardé, 1868.
- « En Rouergue à travers le temps », Jacques Bousquet, 1961.
- « Histoire du Rouergue », Jean Vernhes, 1980.
- « Les Aveyronnais dans la Pampa : à Pigüe en Argentine, 1884-1974 », Université de Toulouse-le-Mirail.
- « Le Rouergue », Guy Merdoil, 1982.
- « Sainte-Eulalie d’Olt en Rouergue », Louis Mercadié, 1983.
- « APOLLONIE, reine au cœur du monde », Henry Jurquet et Marie Rouannet, 1984.
Ainsi que plusieurs numéros de :
- « La Revue du Rouergue ».
- « La Revue Historique de Rodez ».
- « La Revue de la Solidarité Aveyronnaise ».
- et des quotidiens Aveyronnais : « Centre-Presse », « Midi Libre » et « La Dépêche du Midi ».
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TABLE :
Première partie : LE TEMPS DES SEIGNEURS
Chapitre :
1- Présentation de la Baronnie d'Aurelle.
2- Nos ancêtres les Gallo-Romains.
3- Les Castelnau d'Aurelle (jusqu'en 1244)
4- Les Bénavent, Comtes de Rodez (1200-1293)
5- Astorg de Villaret (1244-1254)
6- Les Lapanouse, seigneurs de la Fabrègue (dès 1254)
7- Les Doms d'Aubrac (1293-1516)
8- Les Beaufort-Canilhac (1254-1728)
9- Les Co-Seigneurs d'Aurelle dans la guerre de Cent Ans.
10- Le partage de la Baronnie d'Aurelle en 1516.
11- Jean-Claude-Anselme de Fajole (1731-1738)
12- Gilles et Pierre-Jean de Layrolle (1738-1788)
13- Les épidémies qui dévastèrent la région.
14- Vie religieuse avant 1789.
15- Vie locale avant 1789.
Deuxième partie : LIBERTE, EGALITE, PROPRIETE
Chapitre :
16- Révolution de 1789-92 : bouleversement politique, administratif et religieux.
17- Les Prêtres réfractaires.
18- Contre-Révolution et répression.
19- Meurtre de Jacques GALDEMAR, notaire d'Aurelle.
20- Constitution de la Paroisse de Vieurals (1803-1809)
21- Pour un son de cloche (1817)
22- Constitution de la Mairie d'Aurelle : 1790-1844, 54 ans d'errements administratifs.
23- Les années terribles (1844-1845)
24- Le Général d'Aurelle de Paladines (guerre de 1871).
25- 1884: Le temps des émigrants.
26- Vie locale à la fin du XIX ème siècle.
27- Voir Aurelle mourir (1950).
28- Aurelle, passé ou avenir?
29- Conclusion : La Fille aux Loups.
ANNEXE : A VOIR…
PRINCIPALES SOURCES.
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REMERCIEMENTS TOUT PARTICULIERS A SOPHIE DELPECH QUI A ASSUREE LA FRAPPE DE CET HISTORIQUE
ET SANS QUI CET OUVRAGE N’AURAIT PAS VU LE JOUR. MERCI A TOI !
MAGNOLIA.
FIN.
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Vous pouvez visiter le site consacré à au village abandonné d'Aurelle sur : http://www.aurelle-verlac.com/
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